Qu'est-ce qu'être sujet ?
Dissertation : Qu'est-ce qu'être sujet ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar OursRapide • 28 Décembre 2023 • Dissertation • 3 138 Mots (13 Pages) • 154 Vues
UE JV11PH – Master 1 Psychanalyse
Sujet 1 : Selon vous, qu'est-ce que la psychanalyse a changé à la question du sujet ? Qu'est-ce qu'un "sujet" pour la psychanalyse ?
Samuel Beckett s’interroge dans Le monde et le pantalon (1989), ouvrage d’analyse picturale : « ce qui suit ne sera qu’une défiguration verbale, voire un assassinat verbal, d’émotions qui, je le sais bien, ne regardent que moi » [1]. S’il écrit à propos de tableaux pour ses lecteurs, il défigurera l’émotion qu’il ressent ; et puis, étant donné que l’émotion n’est que sienne, comment pourrait-elle concerner tout le monde ? Où est la limite entre ce qui se partage collectivement, et ce qui n’existe qu’individuellement ? Nombre d’artistes questionnent l’expérience esthétique, en se demandant si réellement nous pouvons la partager, si elle passe d’abord par les émotions ou si nous devons l’éclairer de notre raison. Comment fonctionne ce je, que nous utilisons pour communiquer ; peut-il devenir un nous ? Plus largement, qu’est-ce qu’être un individu au milieu d’autres ; finalement, qu’est-ce qu’être sujet ? La question a bien sûr été rencontrée et discutée dans le champ de l’art comme justement évoqué, dont nous allons ici rapidement en rapporter certaines idées ; puis nous théoriserons le sujet en passant par la philosophie, en traversant brièvement les générations et les courants, pour enfin nous intéresser principalement à cette discipline prenant racine dans les débuts du XXème siècle qui a ouvert une nouvelle perspective quant au concept de sujet : la psychanalyse.
« C’est faux de dire : Je pense ; on devrait dire on me pense. Pardon du jeu de mots, Je est un autre. »[2] écrit Arthur Rimbaud à Georges Izambard en 1871. On décèle d’ores et déjà au XIXème siècle, principalement chez les poètes, un questionnement sur ces « pensée[s] qui échappe[nt] à la maîtrise du sujet conscient et volontaire »[3]. Arthur Rimbaud semble ici reprendre la formule d’Hippolyte Taine (1883) « Je suis un autre »[4], texte dans lequel Taine conteste l’unité du sujet, « dans lequel il ne voit qu’une succession d’évènements et d’états de conscience »[5].
Boris de Schloezer en 1947, interroge justement le moi de l’artiste dans un ouvrage sur Jean-Sébastien Bach : « le moi de l’artiste n’est pas le moi de l’individu naturel, mais c’est un moi artificiel, qu’il appelle « mythique », parce qu’il n’existe que dans le milieu de la composition »[6]. Selon lui, la création artistique force le créateur à « décoller »[7] de lui-même ; et de la même manière, le spectateur devra réaliser ce même écart pour prendre « part à l’aventure du musicien »[8].
Du côté de la sociologie, Pierre Bourdieu énonce dans La Distinction. Critique sociale du jugement (1979), que notre goût est soumis à une emprise sociale, en montrant que notre moi appartenait à un milieu et à une classe dont il exprimait les goûts.
En tant que receveurs d’une œuvre, nous devons distancier notre moi de l’expérience pour la recevoir ; mais si pouvons-nous en éloigner et que « Je est un autre » comme l’écrit Rimbaud, sommes-nous réellement un sujet uni comme pouvait le penser la philosophie cartésienne ? Par ailleurs, Descartes voulait-il vraiment transmettre que nous sommes un individu conscient, uni et pensant, comme cela a pu être repris ?
Commençons par un point d’étymologie : le terme sujet nous vient du latin subjectum : ce qui est en dessous, ce qui est assujetti. Selon Bernard Baas (2017), il est lié étymologiquement au terme substance (substans en latin) et il serait donc un paradoxe de parler de sujet sans substance. Ainsi, Descartes en amenant son Cogito, pose le sujet comme substance. En effet, il s’interroge : nous ne savons si toutes les représentations qui viennent à notre esprit sont réelles, alors de quoi pouvons-nous être sûr ? Mais si nous avons cette capacité de douter, alors nous ne pouvons aboutir qu’à une seule certitude, « la certitude de soi comme sujet »[9]. Le sujet cartésien est donc « une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser »[10].
Et c’est ce cogito qui sera le fondateur de la réflexion sur le sujet, puisque nombre de philosophes et écrivains vont se positionner par rapport à lui, ou dans sa mouvance, ou en le récusant. Emmanuel Kant au XIXème siècle, distingue le phénomène du noumène. Le phénomène est ce qui peut être expériencé sensiblement. Ainsi, ce qu’il nomme le moi empirique, est une composante du sujet qui est changeante : elle est liée à la perception des phénomènes extérieurs et des états internes. A l’opposé, le moi transcendantal est associé au noumène : il ne relève pas de l’expérience physique concrète, il est impossible à saisir. Ainsi, le sujet pense, mais ne sait pas ce qu’il est : c’est un premier remaniement de la pensée de Descartes.
Dans la première moitié du XIXème siècle, la pensée du danois Soren Kierkegaard s’articule autour de la question du devenir sujet : nous ne serions pas un sujet d’emblée, mais nous le devenons. Pour lui, l’existence ne forme pas un système, c’est-à-dire que « l’existence ne forme pas une totalité qui serait comprise dans le savoir, mais qu’elle est plutôt une faille dans le savoir, le non-su […]. Le sujet est le lieu de l’infini, comme un horizon, un point de mire »[11]. En effet, dans un système d’existence, la pensée et l’être sont liés ; pour Kierkegaard, nous pouvons être là où nous ne pensons pas être, et à l’inverse ne pas être là où nous pensons être. Et ici, il avance cette idée que ce n’est pas dans ce qui parait que se trouve le sujet, mais dans ce qui semble n’être rien. Le je pense donc je suis devient je suis là où je ne pense pas : je suis ailleurs que là où je pense m’identifier et me penser.
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