Lecture analytique de l'extrait de la lettre de Gargantua à Pantagruel
Commentaire d'oeuvre : Lecture analytique de l'extrait de la lettre de Gargantua à Pantagruel. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar LOLILOL9996 • 15 Février 2018 • Commentaire d'oeuvre • 2 761 Mots (12 Pages) • 3 215 Vues
Littérature
Lecture analytique de l'extrait de la lettre de Gargantua à Pantagruel
Rabelais, Pantagruel, 1532
Texte bac n°1
Introduction :
Tour à tour moine, médecin, écrivain, François Rabelais, érudit et humaniste français du XVIème siècle est l'auteur de romans facétieux, à la fois parodiques et réalistes, mettant en scène des géants. Gargantua (1534) et Pantagruel (1532) entre autres, inspireront toute la littérature française.
L'extrait étudié est issu de Pantagruel. Venu à Paris pour s'instruire et se former en compagnie d'Epistémon, le jeune Pantagruel reçoit une lettre de son père, Gargantua, dans laquelle ce dernier l'engage à acquérir "tout le savoir humain".
En quoi le programme d'éducation ambitieux établi par Gargantua pour son fils est-il une véritable profession de foi humaniste ?
Dans un premier temps nous montrerons que cette lettre d'un père à son fils est avant tout un ambitieux programme d'études. Nous étudierons ensuite l'ampleur et les méthodes de ce programme pédagogique, pour nous demander enfin en quoi cette lettre est aussi et surtout profondément humaniste.
- Le programme de Gargantua :
Dans ce premier axe, nous allons montrer en quoi la lettre de Gargantua à son fils Pantagruel est en réalité un programme d'études et d'éducation.
- La lettre d'un père à son fils : Étude des marques de l'énonciation : l'auteur de la lettre (cf. Signature), le destinataire ("mon fils" l. 21 et l. 71). Rappel : la lettre, bien qu'adressée à un absent, utilise le discours direct, créant ainsi une sorte de dialogue fictif. On note la présence des deux pronoms personnels "Je" et "Tu" dans l'ensemble du texte, instaurant cette illusion de dialogue entre les deux protagonistes. La lettre nous renseigne ainsi sur les relations entre les deux protagonistes : la tendresse du père se manifeste à plusieurs endroits : l'appellation "mon fils" en témoigne, comme le rappel de l'enfance de Pantagruel : "je t'en ai donné le goût quand tu étais encore jeune, à cinq ou six ans" l.32 et la constatation l. 50 : "maintenant que tu deviens homme et te fais grand". Le terme "bénédiction" l. 68, et la formule finale de la lettre, qui s'achève comme une prière, un sermon ou une bénédiction : "Amen", témoignent également du profond souci et soin qu'a Gargantua de son fils, endossant auprès de lui tour à tour les rôles de père, de professeur et de guide spirituel et moral : on note d'ailleurs que Gargantua n'hésite pas à s'ériger en exemple des lignes 15 à 20, afin de convaincre son fils d'obéir à sa volonté de le voir devenir érudit.
- L'expression des (dernières?) volontés de Gargantua : Cette lettre est celle d'un père vieillissant : "de mon vivant" l.5, "de mon temps" l. 13, "à mon âge" l. 15 qui se sait à son déclin : l. 20, et l. 68, déclin qu'il oppose à la "jeunesse" de son fils l. 21. Cette lettre peut se lire comme le testament de Gargantua qui dicte ses volontés et fait des recommandations au fils appelé à lui succéder à la tête du royaume d'Utopie. Ses objectifs sont clairement énoncés à deux reprises : l. 21: "C'est pourquoi, mon fils, je t'engage à bien progresser en savoir et en vertu" et l.49 : "En somme, que je voie en toi un abîme de science". Gargantua veut que Pantagruel devienne à la fois un homme sage et bon, et un savant, digne de régner en Utopie. En observant les marques du discours direct, on remarque la prédominance du présent (indicatif, impératif, subjonctif) et l'abondance de phrases injonctives (l. 25, l. 29, l. 33 à 35, l. 36, l. 38, l. 43, l. 46, l. 49, l. 54, l. 59, l. 62, à l. 69) : il s'agit donc moins d'échanger que de prodiguer recommandations, injonctions et conseils. Gargantua exprime fortement ses souhaits et sa volonté : "Je veux", se posant ainsi non seulement en père, mais aussi en Roi.
- Un programme d'études : De la ligne 25 à la ligne 57, Gargantua énumère la liste des connaissances à acquérir par son fils. Cette liste impressionne par l'abondance et le foisonnement des matières : les langues anciennes et orientales l.25, les arts libéraux l. 32, le droit et la philosophie (l. 36), la connaissance de la nature l. 38, la médecine l. 43, la lecture dans le texte du Nouveau et de l'Ancien Testament. Il s'agit d'acquérir un savoir complet qui brasse toutes les disciplines : lettres et sciences, connaissance des textes sacrés, maniement des armes l. 51. Cette idée est résumée dans une formule restée célèbre : "que rien ne te soit inconnu" l. 42. Cette liste n'est pas pour autant désordonnée, elle semble au contraire organisée selon une progression : la typographie du passage découpé en petits paragraphes le montre. La connaissance des langues anciennes (les lettres humaines ou ce qu'on appellera plus tard les Humanités) est la base de cet enseignement puisqu'elle va permettre l'acquisition de toutes les autres connaissances. Le corps n'est pas oublié dans ce programme, avec le maniement des armes (cf. l'exaltation du corps à la Renaissance). Un programme de travail donc, extrêmement complet et exigeant.
