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Analyse linéaire Gargantua chapitre 38

Commentaire de texte : Analyse linéaire Gargantua chapitre 38. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  18 Mai 2022  •  Commentaire de texte  •  2 229 Mots (9 Pages)  •  9 565 Vues

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Chapitre 38 “Comment Gargantua mangea six pèlerins en salade”

Gargantua

Introduction :

  • Né à la fin du XVI siècle (probablement en 1483), moine puis médecin réputé, François Rabelais est un érudit passionné de culture antique. Il a effectué de nombreux voyages et plusieurs séjours en Italie. Il est connu notamment pour Pantagruel (1532) et Gargantua (1534-1535), deux oeuvres comiques et satiriques relatant les aventures de deux géants et leurs amis. Cependant, derrière l’exubérance et le rire, l’écriture dionysiaque et l’inventivité lexicale de Gargantua, se cache une réflexion profonde humaniste. Les thèmes importants de Gargantua sont le corps, la guerre, la liberté et la société idéale, et l’éducation. Dès le prologue, Rabelais invite d’ailleurs le lecteur à ne pas se fier au comique apparent de l’oeuvre afin d’en “sucer la substantifique moelle”. Le lecteur doit interpréter le sens profond derrière la plaisanterie. L’humanisme est un vaste mouvement intellectuel européen qui émerge avec le quattrocento italien (notre XVe siècle) puis va se développer jusqu’à la fin du XVIe siècle. Le terme désigne une nouvelle conception de l’homme, au centre de ses préoccupations, et s’assigne comme tâche l’épanouissement de ses qualités intellectuelles, morales, et physiques.
  • L’extrait que nous étudions se situe au milieu du passage sur les guerres pricrocholines, qui s’étendent des chapitres 25 à 49. Celles-ci opposent le colérique roi Picrochole à Grandgousier, père de Gargantua. Pacifique, celui-ci tente par tous les moyens d’éviter la guerre “je n’entreprendrai pas la guerre sans avoir essayé tous les arts et moyens de la paix, voilà ma décision” - chapitre 28 ; mais face à la furie belliqueuse de Picrochole (la guerre est ici présentée comme une aberration car elle fait suite à des querelles minimes entre des fouaciers et des bergers —> pacifisme humaniste), il est contraint de mener une guerre défensive pour restaurer la paix ; c’est pourquoi il écrit une lettre à Gargantua pour qu’il revienne au pays défendre les siens. Gargantua rejoint alors son père, et pendant le banquet, voulant se régaler d’une salade rafraîchissante, avale par inadvertance quelques pèlerins. C’est cet épisode burlesque que nous étudions, situé au chapitre 38, “Comment Gargantua mangea six pèlerins en salade”, et qui offre une parenthèse comique dans ce thème de la guerre, qui, même abordé avec humour, est avant tout une réflexion politique profonde menée par Rabelais. Cependant le récit, bien qu’il soit construit sur une note fantaisiste cache une critique : le narrateur fait en effet dans ce chapitre la satire du pèlerin peureux, bête et incapable de prendre une décision.

Enjeux :

  • Comment Rabelais, à travers cet épisode burlesque, fait-il une satire des pèlerins, et, par extension, de l’Église ?

Mouvements du passage :

  • lignes 1 à 7 : un conte merveilleux qui recèle une satire
  • lignes 7 (à partir de “Mais par malheur”) à 19 : heureux incident(s) et résolution(s)
  • lignes 20 à 26 : réconfort des pèlerins par la Sainte parole

  1. Un conte merveilleux qui recèle une satire (lignes 1 à 7)

 

