Le procès de Bobigny.
Chronologie : Le procès de Bobigny.. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Amaurya • 30 Mars 2016 • Chronologie • 1 108 Mots (5 Pages) • 1 044 Vues
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Le procès de Bobigny
Présentation générale
- Il s’agit d’un film ayant pour sous-titre éloquent : « désobéir pour le droit d’avorter ». Réalisé par François Luciani en 2005, ce film récolte quelques récompenses grâce, notamment, aux talents de ses protagonistes principales : Léa Langlois, Martine Langlois et Gisèle Halimi, respectivement incarnées par les actrices Juliette Lamboley, Sandrine Bonnaire et Annouk Grinberg.
- Ce film a une valeur documentaire certaine. Il s’inspire d’événements qui se sont réellement déroulés en 1971 : l’avortement clandestin d’une lycéenne victime d’un viol, sa dénonciation et l’incrimination de ses adjuvantes par la police, la prise de risque de la famille qui, sur le conseil de l’avocate Gisèle Halimi, décide de plaider non coupable et de mettre ainsi en accusation la loi de 1920. Cette audace se révèle payante puisque le procès de Bobigny se conclut par la disculpation de la jeune fille et par la condamnation purement formelle et symbolique de Martine Langlois, de son amie et de la faiseuse d’anges qui les a assistées. Il aboutit dès lors à la victoire des partisans de l’interruption volontaire de grossesse.
- Il convient cependant de signaler quelques écarts entre la réalité et la fiction qui la représente. Étant donné le nécessaire respect de la vie privée, les prénoms et noms des protagonistes principaux ont été modifiés, les péripéties du procès ont été condensées (les témoignages de certaines ou intellectuelles comme Simone de Beauvoir ont simplement été évoqués et aucun des témoins convoqués par le procureur n’a été représenté), les retombées fâcheuses du procès sur certains témoins essentiels comme le professeur Milliez n’ont pas été abordées… Certaines entorses à la réalité s’expliquent donc par la volonté du réalisateur de magnifier la victoire de Bobigny et le combat des femmes pour le droit à l’avortement. Dans ce film à thèse, la perspective adoptée est ouvertement laudative : variant arguments et stratégies argumentatives, Luciani représente au final une sorte d’épopée féministe menée pour la liberté de disposer de leurs corps et l’égalité entre les genres. Le propos du film déborde donc la polémique sur l’interruption volontaire de grossesse.
Contextualisation historique du procès
- La victoire de la Défense, à l’issue des procès qui se sont déroulés à Bobigny en octobre et novembre 1972, résulte historiquement de l’affirmation progressive des femmes et de la progression de leurs droits depuis le début du XXème siècle. Les rôles que plusieurs d’entre elles ont été amenées à jouer durant les deux guerres mondiales ont développé leur confiance en elles et légitimé leurs revendications égalitaires. Elles obtiennent ainsi le droit de vote et d’éligibilité ; elles développent également leur autonomie financière, en investissant le monde du travail et en acquérant le droit de disposer d’un compte en banque personnel.
- Dans la continuité et le prolongement de ces évolutions importantes, les émeutes de la jeunesse en mai 68 matérialiseront son désir de s’affranchir des conventions de la société traditionnelle et de se libérer, entre autres, physiquement.
- L’ensemble de ces facteurs explique la rédaction du Manifeste des 343 salopes. Signé par plusieurs personnalités médiatiques qui reconnaissent avoir avorté pour défendre le droit des femmes à disposer de leur corps, ce texte publié dans le Nouvel Observateur du 5 avril 1971 joint au militantisme de certaines associations féministes comme « Choisir » sensibilise l’opinion publique à la cause des femmes et favorise le développement d’une conscience des discriminations qui aboutira, notamment, à la révision de la loi de 1920, qui interdisait l’avortement.
- Suite logique de ce processus évolutif, la loi Veil qui légalise l’interruption volontaire de grossesse sera promulguée en janvier 1975.
La polémique sur l’interruption volontaire de grossesse dans le film
- En tant que film, Le procès de Bobigny incite à questionner l’efficacité du cinéma comme genre argumentatif puisque l’un des objectifs de Luciani semble avoir été de légitimer, a posteriori, l’interruption volontaire de grossesse. Il faudrait donc analyser les moyens utilisés pour discréditer la thèse adverse et ses défenseurs tout en étayant le point de vue féministe.
- Les arguments auxquels recourent les personnages dénonçant l’interruption volontaire de grossesse sont peu nombreux, usés à force d’être répétés et caricaturés parce qu’insuffisamment développés. Il s’agit surtout de la contradiction entre la foi chrétienne et la pratique de l’avortement ainsi que de l’affirmation de la nécessité de respecter la seule loi qui existe, celle de 1920. Mais ces raisons sont partiellement invalidées par les caractères prêtés à leurs énonciateurs. Alors que certains, comme le bâtonnier, se discréditent en raison de leur violence machiste manifeste, d’autres se trouvent disqualifiées par leurs hésitations : c’est le cas de l’amie de Martine Langlois, qui finit par la soutenir malgré sa foi, et c’est aussi le cas du procureur qui semble sympathiser paradoxalement avec la Défense.
- À l’inverse, Léa et Martine Langlois suscitent la sympathie du spectateur en raison de leur courage face à l’adversité et de leur affection inconditionnelle. Gisèle Halimi provoque, quant à elle, l’admiration par son désintéressement et sa capacité d’engagement. Par leur biais essentiel, Luciani multiplie et développe les arguments qui incitent à légaliser l’interruption volontaire de grossesse. Le personnage de Gisèle Halimi invalide le raisonnement de ses détracteurs en appelant à la barre des personnages représentant l’autorité scientifique, les professeurs Monod et Milliez. Prix Nobel de biologie, le premier attestera que le système nerveux central du fœtus n’est pas encore constitué et que donc celui-ci n’a pas de conscience et ne saurait être jugé vivant : l’avortement ne saurait dès lors être considéré comme un infanticide. Le second déclarera que, en dépit de ses convictions religieuses, l’interruption volontaire de grossesse lui apparaît légitime dans certains cas, notamment en cas de viol, de jeunesse de la mère, d’incapacité à élever cet enfant de manière digne et pour pallier aussi le risque des avortements clandestins. Ce risque sera d’ailleurs rappelé et détaillé par l’avocate de la Défense à plusieurs reprises et l’exemple des complications rencontrées par Léa Langlois le concrétisera pour les spectateurs. Les manifestantes de l’association féministe, Martine Langlois et Gisèle Halimi insisteront par ailleurs sur le droit de chaque femme à disposer de son corps. Cette dernière soulignera plus pragmatiquement le fait que l’interdiction de l’IVG ne se réfracte en réalité négativement que sur la vie de femmes issues de milieux défavorisés ; comme le souligne la stratégie confrontative à laquelle elle recourt, les autres gardent la possibilité de contourner la loi grâce à leur pouvoir financier. La loi de 1920 favoriserait donc le développement des inégalités sociales ; elle contribuerait à enfoncer les familles populaires dans une existence miséreuse et sans espoir, comme le montre d’ailleurs l’exemple du parcours de Martine Langlois. Luciani allie ainsi argumentation convaincante et représentation persuasive des méfaits de l’interdiction de l’interruption volontaire de grossesse.
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