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L'arrêt Sarran, Entre Apparence Et réalité

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Par   •  9 Octobre 2014  •  5 253 Mots (22 Pages)  •  1 228 Vues

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Christine Maugüé - Cahiers du Conseil constitutionnel n° 7 (Dossier : La hiérarchie des normes) - décembre 1999

Maître des requêtes au Conseil d'État,

Commissaire du gouvernement,

Professeur associé à l'Université de Paris II

L'arrêt Sarran constitue sans doute " l'un des arrêts les plus importants de l'histoire de la Ve République en matière de hiérarchie des normes ", comme a pu le constater le professeur Alland (D. Alland, " Consécration d'un paradoxe : primauté du droit interne sur le droit international ", RFD adm. 1998, p. 1094). Il constitue en tout cas l'un des arrêts les plus commentés de la décennie qui s'achève, si l'on en croit l'abondance et la richesse des commentaires qu'il a suscités. De ce point de vue, l'arrêt est à placer au même rang que l'arrêt Nicolo. Consécration ultime, l'arrêt Sarran figure dans la douzième édition des Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative.

C'est l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie qui est à l'origine de cette décision. Passé entre le gouvernement et les principaux acteurs politiques néo-calédoniens, l'accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998 détermine le cadre institutionnel très spécifique dans lequel évoluera la Nouvelle-Calédonie dans les vingt prochaines années. Cet accord a confié au " pays " le soin d'exercer des compétences encore jamais confiées à un territoire de la République : compétence législative, lorsque certaines délibérations du Congrès du Territoire auront le caractère de " loi de pays " et ne pourront de ce fait être contrôlées que devant le Conseil constitutionnel, avant leur promulgation; mais également compétence gouvernementale, lorsque l'exécutif de la Nouvelle-Calédonie deviendra un " Gouvernement collégial élu par le Congrès et responsable devant lui ". L'accord a en outre prévu la reconnaissance d'une citoyenneté propre de la Nouvelle-Calédonie justifiant l'exercice d'un corps électoral restreint, tant pour le scrutin d'autodétermination que pour les élections locales. En cela l'accord dérogeait tant au principe de l'indivisibilité de la République qu'à l'article 3 de la Constitution qui dispose que sont électeurs tous les nationaux français. Une loi constitutionnelle a donc été nécessaire pour autoriser le législateur à déroger à ces principes.

Tel a été objet de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie, qui a rétabli dans la Constitution un titre XIII intitulé " Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ". L'article 77 de la Constitution, issu de cette loi, a autorisé les adaptations nécessaires à la mise en œuvre du dispositif de l'accord. L'article 76 nouveau a quant à lui énoncé que : " Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française. Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988. Les mesures nécessaires à l'organisation du scrutin sont prises par décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres ". En application de ces dispositions, le décret du 20 août 1998 a défini les modalités d'organisation de la consultation des populations de la Nouvelle-Calédonie. Ce décret a été contesté par deux personnes domiciliées en Nouvelle-Calédonie, M. Sarran et M. Levacher, ce dernier agissant conjointement avec 15 autres requérants. La perspective de la consultation qui devait avoir lieu le 8 novembre 1998 en Nouvelle-Calédonie a justifié la célérité particulière avec laquelle ces requêtes, présentées le 7 octobre 1998, ont été instruites : l'Assemblée du contentieux s'est en effet prononcée trois semaines plus tard, le 30 octobre 1998 (RDF adm. 1998, p. 1081, concl. Ch. Maugüé).

L'intérêt juridique de l'arrêt tient à la fois à l'importance et au nombre des questions qu'il aborde. Affirmation de la primauté de la Constitution dans la hiérarchie des normes, contrôle exercé par le juge administratif pour faire respecter cette hiérarchie, précisions données à plusieurs dispositions de la Constitution : tous ces aspects justifient largement l'intérêt suscité par cet arrêt.

I. Cette décision affirme d'abord la primauté de la Constitution dans la hiérarchie des normes.

A. Le Conseil d'État a énoncé pour la première fois de façon aussi claire sa conception de la hiérarchie des normes juridiques.

Les requêtes, qui contestaient toutes les deux la légalité des articles 3 et 8 du décret relatifs à la durée de séjour nécessaire pour pouvoir participer au scrutin du 8 novembre 1998, posaient en des termes très purs la question de la place respective des normes internationales et de la Constitution dans la hiérarchie des normes.

Aux termes de l'article 3 du décret, " Conformément à l'article 76 de la Constitution et à l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988 susvisée, sont admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 les électeurs inscrits à cette date sur les listes électorales du territoire et qui ont leur domicile en Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988 ". L'article 8 du décret précisait quant à lui que " la commission [compétente] inscrit sur cette liste, à leur demande, les électeurs remplissant à la date de la consultation la condition d'âge et la condition de domicile exigée par l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988 ". Les requérants estimaient que l'institution de ce corps électoral avait méconnu plusieurs normes de droit interne et de droit international qui exprimaient des principes d'universalité et d'égalité du suffrage. Les normes de droit interne invoquées étaient les articles 3, 55 et 76 de la Constitution, les articles 1er et 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, un certain nombre d'articles du code électoral et des articles du code civil; les normes de droit international étaient l'article 14 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

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