  • Par les images et le vocabulaire utilisés, on remarque que le passage ressemble à un conte merveilleux ; en effet : le terme “dévorés” transforme Gargantua en ogre ; les dents de G sont pour les pèlerins des “meules” (de grosses pierres utilisées pour broyer en tournant) ; les pèlerins croient “se noyer”; le vin est un “torrent”; l’estomac de G est un “gouffre”; et les pèlerins se mettent “à l’abri”. Cette disproportion entre les objets de la vie courante et leur taille dans le monde de Gargantua installe une ambiance comique et fantaisiste. Cette scène, très visuelle, est amusante aussi car les pèlerins sont grotesques : ils croient continuer leur pèlerinage dans la bouche de Gargantua. En utilisant plusieurs verbes d’actions qui détaillent leurs mouvements “s’écartèrent”, “en sautant”, “se mirent à l’abri”, le narrateur se moque des pèlerins qui pensent être dans un cachot (“basse-fosse”) et subissent la scène sans se défendre (—> satire du pèlerin peureux). Gargantua boit “le grand trait”, c’est-à-dire beaucoup de vin, ce qui renforce cette image d’ogre. La comparaison lignes 5-6 souligne le comique de la scène : les pèlerins sautent “avec leurs bourdons” pour se mettre à l’abri, comme “les pèlerins de Saint-Michel”. Un bourdon de pèlerin est un long bâton de marche, ferré à sa base et surmonté d’une gourde ou d’un ornement en forme de pomme dont se servaient les pèlerins comme soutien lors de leur pèlerinage. Les pèlerins de Saint-Michel se rendent au Mont Saint-Michel ; ils passaient le bras de mer à marée basse, mais pouvaient être surpris par la montée des eaux (comme les pèlerins sont surpris par le “torrent” du vin dans la bouche de Gargantua). Le ridicule des pèlerins (—> verbe sauter) qui s’imaginent être encore en chemin (on le voit notamment au CCL “à l’abri” - comme si ils étaient encore à l’extérieur -) souligne la critique sous-jacente que Rabelais dresse du culte des saints.

2) Heureux incident(s) et résolution(s) (lignes 7 -à partir de “Mais par malheur”- à 19)

  • l.7 à 11 (“qu’il endurait”) : le complément circonstanciel de manière introduit par la préposition mais “Mais par malheur” crée une tension dramatique (ironique) qui ajoute au comique de la scène. Ici, la bouche de Gargantua devient un pays à part entière : le pèlerin tâte “le pays” avec son bourdon, et sa prudence (“pour savoir s’ils étaient en sûreté”) est d’autant plus amusante qu’elle porte préjudice à Gargantua (il heurte “rudement” le nerf de la mandibule d’une dent creuse). Les pèlerins sont présentés ici comme des bons à rien : peureux, depuis le début ils n’osent pas se défendre, et la seule action de l’un d’entre eux s’avère d’abord malheureuse. Cette scène est très comique, car le bourdon des pèlerins était aussi utilisé comme arme blanche contre les éventuels indésirables qu’ils pouvaient croiser sur leur route (mais ici, le pèlerin blesse G par inadvertance). L’hyperbole “crier de la rage” témoigne de la très forte douleur qu’endure Gargantua (il subit, devient aussi la victime de cet incident) et donne à la scène une couleur burlesque : il devient un homme banal qui a mal aux dents (—> d’autant plus que ce mal est causé par des hommes touts petits). Le nom commun “mandibule”, terme d’anatomie (—> arc osseux ou cartilagineux qui forme la mâchoire inférieure et qui s’articule avec le crâne), témoigne du goût pour la médecine de Rabelais.
  • l. 11 (“Pour se soulager…”) à 12 : Gargantua utilise un cure-dents pour “se soulager du mal” —> ici encore, disproportion burlesque entre la taille des pèlerins et le cure-dent de G, qui est utilisé pour les déloger. Notons le terme de botanique “noyer grolier” témoigne du goût de l’auteur pour la botanique. Le vous dans la proposition “il vous dénicha” (style oral familier) inclue le lecteur dans l’histoire. Le verbe “dénicher” est également familier et contribue à la satire des pèlerins, présentés ici comme des petits objets/oiseaux.
  • l.13 à 15 (jusqu’à “par sa braguette”) : les verbes d’attaque utilisés ici parodient une bataille typique des romans de chevalerie (“attrapait”, “accrocha”, “frappé”, “perça”) —> Rabelais s’amuse avec de nbx styles différents. De plus, les nombreuses virgules qui rythment cette énumération accentuent cette ambiance de bataille et donnent -ironiquement- à Gargantua une carrure de héros qui enchaîne les exploits. Cet “héroïsme” de G ridiculise davantage les pèlerins, qui de surcroît sont attrapés par des endroits ridicules : “les jambes”, “les épaules”, “ sa besace”, “ la bourse”, “l’écharpe”. Le GN “pauvre hère” (homme infortuné) fait écho au caractère dramatique de la ligne 7 (“Mais par malheur”). Celui-ci est accroché “par sa braguette”—> vocabulaire argotique/familier qui, là encore, accentue le grotesque de la scène.
  • l. 15 (à partir de “toutefois”) jusqu’à 17 : c’est ici qu’on remarque une double résolution. En effet, le pèlerin qui avait “frappé (G) de son bourdon” avait une bosse chancreuse (c’est-à-dire une pustule infectée) sur son organe intime qui lui faisait très mal, et grâce au cure-dent de Gargantua, celle-ci est percée. Ainsi on peut faire un parallèle entre l’incident du pèlerin qui frappe une dent creuse de G par inadvertance, et qui finalement conduira à la délivrance des pèlerins, et l’incident de G qui déniche le pèlerin en question par la braguette, mais qui finalement s’avèrera soulager la douleur que lui cause une pustule infectée. Ce parallèle est comique, car tout dans cette scène est imprévu, hasardeux, et peu probable ; et malgré tout, tout est bien qui finit bien. De plus, il est important de noter la satire des pèlerins qui, ici, est particulièrement cynique : en effet, la “bosse chancreuse” du pèlerin est en fait une maladie sexuellement transmissible, qu’il a certainement attrapé à Ancenis (puisque c’est “depuis le moment où ils avaient passé Ancenis” qu’il a mal), étape de leur voyage qui a dû être pour lui un moment de laisser-aller et d’ébats interdits. Cette moquerie est à son paroxysme avec l’utilisation du verbe martyrisait en parlant de sa douleur, comme si le pèlerin était un martyr, qu’il s’était sacrifié, et qu’il ne méritait pas de souffrir cette douleur insupportable (alors que c’est, évidemment, tout le contraire : les pèlerins ont un devoir de chasteté).
  • l.18-19 : on note une reprise du terme “dénichés”, ici au participe passé, qui fait écho à la ligne 12 “il vous dénicha” et poursuit ainsi l’idée de satire des pèlerins. Ceux-ci “s’enfuirent à travers la plantation au trot” : ils prennent leurs jambes à leur cou ; là encore, cela montre leur manque de courage et la locution prépositionnelle “à travers” contribue à cette disproportion comique entre la taille des légumes de Gargantua et la taille des pèlerins.

