Commentaire composé La leçon, Ionesco
Commentaire de texte : Commentaire composé La leçon, Ionesco. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Feriel_laafif • 3 Mars 2019 • Commentaire de texte • 2 014 Mots (9 Pages) • 8 363 Vues
Commentaire littéraire de La leçon, Ionesco (1951)
Le théâtre du XXème siècle subit des crises ainsi que des renouvellements modernes. La Leçon, pièce de théâtre écrite par Eugène Ionesco en 1951, s’inscrit dans le mouvement du théâtre de l’absurde. Après la seconde Guerre Mondiale, les dramaturges privilégient l’expression du sentiment de l’absurdité de la vie, c’est d’ailleurs un thème majeur qui influe même sur la forme des œuvres qui perdent parfois toute cohérence logique. Ionesco, né d’un père roumain et d’une mère française, est l’auteur de plusieurs ouvrages de réflexion sur le théâtre et notamment d’une « anti-pièce » : La Cantatrice Chauve. L’extrait à étudier est la scène d’exposition de La leçon. Ainsi, en quoi cette scène d’exposition témoigne de son originalité ? On verra d’abord l’importance des didascalies, puis on passera à l’aspect insolite du dialogue.
Dans un premier temps, on peut remarquer le rôle important des didascalies.
En effet, il y a un accès à des informations concernant le décor, avec une grande précision des éléments et de leur disposition. En effet, cette disposition du lieu scénique est organisée autour des portes et fenêtre. On peut le voir avec notamment les compléments de lieu "à droite/ à gauche /au fond", avec l’énumération des meubles et de leur place sur la seine qui est jusqu'au pot de fleurs et la vue sur la ville, mais aussi avec l’impression qui se dégage de ce décor. En effet, il y a d’abord une grande banalité que l’on voit avec les adjectifs de l’intérieur : “simple / banale rustique", mais aussi de l’extérieur avec les toits rouges et le ciel bleu gris. Cette description renvoie au milieu social modeste du professeur, mais aussi à une impression de symétrie, notamment des portes, des chaises, ou encore du rangement des livres. Ce lieu, décrit avec les moindres détails se trouve être un lieu clos et unique. En effet, les portes et fenêtre ne permettent pas un accès direct à l'extérieur ; d’ailleurs, la porte de sortie sera fermée à clé plus tard. C’est un lieu où évoluent les trois personnages en fonction de la chronologie… Cet endroit renvoie à une certaine unité de lieu, mais aussi à une unité de temps qui rappellent la tragédie. Le décor est rendu inquiétant par les jeux de scène : on a accès à une ouverture sur une scène vide et silencieuse avant l'arrivée de la bonne, puis, avant l'arrivée du professeur à une impression de longueur soulignée par les attitudes de la jeune fille. En effet, l’élève est impatiente puisqu’elle sonne deux fois, veut réviser la leçon et a des regards sur le décor. Le vide et le silence avec les termes « courant / coup de vent » contrastent avec les attitudes de le bonne “bruits de pas », « de portes », « elle s'essuie les mains », qui donnent l’impression d'assister à une action en hors scène mais qui reste assez mystérieuse ; en effet, que fait le professeur pendant les deux minutes ? Le décor qui a quelque chose d'inquiétant tient trop de place dans la scène, il est trop organisé, trop banal, trop fermé à la fois sur l'extérieur et sur ce qui se passe à l'intérieur. Néanmoins, on ne ressent pas directement cette inquiétude à cause de la banalité apparente du lieu, puisque l’on ne comprendra qu'à la fin de la pièce l'importance tragique du lieu. De plus, la suppression de la fenêtre seulement évoquée par le regard du professeur, qui commente le temps qu'il fait au-dehors et ajout d'une porte vers une autre pièce de l'appartement renforcent l'effet de clôture. En effet, la mise en scène fait que la porte d'entrée n'est pas la porte de sortie et que la jeune fille reste dans le hors scène de l'appartement.
