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Le Horla

Commentaire de texte : Le Horla. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  26 Septembre 2014  •  Commentaire de texte  •  8 334 Mots (34 Pages)  •  777 Vues

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LE

HORLA

8 mai. – Quelle

journée admirable !

J’ai passé toute la

matinée étendu sur

l’herbe, devant ma maison,

sous l’énorme platane qui

la couvre, l’abrite et l’ombrage tout entière.

J’aime ce pays, et j’aime y vivre parce que j’y ai

mes racines, ces profondes et délicates racines,

qui attachent un homme à la terre où sont nés et

morts ses aïeux, qui l’attachent à ce qu’on pense et à

ce qu’on mange, aux usages comme aux nourritures,

aux locutions locales, aux intonations des paysans,

aux odeurs du sol, des villages et de l’air lui-même.

Le Horla

J’aime ma maison où j’ai grandi. De mes fenêtres,

je vois la Seine qui coule, le long de mon jardin,

derrière la route, presque chez moi, la grande et

large Seine qui va de Rouen au Havre, couverte de

bateaux qui passent.

À gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville aux toits

bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques.

Ils sont innombrables, frêles ou larges, dominés par

la flèche de fonte de la cathédrale, et pleins de

cloches qui sonnent dans l’air bleu des belles

matinées, jetant jusqu’à moi leur doux et lointain

bourdonnement de fer, leur chant d’airain que la

brise m’apporte, tantôt plus fort et tantôt plus

affaibli, suivant qu’elle s’éveille ou s’assoupit.

Comme il faisait bon ce matin !

Vers onze heures, un long convoi de navires,

traînés par un remorqueur, gros comme une mouche,

et qui râlait de peine en vomissant une fumée

épaisse, défila devant ma grille.

Après deux goélettes anglaises, dont le pavillon

rouge ondoyait sur le ciel, venait un superbe troismâts

brésilien, tout blanc, admirablement propre et

luisant. Je le saluai, je ne sais pourquoi, tant ce

navire me fit plaisir à voir.

Le Horla

12 mai. – J’ai un peu de fièvre depuis quelques

jours ; je me sens souffrant, ou plutôt je me sens

triste.

D’où viennent ces influences mystérieuses qui

changent en découragement notre bonheur et notre

confiance en détresse ? On dirait que l’air, l’air

invisible est plein d’inconnaissables Puissances,

dont nous subissons les voisinages mystérieux. Je

m’éveille plein de gaieté, avec des envies de chanter

dans la gorge. – Pourquoi ? – Je descends le long de

l’eau ; et soudain, après une courte promenade, je

rentre désolé, comme si quelque malheur m’attendait

chez moi. – Pourquoi ? – Est-ce un frisson de froid

qui, frôlant ma peau, a ébranlé mes nerfs et assombri

mon âme ? Est-ce la forme des nuages, ou la couleur

du jour, la couleur des choses, si variable, qui,

passant par mes yeux, a troublé ma pensée ? Saiton

? Tout ce qui nous entoure, tout ce que nous

voyons sans le regarder, tout ce que nous frôlons

sans le connaître, tout ce que nous touchons sans le

palper, tout ce que nous rencontrons sans le

distinguer, a sur nous, sur nos organes et, par eux,

sur nos idées, sur notre coeur lui-même, des effets

rapides, surprenants et inexplicables.

Comme il est profond, ce mystère de l’Invisible !

Nous ne le pouvons sonder avec nos sens

Le Horla

misérables, avec nos yeux qui ne savent apercevoir

ni le trop petit, ni le trop grand, ni le trop près, ni le

trop loin, ni les habitants d’une étoile, ni les

habitants d’une goutte d’eau... avec nos oreilles qui

nous trompent, car elles nous transmettent les

vibrations de l’air en notes sonores. Elles sont des

fées qui font ce miracle de changer en bruit ce

mouvement et par cette métamorphose donnent

naissance à la musique, qui rend chantante

l’agitation muette de la nature... avec notre odorat,

plus faible que celui du chien... avec notre goût, qui

peut à peine discerner l’âge d’un vin !

Ah ! si nous avions d’autres organes qui

accompliraient en notre faveur d’autres miracles,

que de choses nous pourrions découvrir encore

autour de nous !

...

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