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Montaigne des Cannibales

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Par   •  24 Avril 2020  •  Analyse sectorielle  •  1 840 Mots (8 Pages)  •  569 Vues

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MONTAIGNE Essais, DES CANNIBALES , I,31 ;DES COCHES ,III,6

Parcours : Notre monde vient d’en découvrir un autre

Les enjeux

Ce sont de nouveaux enjeux d'écriture qu'a dû se fixer Montaigne pour la composition et le style Des Cannibales et, dix ans après, pour ceux Des Coches. Sa plume jusqu'alors au service d'un Moi à la recherche de profondeurs libératrices pour une autonomie de pensée tirant ses leçons de l'expérience, cette plume, en 1579-1580, doit se mettre au service d'une pensée éthique exigeante, mais sans nul relais d'expérience riche et significative. Avec Des Cannibales Montaigne fixe à son éthique une rhétorique argumentative à la fois souple et habile ; avec Des Coches cette même éthique prend appui sur une rhétorique de réquisitoire lente mais sévère.

Il convient aussi de noter que ces singularités dans l'écriture de Montaigne, à travers ces deux chapitres, parviennent à entre tenir des liens avec les principaux horizons de lecture des Essais.

Structure et composition

  1. « Des Cannibales » La structure du texte

Le titre de ce chapitre tranche par son contenu exotique et inquiétant avec les cinquante-six autres titres du livre I des Essais. Mais ce synonyme d'anthropophage ne se retrouve pas dans la suite du texte original ; le mot « Barbares » s'y substitue. C'est en fait un titre accrocheur pour un pacte de lecture qui se soucie de capter son lecteur avec quelques frémissements.

  1. Une notion à définir

Le cadre rhétorique qui s'impose dès le premier paragraphe est celui d'une argumentation visant à faire admettre une thèse et en dénoncer une autre. La notion de barbare est posée dès les premières lignes comme la notion en débat. Avec deux exemples de faux présupposés où les grecs prennent les Romains pour des Barbares, Montaigne met en place le premier stade de pensée auquel il faut s’opposer : celui des « opinions du peuple ». Immédiatement aussi est annoncée la caractéristique de la force d'opposition à cette « puissance trompeuse », en termes pascaliens, qu'est «la voix commune ». Cette contestation n'est pas une voix mais une « voie », celle de « la raison ». La situation argumentative de départ est claire : la notion de barbare est mal pensée, car pensée par l'ignorance, il faut, par la raison, la penser justement.

Les axes du développement comportent quelques digressions, mais présentent de fait en trois temps l'audacieuse inversion d'un éloge paradoxal.

Avant d'entrer au cœur de sa démonstration Montaigne mani feste le souci de précautions oratoires pour valider son témoignage. Il présente ses sources : un familier, un valet peut-être, « homme simple et grossier », qui a séjourné en France Antarctique, c'est-à-dire au Brésil, et a vécu aux côtés des tribus Tupinamba.

Un « retour au propos » énonce clairement la thèse refusée et la thèse proposée. On retrouve là, précisé, le premier stade de pensée du début, « chacun appelle barbarie ce qui n'est pas conforme à ses usages ». C'est la thèse de l'ethnocentrisme européen. La thèse de Montaigne, deuxième stade de pensée, « Il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation », oppose à cet ethnocentrisme un relativisme culturel qui accorde et peut-on dire décerne le titre de « nation » aux tribus Tupinamba des côtes brésiliennes.

  1. Comparaisons et déductions

À partir de là peuvent commencer les trois moments-clefs de l'argumentation :

  • Une évocation, en catalogue, de ce que n'ont pas les barbares et qu'ont les Européens ;
  • Un éloge de ce qu'ils ont à la place : « un état naturel si pur et si simple » pouvant défier les utopies de Platon, avec aussi des valeurs de civilisation où les brutalités sauvages ou guerrières s'associent à des idéaux raffinés ;
  • Deux déductions : la première celle de Montaigne, l'idée-force du texte : « Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous qui les surpassons en toute sorte de barbarie »; la deuxième pour un « nous» européen plus timide, avec des arrière-pen sées indicibles : «il y a une étonnante distance entre leur façon d'être et la nôtre».

Ce premier jeu de déductions inégales est tranché à travers l'évocation de la visite à Rouen des Tupi en 1562. C'est une conclusion de l'argumentation de Montaigne par l’exernple. Les Tupi de Rouen se révèlent d'une grande sagesse politique et morale dans des réflexions critiques sur la France. Ils laissent aussi découvrir dans quelques confidences la force du lien social et national qui est la marque de leur peuple. La barbarie « à la française » est alors exposée. Mais on a aussi là une inconséquence de Montaigne. Il questionne à Rouen son interlocuteur Tupi sur son « autorité » en temps de paix et reçoit en réponse la confirmation d'un pouvoir et d'un prestige bien confirmés. On ne retrouve pas la vision précé dente d’une nation Tupie « sans pouvoir politique ».

Le mot de la fin en redonnant la parole à la « voix commune » achève par l'ironie la satire de l'ethnocentrisme européen portée par le chapitre.

La dynamique des processus comparatifs utilisés par Montaigne dans Des Cannibales rétrograde, comme une vision erronée, l'idée de l'excellence européenne. On quitte l'Essai I-31 avec de préten dus sauvages au Brésil et de réels Barbares en Europe. L'humanité sauvage du Nouveau Monde est réhabilitée, idéalisée, poétisée.

  1. La composition du texte

À deux reprises, Montaigne fait dans ce chapitre un « retour », « à [son] propos », « à notre histoire ». Comme dans beaucoup d'autres Essais, sa plume va « à sauts et gambades » faisant digression par rapport au sujet porté par le titre et bien articulé dans le texte. Dix parties décrivent un mouvement de réflexion qui garde ainsi la souplesse que pourrait avoir le propos oralisé.

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