Dans un deuxième temps, les infos sur les personnages présentes dans les didascalies rendent comptent de leur importance. Tout d’abord, les personnages sont ce qu’on appelle des « personnages-types ». En effet, ces personnages n’existent qu’à travers leur fonction sociale. Ainsi, le professeur, l’élève et bonne sont anonymes. Les infos sur leur costume renforcent cette impression : ils sont en quelque sorte une caricature de leur fonction. En effet, l'élève avec son tablier, son col blanc et sa serviette correspond bien à l'image qu'on a de la bonne élève bien sage et studieuse. Le professeur porte aussi le costume traditionnel de l’enseignant des années 50 avec sa « barbiche », ses « lorgnons », sa « blouse noire » et son « faux col blanc ». Enfin, la bonne aussi est une représentation classique de la domestique d’antan avec sa « coiffe » et sa face « lourde », « rougeaude » de paysanne. Ainsi, les personnages représentent des différentes catégories sociales : par leur âge (trois générations) et par leur milieu social. En effet, la bonne représente le peuple plutôt mal considéré par les autres personnages. La jeune fille, elle, appartient à la haute société et en témoignent ces dires : « mes parents sont assez fortunés », ainsi que son ton supérieur et quelque peu arrogant. Quant au professeur, il représente la petite bourgeoisie intellectuelle, d’où la « calotte noire » sur la tête du professeur qui rappelle la coiffure des prêtres à l'époque associant ainsi le professeur et le prêtre. Ce sont des personnages banals, des caricatures plus que des individus : ils ne sont ni héros, ni monstres, et, à priori, ni tragiques ni comiques, de la vie quotidienne qui n'annoncent pas un drame. Ils renvoient à une image d'une société ordinaire. Néanmoins, c’est cette image qui va être immédiatement détruite par la longue didascalie qui accompagne l'entrée en scène du professeur. On pourrait ajouter que la mise en scène a modernisé les costumes. En effet, il s'agit d'actualiser la scène de façon à conserver la banalité de personnages contemporains par rapport au spectateur ; le choix même d'un acteur populaire comme Roger Hanin conforte l'image d'un professeur "normal".
Dans un troisième temps, la didascalie permet une description pertinente sur l'évolution de la pièce : la didascalie est longue, ce qui est tout à fait inhabituel au théâtre : en effet, on attendrait ces indications réparties au fil du texte dans la mesure où elles donnent des indications s'adressant au metteur en scène et aux acteurs (modifications des expressions, des voix, des comportements). Elle crée une rupture entre le spectateur qui ignore cette didascalie et le lecteur qui la lit et pour qui elle crée un effet de surprise. D’ailleurs, elle va même jusqu’à casser l'image des personnages banals et ordinaires en révélant leur évolution vers un drame. Cette évolution suscite la curiosité puisque les mots inquiètent sans vraiment révéler un drame, on peut le voir avec ces termes : « geste fatal », « frayeur indicible » et « lubrique ». De plus, elle traduit l'importance et la fonction de la mise en scène pour Ionesco : il sait que le spectateur va voir et entendre l'évolution des personnages et que le lecteur, qui s'attache d'abord aux mots, risque de ne pas prêter une attention suffisante à une évolution "insensible" des personnages. Ainsi, la didascalie a pour fonction d'attirer son attention sur la progressivité des modifications, donc sur les évolutions présentes. L'intérêt d'introduire cette didascalie dans le texte est d’abord de jouer un peu le rôle du "chœur" dans la tragédie antique qui annonçait le drame et la fatalité qui pesaient sur les personnages et auxquels ils ne pouvaient échapper. La pièce, malgré sa banalité apparente sera une tragédie. Tout est joué d'avance. La didascalie annonce le thème de l'action : ce n’est pas seulement une leçon "scolaire" mais une réflexion sur Ies relations dominant/dominé puisqu’on a un renversement du pouvoir : l'élève arrogante au début devient un objet à la fin alors que le professeur timide au début devient menaçant à la fin. Loin de révéler la suite, cette longue didascalie intrigue en attirant l'attention sur l'ambiguïté de la pièce : comment et pourquoi un banal cours particulier peut-il évoluer en drame ? Le lecteur averti lit le texte à la recherche d’indices susceptibles d'éclairer la réponse. Et le spectateur qui n'a pas lu préalablement le texte va être invité à le lire pour y chercher ces indices qu'il n'avait pas perçu au début du spectacle.
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