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Qu'est-ce Qu'habiter ?

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Par   •  6 Novembre 2013  •  2 131 Mots (9 Pages)  •  3 550 Vues

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QU’EST-CE QU’HABITER ?

Cette question paraît simple : habiter c’est occuper un lieu, vivre quelque part. Bien sûr, mais la philosophie est en grande partie l’art de se méfier des réponses faciles.

Le conteneur entreposé dans un hangar occupe bel et bien un lieu mais ne l’habite point et le voyageur vit quelque part, là où il passe, mais il est difficile de dire qu’il habite un lieu.

Car un lieu n’est pas d’emblée un lieu d’habitation, il peut être un poste de travail, une gare, un champ de bataille, un monument. Pour qu’un lieu soit un habitat, il faut qu’il puisse « être habité ». Voilà qui paraît évident, mais cela nous ramène à notre question : qu’est-ce donc qu’habiter ?

Les animaux habitent, eux aussi, dans des tanières, dans des trous et autres abris, ils y reviennent pour s’y reposer, se reproduire, ils y prennent leurs quartiers, leurs habitudes. Y a-t-il une différence avec l’habiter humain ?

Disons d’abord ceci : habiter c’est le fait de vivre habituellement dans un lieu. En effet, le mot “ habiter ” est apparenté à “ habitude ”. Mais qu’est-ce que l’habitude ? Nous avons coutume de la considérer comme ce qui est répétitif ou routinier. Mais avant de venir signifier cela, “ habitude ” a été, pour les philosophes anciens, un mot très important. Il vient du latin habitus, qui veut dire aptitude ou disposition naturelle (ou cultivée) à faire quelque chose, c’est-à-dire une “ vertu ”. Une vertu est ainsi une faculté qui rend possible une action vertueuse. Cette action est facilitée par une disposition animique, comme l’entraînement d’un coureur le prédispose à mieux courir. Le mot virtus, à son tour, vient de vir, force (d’où l’on obtient “ viril ”, sans doute par machisme millénaire, puisque vir c’est aussi l’homme mâle ou sexe “ fort ”). La langue moderne conserve cet usage dans “ habileté ” ou habilitation. Ou encore dans l’expression “ la force de l’habitude ”, qui viendrait redoubler le sens. C’est dans cette redondance que le mot se charge d’un sens plutôt négatif : l’habitude est interprétée comme rigidité ou routine. Mais originellement elle est donc aptitude au bien, force, vertu dans le sens de qualités morales.

Habiter, donc, serait une habileté, une vertu, une force. Il y aurait alors un rapport entre habiter et la morale ?

C’est que, pour l’humain, il ne s’agit pas seulement de s’abriter des intempéries, encore que cela soit indispensable. L’habiter humain a à voir avec la vie humaine, et la façon dont on la vit. Or, la façon de vivre, le comportement habituel, se dit “ ethos ” en grec ancien, traduit comme “ caractère ”, et de “ ethos ” vient notre mot actuel éthique, si important…

Habiter c’est ainsi être en relation avec un lieu, avec un espace, en sorte que de cette relation puisse naître une attitude en face de la vie et de ses problèmes. Cette attitude, et les actes qui s’en suivent, nous l’appelons une “ éthique ”.

Bien sûr, ce rapport entre l’habiter humain et l’éthique est éminemment problématique, et tout dans l’éthique ne dépend pas de l’habiter. Mais nous pouvons déjà nous apercevoir que l’habiter est bien plus de choses pour l’homme que s’abriter ou se protéger des intempéries.

Habiter, on l’avait dit, c’est habiter un espace. L’espace est ce que les corps matériels peuvent occuper et même remplir. Mais habiter c’est remplir cet espace de soi-même, et non seulement en tant que corps matériel, en sorte qu’on puisse dire que cet espace “ est habité ”. Un lieu désert est d’abord un espace non habité. Un espace ou un lieu est habité quand il garde la trace, quand il est marqué, en quelque sorte par son habitant ou ses habitants ; ces derniers impriment le lieu de quelque chose d’eux-mêmes. L’espace habité est teinté, coloré par la subjectivité de son habitant, de son “ caractère ” ou ethos, de ses mœurs, de ses souvenirs, de ses mouvements et gestes, de son rythme et de sa vibration. Cela se ressent lorsqu’on entre dans un lieu habité.

C’est pourquoi habiter n’est pas simplement occuper un lieu et on n’habite pas un lieu de passage, comme une chambre d’hôtel ou un véhicule ; sauf les nomades. Pour habiter il faut s’attarder dans un endroit, rester, ne serait-ce qu’une courte période. C’est ce que nous exprimons avec le mot « demeurer ».

Demeurer vient du latin “ mora ”, retard, et “ morari ”, rester. Or de la même racine vient le mot demeure, ainsi que l’Espagnol morada, qui veut dire habitation, c’est-à-dire donc, un lieu où l’on s’attarde[1].

Et dans “ morada ” et “ demeure ”, on entend très clairement la racine latine “ mor ”, et “ mores ” d’où viennent les mots “ moeurs ” et, bien sûr, morale, qui est l’ensemble de considérations, valeurs et normes à propos des mœurs. Et l’on revient par le latin « morale » à l’« éthique » venue du grec.

Pour Heidegger cette filiation de mots à partir du grec ethos est encore plus claire : d’après lui, ethos, que l’on traduit habituellement par “ caractère ” ou façon propre d’être, veut dire avant tout le lieu de l’habiter humain, la demeure. Ainsi l’éthique serait avant tout une méditation sur l’habiter humain, la façon et la modalité du demeurer de l’homme[2].

Nous voyons ainsi que le fait d’habiter pour l’humain est quelque chose d’essentiel. Nous pouvons peut-être définir l’homme dans son essence, mieux que comme « l’animal politique » ou « l’animal doué de langage », comme l’être qui habite, comme l’habitant.

L’humain ne fait donc pas que vivre, il ne se contente pas d’être, il doit se positionner devant l’existence, dans le monde et avec les autres. C’est cela l’éthique : la quête de chacun de son positionnement dans le monde et face à autrui. C’est à partir de sa façon d’habiter qu’il aura un positionnement, une attitude, un caractère, des mœurs, une morale.

Mais habiter, nous le savons bien, c’est aussi avoir un domicile, être domicilié quelque part. Ceci n’est pas seulement une exigence de la loi, comme les papiers d’identité. D’après ce que nous venons de voir c’est quelque chose de l’essence de l’homme. Le domicile[3] est ce qu’on appelle un “ chez soi ”. Non pas seulement un abri –nous l’avons vu- mais un lieu habité d’où l’on sort et

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