Démons & Merveilles de Laurence Caillet
Fiche de lecture : Démons & Merveilles de Laurence Caillet. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Tim Zweiski • 31 Janvier 2022 • Fiche de lecture • 4 379 Mots (18 Pages) • 720 Vues
Démons et Merveilles, Nuits japonaises
Laurence Caillet, Société d’ethnologie, 2018
1 - Présentation de l’œuvre
Présentation de l’auteur :
Laurence Caillet (née en 1947) est spécialiste de la culture japonaise. Elle a écrit de nombreux ouvrages sur le Japon. Avant tout ethnologue, ses thèmes de recherches principaux sont l’ethnologie religieuse, l’organisation sociale et de manière plus générale l’histoire et l’ethnologie du Japon. Aujourd’hui professeure à la retraite en ethnologie du Japon et de la Corée et en études du sous-continent indien et de l'Extrême Orient, au sein du département d’anthropologie de l’Université Paris Nanterre, Laurence Caillet a eu un parcours qu’il est intéressant d’observer afin de mieux comprendre son approche de l’anthropologie et de l’ethnologie. Tout d’abord étudiante en médecine et en arabe, elle devient, en 1970, journaliste au Bureau International de la radiodiffusion et télévision japonaise. Dans le cadre de ses recherches, elle commence à travailler avec l’Université de Tokyo et se forme ainsi à l’ethnologie. Au sein du département d’anthropologie, elle effectue des enquêtes afin d’étudier les rituels pratiqués dans les régions du Kansai, de Tohoku et de Tokyo. Laurence Caillet devient par la suite Docteur de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO). Également directrice scientifique adjointe du département des sciences humaines du Centre National de Recherche Scientifique (CNRS), elle étudie les modalités de construction des savoirs, et plus particulièrement l’intégration des systèmes de valeurs traditionnels aux mouvements de modernisation. En 1993, Laurence Caillet intègre l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense en tant que directrice du Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative. Elle devient également professeure et directrice du département d’études doctorales de cette même Université.
Ce n’est que bien plus tard en 2018, chez la maison d’édition Société d’ethnologie, que paraît son livre Démons et Merveilles, Nuits japonaises.
Mots clés : Japon, nuit, sommeil, imagination, fantômes, monstres et esprits, morts et vivants, rites et croyances
Glossaire :
- Inemuri : fait de dormir tout en étant présent
- Kuruwa : quartier « réservé » aux plaisirs, à la prostitution (comme Yoshiwara à Edo)
- Kami : dieux japonais
- Yôkai : « monstres farceurs ou mystificateurs », créatures mythiques japonaises
(fantômes, spectres, apparitions, monstres)
- Tabisho : « étape où les entités surnaturelles manifestent leur existence et s’impliquent
dans le maintien de l’ordre du monde » (p. 145)
- Kata.tagae : « conversion de direction »
Cadre scientifique :
Les recherches de Laurence Caillet gravitent autour d’un point central : briser le paradigme moderniste par lequel les spécialistes sont trop souvent aveuglés. Elle cherche à prendre du recul et « désenclaver la connaissance » que nous avons du Japon. Ses écrits rappellent les références constantes à un Japon rural et traditionnel dans la littérature et mettent ainsi en avant le paradoxe d’une modernité qui puise sa matière dans les traditions.
Problématique :
L'ouvrage propose d’interroger la question « Qu’est ce que la nuit ? » : comment interpréter le concept de nuit chez les Japonais ? Autrement dit, que se passe-t-il la nuit au Japon ? En quoi la nuit représente-t-elle une frontière entre plusieurs mondes, à la fois différents et complémentaires ?
Conclusion de l’œuvre :
La nuit apparaît au Japon sous des visages très différents. Deux visions régissent les rapports à la nuit : une vision relève de la gestion socio-politique et scientifique et une vision considère plutôt les plaisirs de la nuit et la poésie. Elle peut être envisagée dans son rapport au sommeil ou aux croyances. Le moment de la nuit est considéré comme étant un espace de rencontres avec les morts et les êtres surnaturels ou fictionnels, fondées sur le plaisir, l’empathie ou la crainte et l’angoisse. La nuit brouille les frontières entre les espèces et les statuts. Laurence Caillet montre qu’il existe une spatialité de la nuit mais aussi une temporalité complexe : il y a des liens « inextricables » entre la nuit et l’au-delà ou la mort.
2 - Lecture détaillée
L’auteur présente plusieurs conceptions de la nuit qui existent au Japon : elle montre que la nuit est interprétée d’un point de vue social, religieux et imaginaire.
Première partie : Dormir ou ne pas dormir ?
Laurence Caillet commence par remettre en cause les liens qui nous semblent évidents en tant qu’Occidentaux entre nuit et sommeil, en présentant la conception particulière du sommeil au Japon, les règles d’apprentissage d’un sommeil extrêmement socialisé. L’auteur montre tout d’abord qu’au Japon, le sommeil n’a qu’un lien faible avec la nuit : les Japonais ont un sommeil polyphasique (4h par nuit + des micro-siestes dans la journée – ce rythme est opposé au rythme monophasique occidental qui consiste à dormir 8h par nuit ; ou au rythme biphasique qui consiste à dormir 6h par nuit et à faire une sieste dans la journée). Ce rythme proviendrait d’une cause biologique : les Japonais sécrètent une quantité importante de mélatonine, une hormone qui facilite l’endormissement. La durée du sommeil nocturne des Japonais n’est que de 4,87heures (contre 7,15heures pour les Français). Ainsi, 88 % des hommes de 20 à 50 ans déclarent travailler trop, 76,2 % sont menacés par le syndrome d’hyposomnie. La durée de sommeil a diminué de 10 % (30 minutes) en l’espace de 30 ans, alors que le volume horaire de la semaine de travail reste à 40h. Cela a des conséquences sur la santé des Japonais, qui craignent le karôshi (« mort par épuisement » ou burn-out). Le corps japonais serait naturellement adapté à la polyphasie, qui ne correspond pas à la tripartition occidentale (travail, loisir, sommeil). Le modèle occidental
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