L'entreprise Et Le Libre-échange

"Le libre-échange, c'est la dictature des entreprises". Cette phrase de Vandana Sliva semble prendre tout son sens avec la signature du traité de libre-échange du 18 octobre 2013 entre l'Union Européenne et le Canada. En effet, selon ce traité, les entreprises obtiennent le droit de poursuivre un Etat devant la justice si ce dernier, ne respectant plus ses obligations commerciales, offre une résistance injustifiée au « libre-échange ». Un exemple concret : Vatenfall (groupe énergétique suédois) poursuit en justice le gouvernement fédéral allemand pour sa décision quant à l’abandon de l’énergie nucléaire par l’Allemagne, prévu à l’horizon 2022. D’où cette question fondamentale : Quels liens entre entreprise et libre échange?

Le libre-échange, en tant que principe visant à favoriser le commerce international, en supprimant les barrières douanières notamment, s’est développé dès le XIXème siècle, siècle que, toutefois, Paul Bairoch comparait à "un océan de protectionnisme avec quelques îlots libéraux". Comment un siècle globalement « protectionniste » a-t-il pu alors ouvrir la voie au libre-échange ?

C'est à cette époque que la notion d'entrepreneur émerge, aussi bien dans la théorie que dans la pratique. Des entreprises se développent progressivement, et Jean-Baptiste Say fera même de l'entrepreneur la figure centrale de la révolution industrielle.Mais ce n’est seulement qu’en 1911 que Joseph Schumpeter, dans Théorie de l'évolution économique, fait de l'entreprise le héros du capitalisme libéral du XIXème siècle. L’entreprise et l’entrepreneur sont donc la réponse, et dans cet essor du libre-échange (comme idéologie et comme réalité), les entreprises commencent à jouer un rôle central dans la mondialisation des échanges et l’internationalisation du commerce.

Le développement de l'entreprise a-t-il suivi le développement progressif du libre-échange depuis le XIXème siècle ? Quels ont été les changements au sein des entreprises qui sont allés de part avec la mondialisation des échanges ? Les entreprises sont-elles en train de changer les « règles » du libre-échange « traditionnel » ?

Tout d'abord nous nous intéresserons (I) au XIXème(A) et XXème siècles(B), en étudiant les liens étroits qu'ont pu avoir les entreprises naissantes avec l'émergence du libre-échange. Puis, nous verrons (II) que de nombreux changements s'opèrent durant l'évolution du libre-échange : (A) Les entreprises changent et s'adaptent, mais (B) elles-mêmes contribuent à faire évoluer le libre-échange et ses règles. Enfin, nous nous intéresserons à ces changements récents (III), qui présentent toutefois des limites, liées aux aspects moraux que la mondialisation ignore (A), ou encore les contraintes qu’imposent ceux qui profitent de la libéralisation des entreprises sur le libre-échange. (B)

II. Entreprise et libre-échange au "commencement".

A. XIXème siècle.

Le XIXème siècle ou siècle de la deuxième "révolution industrielle" est marqué par le passage d'une économie agraire à une économie industrielle et le developpement de l'industrie. On a tendance à dire que les entreprises se sont developpées à ce moment là, d'après la description que nous en fait Jean Baptise Say. En effet, il pense que l'entrepreneur est le moteur même de l'industrialisation. Pourtant il existait déjà dès le XVIIème siècle, de grandes compagnies commerciales maritimes, comme la Compagnie des Indes orientales (1600) qui préfigurent l'« entreprise » moderne en ce sens qu'elles sont les premières entités à explicitement viser le profit monétaire.

Attirées par le profit, les entreprises se developpent en effet en masse dans le secteur industriel au XIXème siècle pour tirer le plus grand bénéfice des nouvelles découvertes des première et deuxième Révolutions Industrielles : vapeur, chimie, automobile... Le profit tiré par les entreprises de cette spécialisation dans l'industrie a permis le developpement de nombreuses entreprises tout au long du XIXème siècle, en particulier en Allemagne, au Royaume Uni et en France. La forme de l'entreprise change aussi. Une nouvelle forme juridique d'entreprise se développe : la société anonyme. Elle facilite les apports en capitaux par des investisseurs : ceux-ci n'engagent leur responsabilité qu'à hauteur des montants investis, ce qui limite les risques. Ainsi en France est instaurée la société anonyme après les lois de 1863 et 1867.

A la même époque, l'émergence du libéralisme avec l'influence des théories classiques de Smith et Ricardo réduit l'importance des interventions de l'État au sein de l'économie. Karl Polanyi estime qu'au XIXe siècle,le marché est autorégulé, c'est-à-dire fonctionne avec une intervention très restreinte de l'État. Mais à cette époque, le libre échangisme n'est pas la norme. Les pays protectionnistes ont pour la plupart tenté d’accroître le plus possible la taille de leur marché : l’Allemagne s’est constituée sur la base d’une union douanière, le Zollverein, mise en place en 1834, tandis que les États-Unis n’ont cessé d’agrandir leur territoire tout au long du XIXè siècle. Le Royaume-Uni aurait été le seul à profiter du libre-échange, mais il est aussi le seul à l’avoir réellement pratiqué sur une longue période.

B. XXème siècle

L'industrie est alors fortement developpée, et la question se pose d'optimiser la production dans les entreprises. Les nouveaux moyens de production, par exemple la production à la chaîne de Taylor et Ford, permettent de produire en masse. La demande n'étant plus assez importante au niveau national vu les quantités produites, il devient interessant pour les entreprises d'aller à l'étranger pour élargir leur demande. Ainsi les nouveaux modes de production des entreprises ont favorisé l'essor du libre échange durant cette période.

Le libre échange incite aussi les entreprises à se developper durant cette période à cause de la concurrence qu'il existe à l'échelle mondiale : il devient important de pouvoir faire face à la compétition. Selon la théorie d' Haberler, un pays qui connaît des distorsions interieures, n'a pas d'avantage à ouvrir ses frontières. En d'autres termes, il faut en premier temps qu'il ait des entreprises nationales fortes pour avoir la capacité d'ouvrir ses frontières et surmonter la concurrence. List

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