Baudelaire : Une charogne
Chronologie : Baudelaire : Une charogne. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar LuNa-_- trix • 11 Mars 2022 • Chronologie • 1 751 Mots (8 Pages) • 580 Vues
Parkour : alchimie poétique, la boue et l’or
Les Fleurs du mal
Baudelaire,1857
LL10
« Une Charogne »
Intro
Nous avons donc vu que la 1ère publication des FM donne lieu à un procès retentissant pour immoralité ; Gustave Bourdin écrit que, dans le recueil, « L'odieux y coudoie l'ignoble ; – le repoussant s'y allie à l'infect. ». Nous allons voir si tel est bien le cas au travers de la 1ère LL. Le poème « Une Charogne » fait partie de la section « Spleen et Idéal » : il illustre parfaitement cette tension entre la noirceur baudelairienne et la quête de perfection. « Une Charogne » est le poème le plus connu de Baudelaire, il se plaint même à Nadar « de passer pour le Prince des Charognes », poème représentatif du « romantisme noir », de nos jours on ferait le lien avec gothique.
UNE CHAROGNE
Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d’été si doux :
Au détour d’un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d’exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu’ensemble elle avait joint ;
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s’épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l’herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D’où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s’élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l’eau courante et le vent,
Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rhythmique
Agite et tourne dans son van.
Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,
Une ébauche lente à venir
Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève
Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d’un œil fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu’elle avait lâché.
— Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
À cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés !
-La description de la mort est très réaliste : le poète évoque la décomposition , l’horreur ,l’odeur ; il crée une œuvre poétique et belle a partir d’une description répugnante cf le titre du parcoure .
La fin est choquant car il rappelle de manière violant a la femme aimée qu’elle est destinée à ressemblé a la charogne .
Mouvement
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Problématique : comment Baudelaire parvient-il à faire ressortir la beauté de la laideur morbide de la « Charogne » ?
Citation | Identification | Analyse |
La mise en place de la descr° | ||
Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme, | * Rencontre et descr° qui prend place à travers conditions idéales : « beau matin d’été si doux » souligne avec adjectif + adverbe intensif « si » le moment agréable. * * alternance alex et octosyll : harmonie du rythme avec vers pairs, musicalité marquée par alternance | |
Au détour d’un sentier une charogne infâme | * dès le début du poème, Baudelaire établit un lien fort entre la femme aimée et la charogne. Vanité car le poème rappelle la certitude d’une mort ignoble et inéluctable qui nous attend. | |
Les jambes en l’air, comme une femme lubrique, | ||
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique | ||
Ainsi, mise en place d’une description contrastée : cadre idéal et joyeux mais pour montrer horreur. | ||
La Charogne prend vie | ||
Le soleil rayonnait sur cette pourriture, | * « Le soleil rayonnait... » * « Pourriture » poursuit CL de la putréfaction | |
Et de rendre au centuple à la grande Nature | * référence à mythologie gréco-latine * mais aussi « Nature » mise à la rime avec « cette pourriture | |
Et le ciel regardait la carcasse superbe | * Forme d’éloge paradoxal : c’est le fait de valoriser dans la descr° ce qui est négatif | |
La puanteur était si forte, que sur l’herbe | * Poète regarde de manière amusée être aimé proche de se sentir mal * passé simple qui nous ramène au moment de l’E° | |
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride, | * Donne unité au quatrain mais met aussi en valeur la décomposition en cours | |
De larves, qui coulaient comme un épais liquide | ||
Tout cela descendait, montait comme une vague, | * « Tout cela » établit un bilan, reprend tous les éléments de la descr° précédente * Véritable tableau qui se met en place avec la comparaison « comme une vague » | |
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague, | ||
Et ce monde rendait une étrange musique, | ||
Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rhythmique | * « rhythmique » orthographe choisie par Baudelaire, on trouve également souvent dans le recueil « Poëte » ou « poësie » ce ne sont pas des fautes car ortho se fixe seulement au 19e. | |
Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve, | * strophe suivante liée à notations visuelle * décomposition cette fois avec perte de la forme, déformation de la carcasse qui laisse à peine deviner ce que c’était vivant | |
Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève | * métaphore de l’art complète parodie : art ne donne pas à voir laideur, horreur * évocation du travail du poète au travers de cette image : le poète doit lui aussi décomposer le réel pour recomposer par le souvenir sous une forme artistique, musicale et lyrique | |
Derrière les rochers une chienne inquiète | * Ajoute au malaise de la scène : échange de regards inquiets et qui espionnent + chienne cachée | |
Épiant le moment de reprendre au squelette | * « Squelette… morceau » réifient à nouveau charogne * à nouveau, carcasse, mort source de vie autour d’elle, elle devient proie. | |
Ainsi, force de l’écriture poétique qui parvient à donner vie à ce qui est mort, pas de nature morte dans le poème car la carcasse est montrée comme source de vie. Idée également que la laideur, l’horreur peut donner naissance au beau. | ||
Le // entre la femme aimée et la charogne | ||
— Et pourtant vous serez semblable à cette ordure, | Rupture du discours marquée par typographie - Comparaison Diérèse | * « Et pourtant » : marque opposition, opposition entre femme pleine de vie et carcasse memento mori expression latine qui, dès le Moyen-Age, désigne la certitude de la mort « souviens-toi que tu vas mourir » * ainsi, apparaît suggestion du carpe diem : puisque temps passe et nous conduit irrémédiablement vers notre mort, il faut profiter du moment présent. |
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature, | Antithèse Emphase avec la reprise du pronom « vous » Diérèse[1] | * Contraste entre discours galant et le caractère morbide auquel il est associé : détournement du langage romantique caractéristique de la poésie lyrique traditionnelle. D’autant que « passion » est accentué par diérèse, même diérèse dans « infection » |
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces, | Succession ponctuation forte + « oui » + « ô » lyrique | |
Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses, | Insistance sur les indications de temps | |
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine | « ô » lyrique renforcé par « ma beauté » | * confusion voca sensualité « mangera de baisers... » et morbide « la vermine » : profondément malsain |
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine | Rime opposition « divine… vermine » | * idée d’une survivance de celui qui disparaît au travers du souvenir que l’on a de lui, forme de victoire sur la mort * on voit inexistence du religieux mis à part dans « divine » et finalement ce qui est divin c’est ce qui a été vécu * forme de supériorité à nouveau du poète qui est celui qui demeure * mais en fait, c’est la poésie qui parvient à dépasser la mort par le fait que c’est elle qui conserve « la forme et l’essence... », elle apparaît comme une barrière contre la mort |
Ainsi, la fin du poème établit lien entre mort de la femme aimée et la décomposition de la carcasse. A la fois, constat réaliste et évident de ce qu’est la nature humaine, mais aussi jeu poétique dans cette virtuosité du poème. Pourtant, forcément choquant au 19e. |
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