3)  Réconfort des pèlerins par la Sainte Parole

  • Cette fin de passage termine l’épisode, toujours avec cette ironie comique caractéristique de Rabelais, et complète la satire des pèlerins.
  • l.20-21 : En effet, arrivés dans une cabane près du Coudray (voir coupure), ils sont “réconfortés” par les “bonnes paroles” d’un autre pèlerin. Le participe passé “réconfortés” et le complément circonstanciel “dans leur malheur” reprend l’ambiance ironiquement dramatique de la ligne 7 (“Mais par malheur…”) et souligne le décalage entre les pèlerins qui semblent traumatisés, et le point de vue de Gargantua qui a les a mangé malgré lui, tout en ridiculisant toujours les pèlerins. Le nom de leur confrère “Lasdaller” est très comique : comme beaucoup de noms de personnages dans l’oeuvre de Rabelais, il peut se décomposer pour prévenir le caractère du personnage ; ici, Lasdaller correspond à “Las d’aller” et s’avère contradictoire pour un pèlerin dont la volonté, nourrie par la foi, se doit d’être inébranlable, et ainsi de passer au-dessus des difficultés physiques de la marche endurante. De ce fait, avant même que le personnage parle, il est déjà rendu ridicule par le narrateur et son discours est automatiquement décrédibilisé.
  • l.22 à 26 : Ici, Rabelais se moque de ceux qui voient dans les textes religieux des prophéties pour le moindre évènement. En effet, le pèlerin ne peut s’empêcher de citer la Bible comme une prédiction sacrée, mais celle-ci s’avère ridicule car le texte n’est pas retranscris tel quel. En effet, le texte original du Psaume 124 de David est le suivant :

124 Chant des montées, de David.

“Si l’Eternel n’avait pas été pour nous

– qu’Israël le dise –

2 si l’Eternel n’avait pas été pour nous

lorsque des hommes sont venus nous attaquer,

3 ils nous auraient engloutis vivants

quand leur colère s’est enflammée contre nous.

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