Qu'est-ce que le travail humain ?
Recherche de Documents : Qu'est-ce que le travail humain ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 19 Janvier 2014 • 3 066 Mots (13 Pages) • 934 Vues
MIREILLE CHABAL
Qu'est-ce que le travail humain ?
Nous vivons des bouleversements sans précédents de la technique et de la civilisation. Désormais de plus en plus des biens nécessaires à la vie seront produits avec de moins en moins de travail, et cela, semble-t-il, à l'échelle mondiale. Au tournant du millénaire, nous sommes conscients de la profondeur de ces mutations. (Le CIRET, par exemple, les a fortement rappelées). Elles exigent des décisions politiques pour que ce qui pourrait être la libération de milliards d'hommes ne se transforme pas en cauchemar. Des auteurs nous rappellent l'urgence de ces décisions, par exemple André Gorz, depuis plusieurs décennies, et particulièrement dans ces derniers beaux livres [1]. On ne peut se résigner aux solutions rétrogrades qui consistent à ré-inventer des emplois de serviteurs, ou à transformer en emplois des activités jusqu'ici bénévoles, en les vidant de leur sens. D'une façon générale, au moment même où le vocabulaire se transforme, où le mot travail remplace de plus en plus le mot emploi [2], de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer l'illusion du plein emploi, et distinguer travail et emploi [3].
Certains soutiennent pourtant que la fin annoncée du travail-emploi est la "fin du travail". Dominique Méda a défendu brillamment cette thèse [4] : selon elle, le concept de travail est récent, il est lié au contexte historique de la civilisation industrielle, qui a voulu voir dans tout travail une œuvre et la base du lien social, même si le travail salarié réalise très mal l'un et l'autre : il est rarement une œuvre et, de ce fait, n'est lien social que par accident. Il faut maintenant, dit-elle, réfléchir à une société où le travail est "une valeur en voie de disparition" et qui devra à l'avenir se fonder sur d'autres activités humaines que le travail, par exemple l'activité politique. Ceux qui maintiennent aujourd'hui qu'il y a un concept anthropologique, universel, du travail, comme l'ont fait tous les grands courants de pensée depuis deux siècles, Dominique Méda les accusent de chercher à "sauver le travail", de perpétuer une idéologie du travail qui les mènerait, sans même s'en rendre compte, à cautionner les politiques de la création d'emplois à tout prix !
Cet avertissement de Dominique Méda présent à l'esprit, je défendrai tout de même l'idée que nous vivons une métamorphose du travail qui pourrait être sa libération. On ne peut isoler la question du travail de la recherche des rapports humains capables de créer des richesses immatérielles. Cette création ne relève pas seulement de l'action politique ou de l'agir communicationnel. L'économie politique de l'avenir, si elle est humaine [5] devra aussi prendre en charge cette production du sens, qui ne se fait pas sans efforts, sans "travail", voire sans douleur !
Dire qu'il y a un concept anthropologique (ou philosophique) du travail, c'est dire que le travail est une activité créatrice, essentielle à l'homme, à son rapport au monde et à son rapport aux autres, comme le langage et la conscience. Bien sûr les hommes n'ont pas toujours eu un mot et un concept qui soit l'équivalent du nôtre, car les formes du travail changent. Le chasseur-cueilleur du paléolithique n'a pas l'idée quand il va chasser, qu'il va au travail. De même le chercheur scientifique qui réfléchit dans son bain, au lit, en marchant dans la rue, ne distingue pas son travail et sa vie. Mais la réalité ne se limite pas à ce que les hommes en disent ou en savent. Il est légitime de parler d'une économie politique des sociétés qui n'avaient pas encore inventé la science économique. De même il y a une histoire des sociétés prétendues sans histoire, de tradition orale ; un droit des sociétés de droit coutumier, etc. Ce qui est essentiel dans le travail est commun au chasseur-cueilleur paléolithique, à l'enfant de huit ans qu'on fait descendre dans la mine, ou au cinéaste qui écrit son scénario sur son ordinateur. Quelque chose est identique à travers les formes historiques. Il est vrai que le travail exploité, aliéné, est tellement défiguré qu'on ne distingue plus ce qui est propre au travail humain : la capacité d'être l'actualisation d'une pensée et non pas seulement de la vie . Et pourtant c'est peut-être cela qu'a en vue celui qui l'exploite, et non pas seulement la capacité néguentropique, hétérogénéisante de la vie de produire plus qu'elle ne consomme.
A partir du moment où ce que l'on appelait le "travail mort", celui des machines, devient capable d'un traitement automatique de l'information et imite le travail humain aussi dans sa puissance de penser, cette caractéristique du travail d'être, de tout temps, le travail d'un être pensant se révèle. Il faudrait étudier comment les différents niveaux (physique, biologique, psychique) qui existaient dans le travail se découvrent dans l'histoire à mesure que la machine remplace les différentes fonctions de l'homme. Les premiers automatismes relaient le travail dans ce qu'il a de mécanique. L'appel à de nouvelles sources d'énergie que le corps humain révèle le travail comme travail vivant. Les machines intelligentes, à leur tour, dévoilent la fonction de commande indispensable dans tout travail, même celui que l'on croyait de simple exécution.
Marx ne séparait jamais dans ses analyses de la praxis le travail des membres de celui de la tête. Mais la pensée restait encore une caractéristique de la vie, l'intelligence apparaissait comme une propriété du corps. Elle faisait de façon consciente ce que fait la vie : mettre en forme, informer la matière.
Lupasco nous permet de reconnaître au psychisme une réalité propre, qui n'est pas seulement un prolongement de la vie, mais qui a sa propre logique, dominée par le "contradictoire" et non par la différenciation. C'est en rencontrant la mort que la vie donne vie à l'esprit [6]. L'ontologie lupascienne permet de penser l'unité de l'être et sa diversité, la continuité et la discontinuité, la vérité du monisme classique, où le devenir de l'esprit se confond avec celui de l'être, et la vérité du dualisme classique où l'esprit s'oppose à la nature et la pense. Pour découvrir la "troisième matière", il fallait précisément sortir du dualisme de l'âme
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