Thèse de Voltaire
Cours : Thèse de Voltaire. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar VoltaireCB • 24 Novembre 2012 • Cours • 1 125 Mots (5 Pages) • 1 040 Vues
On nous crie que la nature humaine est essentiellement perverse, que l’homme est né enfant du diable et méchant. Rien n’est plus malavisé ; car, mon ami, toi qui me prêches que tout le monde est né pervers, tu m’avertis donc que tu es né tel, qu’il faut que je me défie de toi comme d’un renard ou d’un crocodile. Oh point ! me dis-tu, je suis régénéré, je ne suis ni hérétique ni infidèle, on peut se fier à moi. Mais le reste du genre humain qui est ou hérétique, ou ce que tu appelles infidèle, ne sera donc qu’un assemblage de monstres ; et toutes les fois que tu parleras à un luthérien, ou à un Turc, tu dois être sûr qu’ils te voleront et qu’ils t’assassineront, car ils sont enfants du diable ; ils sont nés méchants ; l’un n’est point régénéré, et l’autre est dégénéré. Il serait bien plus raisonnable, bien plus beau de dire aux hommes : « Vous êtes tous nés bons ; voyez combien il serait affreux de corrompre la pureté de votre être. » Il eût fallu en user avec le genre humain comme on en use avec tous les hommes en particulier. Un chanoine mène-t-il une vie scandaleuse, on lui dit : « Est-il possible que vous déshonoriez la dignité de chanoine ? » On fait souvenir un homme de robe qu’il a l’honneur d’être conseiller du roi, et qu’il doit l’exemple. On dit à un soldat pour l’encourager : « Songe que tu es du régiment de Champagne. » On devrait dire à chaque individu : « Souviens-toi de ta dignité d’homme. »
Et en effet, malgré qu’on en ait, on en revient toujours là ; car que veut dire ce mot si fréquemment employé chez toutes les nations : Rentrez en vous-même ? si vous étiez né enfant du diable, si votre origine était criminelle, si votre sang était formé d’une liqueur infernale, ce mot : Rentrez en vous-même, signifierait : « Consultez, suivez votre nature diabolique, soyez imposteur, voleur, assassin, c’est la loi de votre père. »
L’homme n’est point né méchant ; il le devient, comme il devient malade. Des médecins se présentent et lui disent : « Vous êtes né malade » ; il est bien sûr que ces médecins, quelque chose qu’ils disent et qu’ils fassent, ne le guériront pas si sa maladie est inhérente à sa nature : et ces raisonneurs sont très malades eux-mêmes.
Assemblez tous les enfants de l’univers, vous ne verrez en eux que l’innocence, la douceur et la crainte ; s’ils étaient nés méchants, malfaisants, cruels, ils en montreraient quelque signe, comme les petits serpents cherchent à mordre, et les petits tigres à déchirer. Mais la nature n’ayant pas donné à l’homme plus d’armes offensives qu’aux pigeons et aux lapins, elle ne leur a pu donner un instinct qui les porte à détruire.
L’homme n’est donc pas né mauvais ; pourquoi plusieurs sont-ils donc infectés de cette peste de la méchanceté ? C’est que ceux qui sont à leur tête étant pris de la maladie, la communiquent au reste des hommes, comme une femme attaquée du mal que Christophe Colomb rapporta d’Amérique, répand ce venin d’un bout de l’Europe à l’autre. Le premier ambitieux a corrompu la terre.
Vous m’allez dire que ce premier monstre a déployé le germe d’orgueil, de rapine, de fraude, de cruauté, qui est dans tous les hommes. J’avoue qu’en général la plupart de nos frères peuvent acquérir ces qualités ; mais tout le monde a-t-il la fièvre
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