Si, un jour, il convient de sélectionner quelques-uns des arrêts les plus célèbres de la jurisprudence civile rendus, en matière contractuelle, par la Cour de cassation lors du dernier tiers du XXe siècle, nul doute que celui du 15 décembre 1993 (n° 91-10.199, D. 1994. 507[pic 1], note F. Bénac-Schmidt, 230, obs. O. Tournafond, et 1995. 87, obs. L. Aynès ; AJDI 1994. 351, étude M. Azencot, et 1996. 568, étude D. Stapylton-Smith[pic 3]; RTD civ. 1994. 584, obs. J. Mestre[pic 4]), en matière de promesse unilatérale de vente, de la troisième chambre civile, fera partie du lot. En bref, décision, les juges du quai de l'Horloge ont affirmé que la rétractation du promettant ne peut dans cette être sanctionnée que par des dommages-intérêts et s'oppose à la formation de la vente préparée. Selon eux, en effet, l'obligation du promettant, parce qu'elle est une obligation de faire, ne peut se résoudre qu'en dommages-intérêts, et sa rétractation, parce qu'elle empêche nécessairement la rencontre des volontés, exclut fatalement la formation de la vente.
C'est peu dire que la doctrine avait modérément apprécié cette entorse jurisprudentielle au sacro-saint principe de l'exécution forcée en nature des obligations contractuelles. A quelques rares exceptions près, ce fut même un déferlement de critiques qui s'abattit sur la Cour de cassation, qui fut accusée de tous les maux. On lui reprocha d'avoir ressuscité malencontreusement l'article 1142, relique qui ne figure plus dans le code civil que grâce à la navrante inertie du législateur, et d'avoir fort inopportunément enterré l'article 1134, alinéa 2, du même code, en accordant au promettant le pouvoir de ne pas conclure le contrat promis, pouvoir qu'il avait pourtant abdiqué en s'engageant dans les liens de la promesse unilatérale. En somme, la doctrine déplorait que, par la faute de la Cour de cassation, les promesses unilatérales, à l'image des promesses électorales, n'engagent que ceux (des bénéficiaires) qui y croient.
Article après article, chronique après chronique, colloque après colloque, le procès de cette jurisprudence fut fait, même si quelques rares auteurs approuvaient fort imprudemment et courageusement la jurisprudence de la troisième chambre civile, laquelle ne varia pas d'un pouce. On a encore en souvenir, pour y avoir assisté, le cran avec lequel le professeur Daniel Mainguy défendit, seul contre tous, lors d'un colloque organisé par une revue concurrente, il y a quelques années, dans la Grand'Chambre de la Cour de cassation, la solution de sa troisième chambre. Sous le regard satisfait de Jean-François Weber, président à l'époque de la chambre en question et qui dirigeait la corrida, le sémillant professeur de Montpellier avait dû esquiver les charges furieuses d'une brigade contractuelle pas très légère, il faut bien en convenir.
Et puis, en ce joli mois de mai, la rumeur se faisait de plus en plus insistante : le revirement de jurisprudence n'était plus qu'une question de jours. D'autant que, lors d'un récent colloque organisé par l'Ordre des avocats aux Conseils, le président en exercice de la troisième chambre, Alain Lacabarats, avait, de l'avis de tous, fait un clin d'oeil appuyé à un des détracteurs de « sa » jurisprudence, présent avec lui sur l'estrade, en insistant sur le fait que « sa » chambre allait bientôt rendre un important arrêt sur une jurisprudence que son interlocuteur n'aimait pas (sic !). Avec une touchante naïveté, le crédule professeur se répandit alors ici et là, et, fier comme Artaban, proclama, à qui voulait bien l'entendre, que ses pertinentes critiques avaient enfin eu raison de l'obstination de la Cour de cassation et que l'avenir des promesses unilatérales allait redevenir radieux, grâce à lui évidemment.
Las, et on imagine la déception du pauvre bougre, la troisième chambre civile de la Cour de cassation vient de récidiver et de décider dans un arrêt du 11 mai dernier (n° 10-12.875) que « la levée de l'option par le bénéficiaire de la promesse postérieurement à la rétractation du promettant excluant toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d'acquérir, la réalisation forcée de la vente ne peut être ordonnée »...
Décidément, les promesses unilatérales de contrat ne sont donc pas tout à fait des contrats comme les autres... Au point de se demander si ces messieurs du quai de l'Horloge font bien la différence entre cet avant-contrat et une simple offre, dont ils sanctionnent d'ailleurs la révocation de la même façon, et si, pour eux, le plus important dans le terme « avant-contrat » n'est pas le qualificatif « avant », la qualification de « contrat » étant reléguée au second rang...
Au final, si on dresse aujourd'hui le bilan de la force des engagements précontractuels, on retiendra donc que la promesse unilatérale et l'offre de contrat sont, en cas de manquement, sanctionnés de façon identique, et que l'exécution forcée en nature, exclue en matière de promesse unilatérale, est, en revanche, admise pour les pactes de préférence. On ne peut que s'incliner respectueusement devant une telle cohérence qui en dit long sur la pertinence de la jurisprudence de la Cour de cassation en ce domaine... [pic 2] |