Nous l'avons vu cette lettre multiplie les injonctions et les recommandations afin de garantir à Pantagruel la meilleure formation possible. Nous allons maintenant nous pencher sur le contenu du programme et la méthode préconisée par Gargantua.
- Acquérir « tout le savoir humain » :
Dans cet axe il s'agit de montrer l'ampleur du programme établi par Gargantua et la méthode à employer.
- L'exemple des Anciens : La Renaissance on le sait, redécouvre l'Antiquité et le savoir des Anciens qui deviennent dès lors des modèles de pensée, d'écriture et d'éducation. Aussi l'éducation de Pantagruel doit se fonder sur une parfaite connaissance de l'Antiquité. Il s'agit d'abord de maîtriser parfaitement les langues anciennes et surtout le grec, considéré comme la base de toute éducation et la porte d'entrée de connaissances variées ( l. 2, l. 26, l. 43, l. 47). Les références antiques abondent dans le texte : Gargantua convoque Platon (L. 8, l. 28) et Cicéron (l. 8, l. 29) comme des modèles absolus à imiter. D'autres grandes figures de l'Antiquité apparaissent (Papinien, l. 9, Caton l. 16, Quintilien l.26). De la ligne 18 à 19, Gargantua énumère une série de grandes œuvres de l'Antiquité qu'il érige en références et qui inspireront la Renaissance. Les 78 traités de Plutarque sur divers sujets et écrits de manières diverses, les Dialogues philosophiques de Platon, l’œuvre complète de Pausanias (archéologue et voyageur), celle d'Athénée (érudit et grammairien). Deux visions du savoir sont proposées dans le texte : la première exige que pour former un érudit humaniste "dans l'atelier de Minerve" (on notera la métaphore mythologique), il faut acquérir un savoir complet : « tout le savoir humain » précise Gargantua. La deuxième est qu'il n'y a pas d'âge pour apprendre.
- Un savoir vertigineux : L'éducation que Gargantua souhaite pour son fils dépasse les connaissances antiques et embrasse tous les champs du savoir. Le champ lexical du savoir parcourt tout le texte : l. 1, l. 3, l. 6, l. 7,l. 9, l. 11, l. 12, l. 15, l. 16, l. 22, l. 23, l. 25, l. 29, l. 34, l. 36,l. 38, l. 45, l. 49,l. 67 de manière obsessionnelle. Les conjonctions de coordination "et" et "puis" abondent dans le passage : l. 26, l. 28, l. 30,l. 36, l.38, l. 40, l. 43, l. 44, l. 46, l. 47, l. 54, l. 56, comme si Gargantua n'en finissait plus d'énumérer et d'ajouter encore aux exigences précédentes. Le foisonnement du style ajoute à la densité du programme qui semble ne pas avoir de fin et produit un effet de vertige voire d'épuisement, correspondant parfaitement à la notion d'abîme, évoquée l. 49. L'exigence de Gargantua ne concerne pas uniquement l'ensemble des disciplines à travailler. Il s'agit de tout connaître de manière exhaustive. Divers procédés d'écriture nous le montrent dans le texte. On note ainsi l'adverbe "parfaitement" l. 25, et l'adjectif "parfaite" l. 45. qui sous-entendent l'idée de totalité présente dans tout le passage comme les doubles négations injonctives l. 29, l. 39. On remarque la présence de l'adjectif indéfini "tout" l. 34, en anaphore l. 39 à 42, et encore l. 55. Les ambitions de Gargantua s'expriment aussi dans les nombreuses énumérations, l. 39 à 42, l. 43, et dans l'utilisation systématique du pluriel matérialisé par l'article "les".
- La méthode : L'apprentissage se fait d'une part par le « par cœur » et l'imitation des Anciens : innutritio. Il s'agit d'abord de faire allégeance à la somme des connaissances existantes : l. 25, l. 28, l. 30, l. 34, l. 36. Cependant, le savoir ne doit pas être uniquement livresque et théorique : la pratique et l'expérience y ont leur part : l. 37, l. 38, l. 45. L'enseignement est double comme le formule Gargantua à la ligne 23 (analyse). Pantagruel doit être acteur de son éducation : L. 21 « employer ta jeunesse à bien progresser ». L'idée de progrès est primordiale car c'est à Pantagruel de se former le jugement et de savoir quelle est sa valeur. Aussi son apprentissage doit se solder par une confrontation avec autrui, l. 54 (analyse). Pantagruel doit prendre sa place dans le monde érudit de la Renaissance : l'idée est déjà exprimée dans le premier paragraphe l. 10. Le savoir est ainsi conçu comme une vertu sociale. De plus il s'agit de mettre en application ces connaissances : étude l. 49 à 53. Apprendre c'est se former : l. 24, l. 28 et réfléchir, mais c'est aussi entrer dans la vie et dans ses aléas, comme la guerre.
Ce programme admirable exprime un idéal des humanistes de la Renaissance : former, par une éducation ambitieuse, un homme complet, un érudit humaniste. Il s'agit d'une éducation parfaite, aristocratique, élitiste, qui rend hommage au savoir et à la sagesse humaine. En ce sens, cette lettre traduit les espérances et la profonde foi en l'homme qui anime les humanistes de la première moitié du XVIème siècle.
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