Acide sulfurique

Le jardin stérile

Dans l’extrait analysé, on apprend à quel point bec-de-Lièvre est une figure du trou.

La jeune adolescente ramasse le pourri et s’en nourrit. Elle est comme un champignon, comme le dernier maillon d’une chaîne alimentaire, comme une poubelle, un bac de compost. Dans le mot « pourris », on entend la sonorité associative : des poux, ça rit. C’est comme si Bec-de-Lièvre était pleine de petites bêtes, de petites maladies, malformations, qui grouillent en elle et qui rient d’elles, et par le fait même, la font rire (de honte, de cruauté, de pitié). Les verbes de la victimisation et du crime sont utilisés dans l’extrait, des verbes du rejet, des actions de parasites :  « jeter, voler, chasser », comme si Bec-de-Lièvre était un ver solitaire dont on souhaite se débarrasser. Aussi, la polysémie du verbe chasser suggère qu’on ne veut plus d’elle et qu’on la tue (rappelons qu’elle sera violée mortellement). Ajoutons que les termes « Fruits, légumes, œufs et jardin », faisant partie du champ lexical de la nourriture, de la santé, de la fécondité, montrent que Bec-de-Lièvre n’a pas ces choses essentielles alors elle les prend où elle peut. L’œuf est le cocon protecteur; le jardin, le lieu de l’Éden, du paradis perdu, lieu de la culture, de la prolifération; les fruits peuvent être défendus, (comme dans la Bible), surtout quand on les vole. C’est comme si Bec-de-Lièvre tentait de se reconstruire un paradis, un utérus chaud et nourrissant sans jamais y arriver. Elle essaie mais elle reste dans son Enfer. Encore une fois, on peut la comparer à un ver (de pomme) ou à un serpent (symbolisant le sexe, le vice, la tentation). Elle vole « tout » (pronom indéfini), ce qui représente la totalité, une hyperbole de la réalité. Pour voler tout, il faut être assoiffé, affamé de tout, il faut se considérer comme un trou à remplir indéfiniment, ce qu’est Bec-de-Lièvre; un trou qui a besoin de nourriture mais aussi et surtout d’amour. Dans l’expression « ce qu’elle peut », (introduite par un pronom démonstratif), il y a de la restriction, de la limite, il y a du déchet, du reste. La jeune femme n’a accès qu’à ce qui répugne, et elle s’en délecte avec urgence. Ici on est au début du roman on parle de « fruits et de légumes pourris », et on apprend plus tard dans le roman qu’elle se donnera à un chien, à des garçons cruels qui la refusent, aux jumeaux qui, eux aussi, la refusent, et finalement à une file de soldats étrangers qui la baiseront à mort. Donc, ce qu’elle réussit à voler, quémander, la tire irrémédiablement vers sa mort.

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