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La jeunesse n'est-elle qu'un mot ?

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Par   •  4 Mars 2020  •  Dissertation  •  4 793 Mots (20 Pages)  •  2 635 Vues

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Dissertation – « La jeunesse n’est elle qu’un mot ? »

 INTRODUCTION

Au cours d’un entretien réalisé en 1978 (« Les jeunes et le premier emploi », Association des âges, 1978) et retranscris dans « Questions de sociologie » en 1984, Pierre Bourdieu considère que les divisions entre les âges sont arbitraires. Selon lui, la frontière entre jeunesse et vieillesse dans les sociétés est un enjeu de lutte. En prenant l’exemple des rapports entre les jeunes et les notables à Florence au XVIe siècle, Bourdieu montre que les personnes âgées proposaient aux plus jeunes une idéologie de la virilité et de la violence, afin que les idéaux de la sagesse et du pouvoir demeurent l’apanage des ainés. Il ajoute que la jeunesse et la vieillesse ne sont pas des données et sont construites socialement. Bourdieu finit par poser cette conclusion lapidaire : « La jeunesse n’est qu’un mot ».

Or, l’actualité socio-économique montre que la jeunesse est au centre de l’attention médiatique et des préoccupations politiques: mobilisations des jeunes contre le climat, contrats aidés à destination des jeunes, émeutes de jeunes en banlieue…  La jeunesse constitue sans doute, l’une des catégories de la population, suscitant le plus d’intérêt au sein de notre société.

Apparu au XIIe siècle, le terme de « jeune »  ne renvoyait pas à une catégorie d’âge déterminée, mais désignait d’abord quelqu’un qui manquait de maturité. Selon historien Philippe Ariès (« L’enfant et la famille sous l’Ancien régime », 1973), il faudra attendre près de cinq siècles pour que se développe le « sentiment de l’enfance », c’est-à-dire la reconnaissance d’un âge spécifique, se distinguant de la petite enfance et de l’âge adulte. Cependant, à cette période du XVIIIe siècle, l’idée d’une éducation des enfants et des jeunes ne concernait uniquement l’aristocratie, et visait à tempérer les passions et à tenir leur rang.

Au XIXe siècle, sous le joug de la Révolution industrielle et la révolution française, Ariès distingue trois jeunesses, essentiellement masculine : la jeunesse bourgeoise qui reçoit un enseignement secondaire, la jeunesse traditionnelle (artisans et commerçants) qui suit une instruction primaire et enfin la jeunesse ouvrière qui suit les traces du père dans le travail à l’usine.

Au XXe siècle, la jeunesse en faisant l’objet d’un encadrement croissant par certaines associations et par l’Etat, tend à être reconnue comme une catégorie d’âge à part entière.  On peut donc présenter la jeunesse comme une catégorie d’âge, le plus souvent définie par les institutions (à travers la fixation de limites d’âge). On peut en faire un âge de la vie, centré sur une fonction principale comme l’imitation des générations précédentes, à travers la socialisation. Enfin, on peut considérer la jeunesse dans un rapport de générations, que l’on pose en opposition.

Depuis quelques décennies, la jeunesse fait l’objet d’une attention grandissante par la discipline sociologique : les jeunes sont ainsi étudiés à l’aune de la socialisation, de la sociabilité ou encore de la délinquance. Aujourd’hui, la jeunesse constitue la catégorie d’âge qui subit le plus, les effets de la crise économique et sociale, avec un accès au travail qui se fait par des emplois précaires, aux revenus de plus en plus faibles et un décalage entre les diplômes et les qualifications attendues sur le marché du travail.

En tout les cas, on parle bien ici de l’existence d’une jeunesse. Dés lors, le caractère relatif, volatil, fictif que sous-tend la définition bourdieusienne de la jeunesse est il avéré ? Plus largement, comment la science sociologique s’est elle emparée de cette catégorie d’âge ? Cette « jeunesse », si effective et existante soit elle, est elle univoque ou plurielle ?

Dans un premier temps, nous verrons que la jeunesse constitue une catégorie d’âge, qui a été mobilisé, scientifiquement et politiquement, assez récemment dans l’histoire (I). Ensuite, nous étudierons comment la jeunesse entrent en société à travers le processus de socialisation (II). Enfin, nous montrerons comment des transformations socio-culturelles et économiques ont rendu beaucoup plus limpide la visibilité de la jeunesse (III).

  1. L’INVENTION DE LA JEUNESSE

La démarche sociologique de rupture épistémologique avec sens commun opéré par certains sociologues conduit à considérer que la jeunesse est un concept construit socialement (A). Ensuite, la prise en charge par des associations et par l’Etat de la jeunesse a contribué à définir les contours de cette nouvelle catégorie d’âge (B).

  1. La jeunesse, un concept construit socialement

On l’a vu, pour Phillipe Ariès, le moyen âge et le début des Temps modernes n’auraient ainsi reconnu aucune spécificité à l’adolescence et à la jeunesse. Dés l’âge de sept ans environ, les enfants auraient été pratiquement confondus avec les adultes.

Durkheim (« Education et sociologie », 1922), quant à lui, dénie toute réalité sociologique à la personnalité infantile ou juvénile. L’enfant est un être asocial puisqu’il n’a pas encore reçu les marques indélébiles de la contrainte sociale intériorisée, il n’a en effet pas encore fait l’apprentissage de la soumission nécessaire aux lois écrites et non écrites qui régissent la société. L’enfant est pour Durkheim, un être infra-social, qui vit « dans un état de passivité tout à fait comparable à celui où l’hypnotisé se trouve artificiellement placé et sur lequel l’action éducative va pouvoir s’exercer pleinement, avec le seul recours de l’autorité pour façonner « un entre entièrement nouveau ».

Pour Pierre Bourdieu, il n’y a rien de plus trompeur que cette catégorie de population, pour qui « la jeunesse n’est qu’un mot ». Par cette formule cinglante, le sociologue met en évidence que les frontières entre classes d’âge étaient non seulement relatives (dʼune époque à une autre), mais revenaient aussi et surtout « à imposer des limites et à produire un ordre auquel chacun doit se tenir, dans lequel chacun doit se tenir à sa place ».

Pour Bourdieu, le flou qui entoure la catégorie des « jeunes » masque en réalité des différences internes, en particulier en termes de classes sociales. D’une part, l’étudiant bourgeois qui vit une adolescence prolongée dans une sorte de hors-jeu social et d’autre part, l’ouvrier, passé directement de l’enfance à l’usine. Entre ces deux catégories de jeunes, réside un large éventail de positions intermédiaires où se range l’ensemble des filles et des garçons du même âge.

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