Lecture analytique : la rencontre, l'Education Sentimentale
Commentaire de texte : Lecture analytique : la rencontre, l'Education Sentimentale. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Léa. 1.2.3 • 30 Janvier 2019 • Commentaire de texte • 1 965 Mots (8 Pages) • 10 061 Vues
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Introduction :
C’est en 1869, que Gustave Flaubert, le chef de file du réalisme, publie l’Education Sentimentale. Ce roman, retrace le parcours initiatique à Paris de Frédéric Moreau, un jeune homme qui verra la réalité couverte par un voile romantique qui sublimera sa vision. Il échouera ainsi dans toutes ses entreprises amoureuses, politiques et professionnelles. Le roman et l’extrait que je vais analyser est probablement inspiré des amours de l’auteur, et notamment de la passion de Flaubert pour Elisa Schlesinger. Ce passage, est extrait du chapitre 1 de la première partie et relate la rencontre entre Madame Arnoux et Frédéric Moreau, sur un bateau qui va à Nogent.
- En quoi cette scène annonce-t-elle une histoire d’amour impossible ?
- Comment le regard de Frédéric structure-t-il cette scène ?
- En quoi cette scène de rencontre est-elle un coup de foudre ?
- Quelle vision de madame Arnoux est présentée dans ce passage ?
- Quel regard Flaubert porte-t-il sur son héros ?
- Une scène perçue par le regard et la conscience de Frédéric
- Madame Arnoux, une femme idéalisée et inatteignable
- La vision ironique de Flaubert
Un coup de foudre unilatéral
- Une scène perçue à travers le regard du héros
- Scène structurée par le regard du personnage : champ lexical de la vision « apparition » (l.1), « distingua » (l.2), « yeux » x2 (l. 3 et 27), « regarda » (l.4) « observer » (l.11), « avait vu » (l.12), « considérait » (l. 13)
- De nombreux détails viennent appuyer le regard attentif que le personnage porte sur la scène qui se déroule : détails de couleurs : « rubans roses » (l.5) ; « bandeaux noirs » l.5-6), « tachetée de petits pois » (l.7) ; détails de formes : « large chapeau » (l.5), « grands sourcils » (l.6), « ovale de sa figure » (l.7) ; détails de textures : « paille » (l. 5), « mousseline » (l. 7)
- Cependant : regard de Frédéric est limité car Frédéric est ébloui : « dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux » (l.2-3) et son champ de vision est réduit à celle de madame Arnoux : « il ne distingua personne » (l.2) → détachement du monde réel.
- Une scène perçue à travers les pensées de Frédéric
- En plus d’avoir accès à ce que voit Frédéric, nous avons accès à ce qu’il pense : focalisation interne → ce point de vue est mis d’emblée mis en évidence : « ce fût comme une apparition » (l.1) et des verbes de perception dont Frédéric est le sujet : « il la regarda » (l.4), « jamais il n’avait vu » (l.12).
- Discours indirect libre « quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé » (l.14), « elle avait ramené des îles cette négresse avec elle ? » (l.21)→ Focalisation prend la forme d’un monologue intérieur → Plongé dans l’intériorité du personnage
- Vocabulaire de l’affectivité qui souligne les émotions de Frédéric « palpitaient » (l.5), « splendeur » (l.12).
- Cette scène, au travers de la focalisation interne, permet au lecteur de se plonger dans la tête de Frédéric et d’observer la scène à travers des yeux. Ce choix de focalisation permet à Flaubert de d’ores et déjà, annoncer le caractère unilatéral de cette rencontre. En effet, il est important de préciser que madame Arnoux est une inconnue et qu’elle ne semble pas avoir remarqué le jeune romantique. C’est une scène transformée par le regard de Frédéric, dont le voile romantique transfigure la réalité. C’est ce que nous allons à présent voir.
Une scène de rencontre sublimée et qui transfigure la réalité
- Le coup de foudre
Il est évident que cette rencontre est un véritable coup de foudre, au sens le plus fort du terme. Madame Arnoux apparaît ici comme une véritable divinité arrivée sur terre : « apparition » (l.1)
- Champ lexical de la lumière : « éblouissement » (l.2), « cette finesse des doigts que la lumière traversait » (l.12), « splendeur » (l.11) « claire » (l.7) : comme une sorte d’aura lumineux autour de madame Arnoux.
- L’expression : « l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux » confère un caractère magique à la scène. Comme si madame Arnoux avait jeté un sort à Frédéric, qui l’avait fait tomber amoureux.
- Utilisation d’hyperboles quand il traite des objets associés à madame Arnoux : « Jamais il n’avait vu » (l.12), « cette splendeur » (l.12) « une chose extraordinaire » (l.13)
- Le portrait de Madame Arnoux/ une représentation de la Vierge
- Ici, Frédéric est l’observateur et madame Arnoux, celle observée
→ Frédéric est en mouvement « il passait » (l.3), « il fléchit » (l.3), « quand il se fut mis plus loin » (l.4), « il fit plusieurs tours » (l.10).
→ Madame Arnoux est statique, figée comme un modèle : une statue : « elle était assise » (l.2), « elle gardait la même attitude » (l.10)
→ La description suit le regard de Frédéric, il contemple d’abord sa tête « chapeau » (l.5) et son visage : « sourcils » (l.6), « figure » (l.7), « son nez droit » (l.8), « son menton » (l.8) puis ses vêtements : « robe de mousseline claire » (l.7) et son corps : « sa peau brune » (l.12), « sa taille » (l.12), « ses doigts » (l.12).
- Dans cette description de madame Arnoux, on pourrait imaginer une représentation de la Vierge : assise, tête couverte « chapeau », « entourée de plis nombreux », comme les plis de son voile. Les couleurs : la dominante de bleu « toute sa personne se découpait sur le fond de l’air bleu » (l.9) et rose « rubans roses » (l.5) sont souvent associées aux représentations de la vierge.
