L'anorexie, un symptôme contemporain?
Dissertation : L'anorexie, un symptôme contemporain?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar pierrand • 1 Juin 2012 • Dissertation • 1 661 Mots (7 Pages) • 1 090 Vues
L’anorexie, un symptôme contemporain ?
Vannina Micheli-Rechtman
UNE CLINIQUE DU CORPS FÉMININ
L’anorexie est un symptôme essentiellement féminin. Même
s’il existe quelques cas d’hommes qui le présentent, c’est à mon
sens la question du féminin dans ses rapports particuliers au corps
et au langage, de la demande et du désir, du plaisir et de la jouissance,
et des mouvements de ce que Lacan a appelé l’objet a, qui
nous interroge dans cette clinique.
Une particularité de ce symptôme réside dans le fait qu’il est
aujourd’hui en constante augmentation dans les sociétés contemporaines
industrialisées dites développées. Ce serait même un des
symptômes de notre temps, au sein de notre société de « consommation
», alors que, dans le même temps, il s’inscrit dans l’Histoire,
l’histoire des femmes, et en particulier celle du jeûne. Mais
le jeûne n’est justement pas l’exact synonyme de l’anorexie.
En effet, plusieurs travaux historiques, particulièrement aux
États-Unis – ce qui ne nous étonnera guère puisque c’est actuellement
le lieu où la pathologie désignée comme « troubles du
comportement alimentaire » (Eating Disorders) est la plus prégnante
– ont été consacrés à l’histoire de l’anorexie mentale. Ces
études montrent l’apparition de cas d’anorexie au VIIe ou au
IXe siècle. Cette question y est abordée à partir d’une comparaison
entre la recherche acharnée de la minceur telle qu’elle s’exprime
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déjà au Moyen Âge par exemple et le tableau proprement dit de
l’anorexie 1.
Certains historiens affirment l’existence du tableau typique
d’anorexie mentale au Moyen Âge. Selon cette thèse, l’apparition
de l’anorexie mentale serait bien antérieure à la fin du XIXe siècle,
ses manifestations seraient décelables seulement à partir du
XIIIe siècle. Toutefois, cette démarche de nature analogique entre
la notion moderne d’anorexie mentale et la notion d’« anorexie
sainte » soulève un certain nombre de problèmes méthodologiques.
En effet, il semble bien difficile de porter a posteriori le
diagnostic d’anorexie mentale en s’appuyant essentiellement sur
des éléments biographiques, à partir de sources historiques dont
la fiabilité a parfois été mise en cause, et surtout dans un contexte
historique, médiéval, où n’existe pas de notion de pathologie psychiatrique.
Ajoutons, que l’aménorrhée caractéristique de l’anorexie
est totalement absente de ces sources historiques
compliquant d’autant le rapprochement entre les deux notions.
À ces réserves près, on notera que ce point de vue a le mérite
de fonder la comparaison entre l’« anorexie sainte » médiévale et
l’anorexie mentale contemporaine sur un argument essentiellement
sociologique qui souscrit à une thèse féministe. En effet,
quelle que soit l’époque, on retrouve l’idée selon laquelle l’anorexie
mentale serait un mode de réaction des femmes face à des
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1. Ces courants sont représentés par Rudolph M. Bell, professeur d’histoire à la
Rutgers University, Caroline W. Bynum, historienne à l’Université Columbia et
par Tilman Habermas, psychologue à l’Institut de psychologie de l’université de
Berlin. Leurs ouvrages de référence sont : R.M. Bell, L’anorexie sainte. Jeûne
et mysticisme du Moyen Âge à nos jours, Paris, PUF, 1994 ; C. Bynum, Jeûnes et
festins sacrés. Les femmes et la nourriture dans la spiritualité médiévale, Paris,
Cerf, 1994 ; T. Habermas, « Historical continuities and discontinuities between
religious and medical interpretations of extreme fasting. The background to Giovanni
Brugnoli’s description of two cases of anorexia nervosa in 1875 », History
of Psychiatry, 3, 1992, 431-455 ; T. Habermas, « The role of psychiatric and
medical traditions in the discovery and description of anorexia nervosa in
France, Germany and Italy », Journal of Nervous and Mental Disease, 179,
1991, 360-365 ; T. Habermas, « The psychiatric history of anorexia nervosa and
bulimia nervosa : weight-concerns and bulimic symptoms in early case-descriptions
», International Journal of Eatings Disorders, 8, 1989, 259-283.
structures patriarcales oppressives qui les conduisent à un certain
type d’abnégation. Le jeûne devient alors pour ces femmes une
nouvelle manière d’assumer leur pratique religieuse du côté
d’une maîtrise
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