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Peine De Mort

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Par   •  21 Mai 2013  •  2 298 Mots (10 Pages)  •  1 191 Vues

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La parution du séminaire La peine de mort I constitue la deuxième étape, après la publication de la Bête et le souverain, de l’énorme projet d’édition des séminaires de Jacques Derrida. Séminaire La peine de mort I (1999-2000) restitue la première des deux années que Derrida consacra à la question de la peine de mort à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. La démarche poursuivie par Derrida est, comme toujours, indissociable de la lecture des grands textes de la tradition, souvent éblouissante, alternant, dans ce séminaire, entre philosophie (Platon, Rousseau, Kant, Nietzsche, Schmitt), littérature (Hugo, Baudelaire, Genet, Camus, Blanchot), et la lecture attentive du récit d’un homme politique comme Robert Badinter.

Soulignons et saluons d’emblée le travail scrupuleux réalisé par les éditeurs qui, aussi bien dans une introduction générale qu’à travers des notes très précieuses parsemant le parcours de lecture, permettent au séminaire de Derrida de se déployer dans toute son envergure. Certes, la lecture du séminaire n’est pas sans inspirer une série de méta-questions que d’aucuns ne manqueront pas de se poser, notamment quant au statut à accorder, au sein d’une œuvre philosophique ayant centré la plus grande partie de son attention à l’écriture, à la question de son enseignement et de sa transmission orale. Toutefois, comme les éditeurs le rappellent dans leur introduction, l’enseignement de Derrida ne relève que rarement d’une parole publique entièrement improvisée. Il procède bien plutôt d’une élaboration d’ores et déjà écrite destinée à être lue à un public d’auditeurs réguliers. À la différence des séminaires d’autres penseurs, il n’a pas été question pour les éditeurs de rédiger un texte absent à partir de notes ou d’enregistrements, mais de satisfaire une exigence bien différente, imposant ses contraintes propres, celle de « présenter le texte du séminaire, tel qu’il fut écrit par Jacques Derrida, en vue de la parole, de la lecture à voix haute ».

Soucieux de respecter la restitution d’un texte élaboré dans cet horizon, les éditeurs n’ont rien modifié du texte rédigé à l’ordinateur par Derrida, ni même cherché à le compléter par des remarques ou commentaires improvisés en cours de séance, lesquels, pour cette raison, se trouvent systématiquement insérés dans des notes de bas de page.

Pourquoi la peine de mort ?

Loin de représenter une question annexe ou latérale, éloignée des champs traditionnels de la déconstruction, la peine de mort est présentée par Derrida comme touchant probablement au plus intime de sa démarche : « la déconstruction, ce qu’on appelle de ce nom, est peut-être, peut-être, (sic) peut-être la déconstruction de la peine de mort, de l’échafaudage logocentrique, logo-nomocentrique, dans lequel la peine de mort est inscrite ou prescrite ».

La déconstruction de la peine de mort serait donc déjà inscrite dans la déconstruction du logocentrisme, à laquelle nous avait déjà habitués Derrida, dans la mesure où cette dernière viserait le démantèlement des présupposés métaphysiques rendant possible la peine de mort. Au lieu d’étendre la déconstruction des présupposés théologico-politiques à la peine de mort — voyant en celle-ci un « phénomène particulier » de celui-là — c’est en suivant la démarche inverse que Derrida se propose de procéder, « c’est-à-dire tenter de penser le théologico-politique en sa possibilité depuis la peine de mort ». Déconstruire la peine de mort reviendrait à déconstruire la clé de voûte de l’édifice théologico-politique, s’il est bien vrai que « l’essence du pouvoir souverain, comme pouvoir politique mais d’abord théologico-politique, se présente ainsi, se représente ainsi, comme droit à prononcer et à exécuter une peine de mort ». La peine de mort repose en effet sur l’évidence d’une distinction entre deux types de mise à mort supposément irréductibles l’une à l’autre, irrigant les systèmes juridiques des États-nations découlant de la culture abrahamique :

« ces États-nations de culture abrahamique n’ont pas trouvé plus de contradiction entre ce “tu ne tueras point” (donc, en apparence, ce droit absolu à la vie, cet interdit de donner la mort) et la peine de mort, pas plus de contradiction en vérité que Dieu lui-même n’a semblé en trouver quand, après avoir ainsi (Exode XX, 1-17) prescrit le “Tu ne tueras point”, il ordonne à Moïse d’exposer aux fils d’Israël ce qu’on traduit par les “jugements”. Que disent en particulier lesdits “jugements”, juste après les dix commandements ? Eh bien, en substance, qu’il faut condamner à mort, et leur donner la mort, tous ceux qui transgresseront tel ou tel de ces dix commandements (...) La différence qui compte n’est pas ici entre la vie et la mort mais entre deux façons de donner la mort. Une mort, celle de la peine de mort, rétablit la loi ou le commandement que l’autre mort (l’assassinat) aura violé (e) » (p. 35-38).

C’est donc depuis cette évidence, héritée de la Bible, suivant laquelle il est possible de distinguer entre deux types de mise à mort, que s’ouvre la possibilité d’ériger une mise à mort légitime et légale, pleinement souveraine, qu’est la peine de mort. En effet, « la peine de mort, l’ordre juridique (Rechtsordnung), le jugement, le verdict qui arrête la mort ne se réfère pas à la même mort, à la même mise à mort que celle dont il est question dans le “Tu ne tueras point” ». Or, bien loin de seulement sous-estimer le théologico-politique et son rapport intime à la peine de mort, les courants abolitionnistes participent bien souvent d’une logique solidaire de l’édifice théologico-politique, se révélant comme telle, dès lors, tout autant déconstructible : « malgré toute la sympathie que j’ai pour lui, le discours abolitionniste est déconstructible, dans son état actuel ». Cette solidarité paradoxale des partisans de la peine de mort et des abolitionnistes doit être soulignée pour, d’un même mouvement critique et déconstructif, parvenir à démanteler, en son cœur, l’édifice théologico-politique et l’évidence de la distinction entre deux types de mise à mort qui le soutient. En deçà de la déconstruction de cette distinction, la peine de mort, abolie ou non, continuera d’agir. En effet, les « quelques États-nations de la modernité démocratique qui ont aboli la peine de mort gardent un droit souverain sur la vie des citoyens qu’ils peuvent envoyer à la guerre pour tuer ou se faire tuer dans un espace radicalement étranger à l’espace de la légalité interne, du

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