Commentaire Albert Cohen la belle du seigneur
Commentaire de texte : Commentaire Albert Cohen la belle du seigneur. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Agatheh07 • 2 Mai 2018 • Commentaire de texte • 3 083 Mots (13 Pages) • 10 163 Vues
Albert COHEN, BELLE DU SEIGNEUR
Depuis : « Elle aspira de l’éther » jusqu’à « le savait depuis longtemps ».
Introduction
Le roman, genre méprisé à ses débuts, s’est imposé depuis son apogée au XIX° siècle comme le genre privilégié de la littérature. On y retrouve des thèmes récurrents, parfois jusqu’au cliché, comme la passion amoureuse, sujet de nombreuses intrigues romanesques. Bien que ce thème ait déjà été largement exploité aux XVIII° et XIX° siècles, certains auteurs du XX° siècle ont su néanmoins le renouveler. Ainsi, Albert COHEN connaît un succès public de grande ampleur quand il publie en 1968 son œuvre majeure, Belle du Seigneur, qui relate la passion dévastatrice entre Ariane et Solal, les deux protagonistes du roman. L’amour absolu qui les lie les consume au point de les mener à un double suicide. Dans l’extrait présenté, nous assistons aux derniers instants d’Ariane, dans un texte narratif à la tonalité lyrique. Nous verrons tout d’abord comment le personnage revient sur ses sentiments amoureux dans un monologue intérieur (I). Puis nous analyserons le constat d’échec qui se dégage du texte (II) avant d’étudier l’inévitable chute (III).
.I. Un monologue intérieur
.1. Un amour passionnel.
Dans ce passage à la composition extrêmement rigoureuse, le lecteur accède aux souvenirs et à l’âme même d’Ariane, dans un monologue intérieur au style indirect libre qui restitue le flux spontané des pensées du personnage. Les relances constantes expriment l’élan même de l’âme, dans son désordre et dans sa fièvre comme si Ariane revivait en cet instant, sous l’effet de l’éther, cette passion qui l’unissait à Solal. De ce fait, tout l’extrait est placé sous la prédominance du registre lyrique.
C’est d’abord l’emploi du style indirect libre qui concourt grandement à l’impulsivité et la sincérité des souvenirs évoqués. On le constate par exemple aux lignes 4-5 : « Toujours, elle lui avait dit », aux lignes 6-7 : « Ta femme, elle lui disait à chaque arrêt », et aux lignes 18-19 : « Je ne peux pas sans toi, il lui disait, je ne peux pas». Le rappel des mots prononcés par l’un et l’autre manifeste la réciprocité de cet amour fusionnel, la parfaite harmonie du couple, ce que montre aussi la construction en miroir de certains passages, notamment aux lignes 19-20 : « et d’amour il pliait genou devant elle qui d’amour pliait genou devant lui ».
Le lyrisme de l’évocation se note aussi dans la répétition des mots avec des expansions croissantes qui en amplifient l’envolée, comme si Ariane s’accrochait à ces souvenirs et les précisait pour mieux s’en imprégner : l’adverbe « puis » qui relaie l’adverbe « ensuite » employé en deux occurrences à la ligne 5, est répété 3 fois aux lignes 7 et 8 ; le terme « les attentes » à la ligne 11 est prolongé et précisé par « à l’attendre » à la ligne 12. Le mot « télégrammes » est utilisé 4 fois des lignes 26 à 29, ce qui montre l’impatience mutuelle de se revoir et la souffrance de la séparation. Enfin l’émerveillement de cet amour se lit dans la répétition du mot « baisers », dont on note 9 occurrences aux lignes 15, 17, 20, 21, 22.
.2. Un chant sacré.
Le récit prend en effet les allures d’un poème lyrique en prose, dont la caractéristique essentielle, telle que la définit Baudelaire est d’être apte à traduire « les ondulations de la pensée, les soubresauts de l’âme ». Les mots, de fait, semblent rebondir les uns sur les autres, par un jeu d’associations rythmiques, sonores, ou encore d’associations d’idées. Les associations rythmiques se voient notamment dans les reprises syntaxiques, binaires ou ternaires telles que : « le petit salon / son petit salon » (lignes 1-2) ; « à se regarder, à se parler, à se raconter à l’autre » (ligne 15). Les associations sonores se marquent par des expressions telles que : « leur amour. / Toujours » (lignes 4-5) ; « quittée avec tant de baisers » (lignes 16-17) ; « grands baisers battant l’aile / ne pouvait pas sans elle » (lignes 21-23). Enfin les associations d’idées se révèlent dans les précisions, notées par des extensions syntaxiques, qu’entraîne l’évocation de certains termes : « tant de baisers reçus et donnés, oui, les seuls vrais de sa vie… » (lignes 15-16) ; « et il restait […], restait des heures […] et c’était l’amour. » (lignes 22-24).
Le texte s’apparente donc à un véritable chant, comme le suggère dès le premier paragraphe le mot « choral » (ligne 5). Ce terme connote la dimension religieuse d’un cantique, un hymne à l’amour, et ce, d’autant plus que la passion des deux personnages semble relever du sacré, dans les attitudes comme dans les mots. Tout d’abord, l’emploi récurrent du « Ô », qui rappelle les invocations dans les prières et qui émaille régulièrement le texte, aux lignes 1, 10, 14, 18, 27, 29, donne au texte une connotation religieuse : les termes associés à ce « Ô » paraissent sanctifiés dans la mémoire d’Ariane. D’autres procédés ajoutent à la solennité presque mystique du chant de l’héroïne : la génuflexion (« il pliait genou devant elle […] qui pliait genou devant lui », aux lignes 19-20), signe de respect et de soumission, rappelle le rite de la messe chrétienne au moment de l’Eucharistie. De plus, Solal est qualifié par Ariane comme un être surnaturel (« le merveilleux », ligne 22-23) et même divin : « roi divin » (ligne 31). Tous deux sont décrits comme « religieux » à la ligne 19, et Ariane célèbre le retour de l’être aimé, le retour « sacré » (l. 30) en chantant « l’air de la Pentecôte » (ligne 31), ce qui fait référence au septième dimanche après Pâques, jour où l’Esprit Saint est descendu sur les Apôtres. De la même manière, pour Ariane, l’amour absolu semble être descendu sur elle. Nous sommes donc bien dans l’évocation d’une passion, mais au-delà du sens courant que prend ce terme de nos jours, c’est-à-dire un amour immodéré assez puissant pour dominer la vie mentale de celui qui l’éprouve, on ne peut s’empêcher de songer au sens premier, étymologique, du mot « passion », qui trouve son origine dans deux verbes latin (patior) et grec (patheîn) au sens de « souffrir ». Les allusions religieuses nous permettent donc de nous demander si cette passion ne fait pas allusion aussi à la Passion du Christ, de son arrestation à sa crucifixion.
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