- L’arrivée d’un enfant « une petite fille déjà grande » qui vient se poser sur les genoux de madame Arnoux « elle la prit sur ses genoux » (l.18).
- Madame Arnoux est représentée comme une femme indulgente et maternelle « on lui pardonnait trop ses caprices » (l.19)
- Madame Arnoux est dépeinte ici comme une divinité arrivée sur Terre et plus particulièrement comme la Vierge. La représentation faite ici peut faire penser aux représentations de la Vierge à l’enfant de Raphael. Sur ces tableaux, la Vierge est souvent représentée assise, sur un fond bleu, avec des rubans dans les cheveux et un enfant sur les genoux. De plus, lorsque l’on sait que prénom de madame Arnoux est Marie, il n’y a plus aucun doute, madame Arnoux est l’incarnation de la Vierge Marie dans ce roman.
- Madame Arnoux subit un processus d’idéalisation
- Femme magnifique, beauté physique : « peau brune » (l.12), « séduction de sa taille » (l.11)
- Femme intrigante dont Frédéric souhaite tout connaître : « Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé » (l.14). « Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu’elle avait portées, les gens qu’elle fréquentait » (l.14-15) → rythme ternaire. Curiosité poussée à l’extrême
- La moindre information devient une source de joie : « Frédéric se réjouissait d’entendre ces choses comme s’il eut fait une découverte, une acquisition ». Désir de possession maladif → Héros qui devient négatif, malsain
- La vision de cette femme est un véritable choc visuel. Madame Arnoux apparaît comme une œuvre d’art travaillée à la perfection, comme une divinité. Elle n’est pas seulement un fantasme pour Frédéric car son désir de possession est total, cela en devient presque malsain. Madame Arnoux l’a comme ensorcelé. Cependant, cela apparaît comme un amour impossible, qui traduit le pessimisme de l’auteur.
La vision critique et pessimiste de Flaubert sur le « sentimentalisme
- Un héros romantique critiqué et tourné au ridicule
- Flaubert met en scène un héros maladroit et met en valeur ses hésitations et ses manœuvres : « il fléchit involontairement les épaules » (l.4), « il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manœuvre » (l.10), « il affectait d’observer » (l.11).
- Frédéric cherche par tous les moyens à se rapprocher de madame Arnoux : « il se planta tout près de son ombrelle » (l.11) et à établir le contact avec elle : « Frédéric fit un bond et le rattrapa » → acte courtois, chevaleresque
- A la ligne 12, Flaubert émet, implicitement, un jugement, en utilisant la formule négative au plus-que-parfait : « jamais il n’avait vu », insistant ainsi sur son inexpérience et sa candeur.
- Frédéric s’extasie sur le matériel de broderie de madame Arnoux : « Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement » (l.13). Il y a un décalage entre l’objet et la force du sentiment qui souligne l’ironie.
- On peut supposer qu’en réalité, madame Arnoux se sent observée « en même temps qu’il passait, elle leva la tête » (l.3) cela accentue le ridicule de cette situation.
- Une idolâtrie et une rêverie nourrie par des hypothèses et des clichés : « il la supposait d’origine andalouse, créole peut être, elle avait ramené des îles cette négresse avec elle ? (l.21), « la peau brune » (l.12) → sensualité et exotisme.
- La vision du narrateur se confond avec celle de l’auteur. Flaubert montre ici un jeune homme maladroit, au comportement inadapté qui contraste avec le réel de la situation. L’auteur porte un regard ironique sur son personnage. Il est pessimiste et désabusé. Peut-être est-ce à cause de son expérience amoureuse avec Elisa Schlesinger ?
- Une rencontre qui annonce l’échec et une critique du sentimentalisme.
- Obstacle : intervention de la servante : rupture : sortie de la rêverie.
- Le terme « douloureuse » (l.16) renvoie à la douleur de la passion et à la souffrance qu’elle génère. C’est une scène proleptique car elle annonce d’ores et déjà la douleur et donc l’échec.
- Madame Arnoux est une inconnue : utilisation du pronom « elle », « il la supposait » (l.21), on ne découvre son identité qu’à la dernière ligne. Flaubert critique le sentimentalisme de Frédéric : il tombe amoureux d’une femme qu’il vient de rencontrer.
- « Leurs yeux se rencontrèrent » (l.27) : Elle le regarde : seul contact entre eux. « Se rencontrèrent » : ce n’est pas que leurs yeux qui se rencontrent c’est aussi eux deux : vraie rencontre → peut-être de l’espoir ? Effet de chute à la dernière ligne : « «ma femme es-tu prête » cria le sieur Arnoux apparaissant dans le capot de l’escalier » → tous les espoirs sont détruits.
- Flaubert détruit tous les espoirs de Frédéric et le confronte à son romantisme poussé à l’extrême.
Conclusion :
Cette scène de rencontre est bien annonciatrice d’une relation vouée à l’échec. En effet, ce coup de foudre non réciproque n’est représenté que par la vision fantasmée et exagérée de Frédéric en décalage avec le monde réel. De plus, madame Arnoux est représentée ici comme une femme sublime et inaccessible. Sa personne, et tout ce qui se rapporte à elle est idéalisé. Cette femme est même représentée comme une figure divine : celle de la vierge Marie. Enfin, le narrateur dont la vision est mélangée à celle de l’auteur, est pessimiste et désabusé : il ne croit pas en cette relation. Il tourne ainsi ce jeune homme romantique et maladroit en un jeune homme totalement ridicule et en décalage avec la réalité. C’est une critique du sentimentalisme qui est faite ici et qui voue cette passion à l’échec.
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