Les récits de voyage de Maupassant
Mémoire : Les récits de voyage de Maupassant. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Emilie65 • 24 Mai 2017 • Mémoire • 8 524 Mots (35 Pages) • 2 812 Vues
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MENVIELLE M2 Poétiques et histoire littéraire
Émilie
La poétique du récit de voyage : Guy de Maupassant
Si la Normandie occupe une place significative dans l’univers littéraire de Guy de Maupassant, elle est loin d’en refléter toute la richesse et la diversité. Contrairement au sédentaire qui n’aurait trempé sa plume qu’au cœur de sa région natale, Guy de Maupassant, grand voyageur passionné, vola volontiers sous d’autres cieux. Plus mobile que ses contemporains, il a beaucoup voyagé en Europe et en Afrique entre 1800 et 1890, par plaisir ou par goût de se soustraire aux imposantes exigence de son métier de journaliste, désirant satisfaire une curiosité pour les mœurs étrangères et d’embrasser des yeux des paysages nouveaux. En effet, Maupassant entreprend en 1881, son premier voyage en Corse et en Algérie où il passe deux mois, pour aller, une année plus tard, en Bretagne et en Auvergne, de même que sur le littoral de la Méditerranée. À l’occasion d’une croisière méditerranéenne sur son yacht le Bel-Ami, il retourne en Afrique du Nord, visitant notamment Alger et Tunis en 1887 et 1888, puis en 1889. En 1890, il voyage en Angleterre et en Suisse. Maupassant est fragile physiquement mais aussi mentalement. Il fuit Paris où il n’est pas à l’aise pour améliorer son état de santé et trouver un remède aux malaises qui le torturent. Attiré par l’exotisme, il voyage loin en homme libre pour retrouver l’isolement et la méditation, ainsi qu’une certaine douceur de vivre dans les pays chauds de l’Orient et de la Méditerranée, sa seconde patrie qui le fascine et le charme après la Normandie. Ainsi, parmi la somptueuse et fulgurante production de trois-cent contes et nouvelles, de sept grands romans, de trois pièces de théâtre et d’un volume de vers, figurent précisément trois livres de voyages issus de ces escapades : Au Soleil (1884), Sur L’Eau (1888), La Vie Errante (1890). Nous ajoutons à ces recueils, les chroniques de voyage qu’il publia dans différents journaux ainsi que quelques contes à saveur exotiques tels que Allouma, Marroca, Mohammed-Fripouille, Un Soir.
Comment, à travers un va-et-vient entre l’Autre et soi-même, Maupassant oscille-t-il entre le journalisme politique, qui se rapproche beaucoup de la littérature « coloniale », et l’effet littéraire caractéristique de la littérature « exotique » ?
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- Du réel à la fiction : une écriture exotique
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le récit de voyage comme genre littéraire fait cohabiter l’imaginaire et le réel. Il se caractérise par une tension entre, d’une part, le désir des voyageurs de restituer par l’écriture la réalité qu’ils observent et, d’autre part, la nature littéraire de leur projet qui les incite bien souvent à privilégier une dimension fictive de cette réalité au détriment des données objectives.
- Les marques du voyage : le récit d’une aventure réelle
Contrairement au roman, la pratique du récit de voyage privilégie le réel à la fiction. En effet, elle vise à reproduire le plus fidèlement possible une réalité extérieure sous ses multiples aspects (géographique, social, politique, esthétique). Ainsi, le réel laisse ses empreintes à travers les repères spatio-temporels qui donnent de la crédibilité aux récits, présentés comme des voyages réels. Dans chacun des récits, un itinéraire est esquissé ou retracé. Dans Au Soleil, par exemple, on observe les villes traversées qui sont autant d’étapes du voyage et servent de maillons à la chaîne linéaire du récit. La plupart des chapitres porte pour titre des noms propres de lieux : « Alger », « La province d’Oran », « La province d’Alger », « Le Zar’ez », « La Kabylie-Bougie ». Un seul chapitre fait exception, prenant pour titre un nom propre de personne, « Bou-Amama ». Ces toponymes manifestent le souci de donner l’illusion du réel et placent d’emblée les étapes du voyage au premier plan. On assiste alors à l’énumération de lieux traversés qui pourraient se réduire à une carte géographique authentique sur laquelle on aurait tracé l’itinéraire réel et où l’auteur fait office de guide comme dans le chapitre « La province d’Oran » : « Pour aller d’Alger à Oran il faut un jour en chemin de fer » (Au Soleil), ou dans le dernier chapitre « Du Chabet jusqu’à Sétif ». Ce procédé est semblable dans les nouvelles d’Afrique comme dans Marroca où il situe géographiquement Bougie lors de l’incipit. Ainsi, les noms propres donnent une assise pseudo-réaliste à des récits où dominent justement l’étrangeté, ce qui met en valeur un effet de contraste. De plus, le voyageur n’hésite pas à décrire les villes et villages dans un exposé de géographie physique comme dans « La Kabylie-Bougie » :
« Nous voici dans la partie la plus riche et la plus peuplée de l’Algérie. Le pays des Kabyles est montagneux, couverts de forêts et de champs. […] En sortant d’Aumale, on descend vers la grande vallée […] Là-bas se dresse une immense montagne, le Djurjura. Partout, sur les sommets moins élevés, on aperçoit des villages qui, de loin, ont l’air de tas de pierres blanches. D’autres demeurent accrochés sur les pentes ».
À cela s’ajoutent des expressions temporelles qui rythment et permettent de rendre vraisemblable le voyage en l’inscrivant dans une durée. Nous le voyons dans les nouvelles où le temps est central : « vers une heure de l’après-midi, vers six heures du soir » (Mohammed-Fripouille). De même, le premier chapitre d’Au Soleil donne la date effective du départ de Maupassant pour l’Algérie : « Je quittai Paris le 6 juillet 1881 » et, tout au long, des indications relatives charpentent le récit : « nous sommes partis deux jours plus tard », « Le soir de ce même jour », « Une nuit encore ». Dans Sur l’eau, les repères temporels, qui vont du 6 au 14 avril 1887, accompagnent le cheminement du voyageur. Ils sont souvent présentés à l’image des carnets de voyage, ils sont placés en exergue. Ce récit de voyage donne parfois l’illusion d’une écriture prise sur le vif au moment du voyage, en adoptant la typographie des notes de route et en créant un effet de spontanéité et d’authenticité avec l’utilisation du présent d’énonciation qui fait coïncider le temps de la narration et le temps de l’écriture. On observe également la récurrence du présentatif « voici » et des connecteurs logiques qui attestent le récit de voyage d’une allure réaliste : « Voici, en quelques lignes, l’origine apparente de l’insurrection », « Voici comment on procède » (Au Soleil).
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