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"La géante", Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857

Fiche de lecture : "La géante", Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  30 Mai 2022  •  Fiche de lecture  •  1 870 Mots (8 Pages)  •  2 819 Vues

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BAC lecture linaire 2, "La géante", Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857

"La Géante" se trouve dans la première grande section du recueil, "Spleen et Idéal"; plus précisément, dans une série de poèmes qui se consacrent à la question de la beauté (poèmes 17 à 21, de "La Beauté" à "Hymne à la beauté"). Dans le sonnet précédent, le poète définit son idéal : ce ne sont pas les "beautés de vignette" du XIXe siècle, mais plutôt des figures sombres, tragiques et somptueuses comme Lady Macbeth ou la "Nuit" de Michel Ange (-statue en marbre), dont les charmes semblent "façonnés aux bouches des Titans" (vers 14), "La Géante" semble remplir ce programme esthétique : ce sonnet met en effet en scène une figure féminine monstrueuse et démesurée, comme l'indique d'emblée le titre qui crée un horizon d'attente plutôt inquiétant pour le lecteur. Choisir une géante comme support d'une rêverie à l'érotisme diffus n'est pas la seule singularité de ce sonnet : celui-ci se déploie en effet sur 6 rimes et non pas 5, et ne reconduit pas la traditionnelle opposition entre les quatrains et les tercets.

 En effet, on peut identifier deux parties dans ce sonnet, en se fondant notamment sur la syntaxe d'un poème qui ne comporte que deux phrases. La première partie, qui est aussi la première phrase et le premier quatrain, plonge le lecteur dans un passé mythique où le poète affirme son souhait curieux : vivre "auprès d'une jeune géante". La deuxième partie serait alors la deuxième phrase, qui se développe sur le deuxième quatrain et les tercets et qui, structurée par différents verbes à l'infinitif ("voir", "deviner", etc), développe l'objet de cette rêverie.

 > il s'agira donc d'étudier la façon dont le poète joue avec la tradition du sonnet amoureux en se donnant le défi d'enfermer une réalité démesurée dans une forme poétique des plus concises.

 I) Dans le premier quatrain, on découvre l'affirmation d'un souhait étrange, prenant place dans un passé mythique :

 - ce premier quatrain se compose d'une seule phrase en rimes croisées - notons que ce n'est pas le schéma de rimes le plus courant : on retrouve en effet plus généralement des rimes embrassées dans les quatrains des sonnets.

- Le poète y affirme : "J'eusse aimé vivre auprès d'une jeune géante" l'utilisation du conditionnel donne un caractère nettement soutenu à ce souhait curieux, le personnage du géant suscitant traditionnellement la crainte. La mention de la "jeunesse" de la géante, créant une allitération en [ji], nuance à peine l'inquiétude que peut provoquer ce type de créature.

 - Un tel souhait ne peut être réalisé qu'à l'intérieur d'un cadre mythique, construit au début du poème passé dans les deux premiers vers. Cette subordonnée circonstancielle de temps "du temps que la Nature en sa verve puissante / Concevait chaque jour des enfants monstrueux" plonge en effet le lecteur dans la nostalgie d'un passé immémorial et mythique, paradis à jamais perdu du poète.

 - La "Nature" y est représentée selon l'allégorie traditionnelle d'une terre maternelle, donnant naissance à des "enfants" mentionnés au vers 2. Le poète insiste sur sa capacité démiurgique hyperbolique. La majuscule sur le nom commun "nature" participe de cet effet de grandissement, tout qui donne comme la mention de la "verve" (signifiant inspiration, création), l'épithète "puissante", la précision de temps "chaque jour" et le pluriel des "enfants" auxquels elle donne naissance. L'impression créée est celle d'une grande fécondité.

- Mais la Nature semble cependant ici une créatrice à contre-emploi de son rôle traditionnel : elle ne donne en effet naissance qu'à des enfants "monstrueux". Or, le sens de l'adjectif "monstrueux" renvoie à ce qui est précisément contre-nature, de l'ordre du difforme et de l'anormal. C'est à une nature tératogène (=créatrice de monstre) que nous avons alors affaire, cette figure de la création monstrueuse évoque de manière symbolique le poète, lui aussi caractérisé par la production de textes monstrueux...

- le quatrain se clôt sur une comparaison qui décrit la posture du poète. Cette comparaison l'animalise nome puisqu'elle le rapproche de l'animal fétiche de Baudelaire, le chat, souvent associé à une forme de sensualité : c'est bien le cas ici, comme le souligne l'adjectif "voluptueux" qui comporte une diérèse allongeant ses sonorités. Si le poète est animalisé, la géante est idéalisée, désignée comme "reine". L'expression "aux pieds de" qui revient à la fin du sonnet de manière imagée, met en valeur la  soumission du poète en reprenant dans ce cadre monstrueux les codes amoureux hérités de l'amour courtois médiéval.

 II Dans la deuxième partie du sonnet, le poète déploie sa rêverie en une longue phrase qui court sur les trois dernières strophes. L'érotisme y est à la fois développé puis contenu jusqu'à la fin du sonnet qui se termine sur une rêverie quasiment maternelle.

Cette deuxième partie est en effet constituée d'une longue phrase découpée en quatre propositions juxtaposées, où se multiplient les verbes à l'infinitif, compléments de la formule répétée "j'eusse aimé": "voir". "grandir", "deviner", "parcourir",) "ramper" et "dormir"; ainsi que les évocations des parties du corps de la géante, toujours précédées de possessifs ("son corps", "son âme", "son coeur", "ses yeux", "ses formes", "ses genoux", "ses seins"). On remarque un mouvement qui fait passer de verbes de perception ou réflexion ("voir", "deviner") à des verbes supposant un contact: "parcourir", "ramper", ce qui accentue la dimension érotique du poème, culminant avec la mention des "seins" au vers 131; celle-ci est cependant atténuée par le dernier tercet qui met en évidence le verbe "dormir", renvoyant plus à une idée de bercement que de fièvre amoureuse.

 le deuxième quatrain présente la singularité d'introduire une 3e rime, la rime C en [am] : on identifie alors un jeu de Baudelaire avec les règles d'écriture du sonnet (normalement sur les quatrains 2 sons seulement, rimes A et B). Le sonnet lui-même ne devient pas difforme, mais semble gagné par la démesure qui caractérise son objet.

 -Ce 2e quatrain est une strophe dans laquelle l'érotisme potentiel reste contenu puisqu'il n'est pas rapporté de contacts entre le poète et la géante. Le poète s'y caractérise avant tout par sa curiosité envers la géante ("voir"/"deviner"). Celle-ci est présentée de manière complexe : si elle possède "corps", "âme" et "coeur" comme tout être humain, elle n'en garde pas moins des proportions inquiétantes, qui sont rappelées par l'usage de l'adjectif "terribles" qui caractérise ses "jeux" (jeux à comprendre dans l'innocence de la jeunesse, ou déjà dans la sensualité d'une géante qui a grandi....). La métaphore verbale "fleurir" utilisée pour désigner sa croissance participe de plus à la transformer en élément du paysage, tout en créant un écho évident avec le titre du recueil.

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