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Le Radicalisme

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Par   •  5 Avril 2013  •  3 852 Mots (16 Pages)  •  1 476 Vues

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Résumé

L’objectif de cet article est de déterminer en quoi consiste la radicalité dans le domaine de la pensée. A quoi reconnaît-on une théorie ou une doctrine radicale, sachant que la notion de « radicalité » a également des applications ailleurs que dans le domaine intellectuel, par exemple en politique ou dans les arts ? Le point de départ de l’analyse est constitué par une hypothèse présente chez Walter Benjamin, Siegfried Kracauer et Carl Schmitt. Chacun à sa manière, ces auteurs défendent l’idée que faire la théorie d’un phénomène social suppose d’examiner ses manifestations extrêmes ou radicales, et non ses manifestations ordinaires ou normales. Cette idée est à la base de ce que nous appellerons le radicalisme épistémique, dont nous préciserons ensuite certaines des caractéristiques principales.

« … les voyageurs, qui, se trouvant égarés en quelque forêt, ne doivent pas errer en tournoyant tantôt d’un côté tantôt d’un autre, ni encore moins s’arrêter en une place, mais marcher toujours le plus droit qu’ils peuvent vers un même côté (…) ; car, par ce moyen, s’ils ne vont justement où ils désirent, ils arriveront au moins à la fin quelque part où vraisemblablement ils seront mieux que dans le milieu d’une forêt. » Descartes, Discours de la méthode, troisième partie.

Introduction

Notre objectif dans cet article est de tâcher de déterminer en quoi consiste la radicalité dans le domaine de la théorie ou de la pensée. A quoi reconnaît-on une théorie, une doctrine ou une pensée radicale, sachant que la notion de « radicalité » a des applications ailleurs que dans le domaine intellectuel, par exemple en politique ou dans les arts ?

La notion de « radicalité intellectuelle » - ou des notions connexes telles que « pensée radicale » ou « pensée extrême » - n’a à ce jour fait l’objet que de peu d’analyses approfondies. Elle apparaît, par exemple, dans un article de Philippe Raynaud paru dans la revue Le débat, intitulé « Les nouvelles radicalités. De l’extrême gauche en philosophie ». Cet article a ensuite donné lieu à la publication d’un ouvrage du même auteur ayant pour titre L’extrême gauche plurielle. Entre démocratie radicale et révolution [1]. Dans ces deux textes, Raynaud présente et soumet à critique certaines des principales philosophies politiques « révolutionnaires » - ou radicalement réformistes - apparues au cours des années 1990 (c’est-à-dire après la chute du mur de Berlin), notamment celles de Toni Negri, Daniel Bensaïd, Etienne Balibar et Alain Badiou. Les expressions de « radicalité intellectuelle » ou de « radicalité philosophique » sont employées à plusieurs reprises pour désigner ces doctrines. Ces expressions ne sont cependant jamais définies rigoureusement, si bien que la pertinence de l’usage de la notion de « radicalité » dans le domaine de la pensée n’apparaît pas véritablement.

On trouve par ailleurs à l’heure actuelle des analyses de la « radicalité » ou de la « radicalisation » développées par des sociologues, des politistes, des historiens ou des psychologues. Mais celles-ci n’abordent pas de front la question de la radicalité en matière intellectuelle. Ainsi, l’ouvrage collectif dirigé par Annie Collovald et Brigitte Gaïti, intitulé La démocratie aux extrêmes. Sur la radicalisation politique, renferme des études consacrées à divers processus de radicalisation des comportements politiques [2]. Le problème du rôle de la radicalisation idéologique dans la radicalisation politique y apparaît à plusieurs reprises, par exemple dans un article de Nicolas Guilhot intitulé « Les néo-conservateurs : sociologie d’une contre-révolution ». La question de ce en quoi consiste précisément une pensée radicale n’y est cependant pas posée, et aucune définition de cette notion n’est proposée. En particulier, la question de savoir si un processus de radicalisation peut d’abord naître dans le domaine intellectuel, pour se propager ensuite dans celui de la pratique politique n’est pas abordée.

Le présent article ne vise évidemment pas à répondre de manière exhaustive au problème de la nature de la radicalité intellectuelle. Il a simplement pour objectif de mettre en lumière certains aspects de ce problème. Le qualificatif « radical », on le sait, renvoie étymologiquement à ce qui est relatif à la racine (radix en latin), et par extension à l’essence ou au fondement de l’entité ou du processus approché de manière radicale. C’est par exemple le sens que donne Karl Marx à cette expression lorsqu’il affirme dans sa critique de la philosophie du droit de Hegel qu’ « Etre radical, c’est prendre les choses par la racine » [3]. Le problème, bien entendu, est qu’une fois dit cela, on n’a encore rien dit de précis sur la nature de la radicalité, qu’elle soit intellectuelle ou autre [4]. Un effort minimal de clarification conceptuelle est donc requis en ce qui concerne cette notion.

Nous commencerons par proposer trois citations de penseurs qui se sont posés, pour des raisons convergentes, le problème de la radicalité intellectuelle. Nous tâcherons ensuite d’en dégager des enseignements permettant de progresser dans la compréhension de ce qu’est une pensée radicale. Nous nous concentrerons tout particulièrement sur deux éléments qui nous semblent caractéristiques de la radicalité intellectuelle.

Le radicalisme épistémique

La première citation que nous considérerons est de Walter Benjamin. Elle est tirée de l’ouvrage L’Origine du drame baroque allemand - la thèse de doctorat de Benjamin - paru en 1928. Voici ce qu’affirme le philosophe :

« C’est une erreur que de vouloir présenter ce qui est général comme une valeur moyenne. Ce qui est général, c’est l’idée. Par contre, plus on pourra la voir comme quelque chose d’extrême, plus on pénétrera profondément au cœur de la réalité empirique. Le concept découle de l’extrême. »

Et Benjamin ajoute plus loin : « La nécessité de se tourner vers les extrêmes - c’est la norme de la formation des concepts dans les recherches philosophiques. » [5]

La deuxième citation est de Siegfried Kracauer, qui était, comme Benjamin, un proche de l’Ecole de Francfort. Voici ce que dit Kracauer dans son ouvrage intitulé Les employés, paru en 1929 :

« Le matériel présenté dans ce travail a été recueilli à Berlin, car à la différence de toutes les autres villes et localités allemandes, Berlin est l’endroit où la condition

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