La vertu comme cause du bonheur
Analyse sectorielle : La vertu comme cause du bonheur. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Coucouyoyo • 1 Avril 2015 • Analyse sectorielle • 2 801 Mots (12 Pages) • 702 Vues
« Que le monde est mauvais, c'est là une plainte aussi ancienne que l'histoire, et même que la poésie plus vieille encore » : tel est le constat désolé par lequel Kant ouvrait La Religion dans les simples limites de la raison. Le monde est mauvais : celui qui a des principes est le dindon de toutes les farces, celui qui ne s'embarrasse pas de scrupules est promis à toutes les réussites. Davantage même : quand il n'est pas persécuté par les méchants que sa seule présence insupporte, le juste voit le sort s'acharner sur lui, alors que le coupable semble jouir en toute quiétude du fruit de ses crimes, impuni, heureux, récompensé même. À la fin de Madame Bovary, Monsieur Homais, qui allie avec un talent rare la stupidité crasse et la mesquinerie sans frein, reçoit la « croix d'honneur » tandis que, dans la Bible, Job est la proie de tous les malheurs alors qu'il a toujours été honnête, prudent et bon. Tout se passe donc comme si le bonheur ne dépendait que des caprices de la fortune, qu'il n'était la récompense ni de la vertu, ni même de la sagesse, tout au contraire : non seulement les coups du sort frappent indistinctement les bons et les méchants, mais il semblerait que la fatalité prenne un malin plaisir à s'en prendre à ceux qui précisément le mériteraient le moins. Et après tout, quoi d'étonnant ? Étymologiquement, le bonheur, c'est ce qui « tombe bien », ce en quoi le hasard fait bien les choses : en ce sens, l'homme heureux ne le serait jamais que par chance, sans qu'il ait rien fait pour le mériter, parce que le bonheur, contingent par nature, ne dépendrait que des circonstances sur lesquelles notre volonté n'a nulle prise. Tout le problème vient alors de ce qu'il constitue, à n'en pas douter, ce que les morales antiques nommaient le « souverain bien », le bien suprêmement désirable, le but ultime de toutes nos actions : si nous désirons quelque chose, c'est à l'évidence parce que nous espérons que cela nous rendra heureux, en sorte que le bonheur semble être la fin dernière que nous poursuivons tous, fût-ce selon des voies différentes. Mais alors, suffit-il de nous en remettre à la fortune en espérant que les circonstances nous seront favorables ? Car enfin, penser qu'il ne dépend pas de nous d'être heureux, n'est-ce pas dire que la vie humaine est incapable, par ses propres forces, de rencontrer ce que pourtant elle recherche par-dessus tout, et ainsi réputer d'avance vains tous nos efforts ? D'un autre côté, si tout en dépendait, pourrions-nous seulement expliquer ce qui semble être une présence irréductible du malheur, puisqu'il suffirait de le vouloir pour être heureux ? Pouvons-nous en d'autres termes dire que l'homme malheureux n'a finalement que ce qu'il mérite ? La question qui d'abord se pose, c'est donc celle du rapport entre bonheur et sagesse : l'homme sage peut-il raisonnablement espérer être heureux, si du moins il fait tout ce qu'il faut pour l'être ? Et d'autre part, que faire des figures du méchant récompensé et du juste persécuté ? Ici, la question est celle du lien unissant bonheur et vertu : suffit-il de s'efforcer d'être vertueux pour rencontrer le bonheur et, inversement, l'homme qui a sombré dans l'indignité morale peut-il connaître un bonheur véritable ? Car enfin, si la vertu devait nous vouer à la souffrance, si la sagesse devait être incapable de nous donner ce que pourtant elle nous promet, à quoi bon s'efforcer d'être prudent et pourquoi essayer d'être moral ?
I. La sagesse consiste à faire dépendre de nous le bonheur
Le bonheur, avons-nous dit, constitue le souverain bien ou la fin ultime de nos actions : voilà l'affirmation commune à toutes les doctrines de l'Antiquité – et elle semble dictée par le bon sens. Comment faire alors pour atteindre notre but si nous ne voulons pas que les caprices de la fortune dictent seuls notre sort ? Comment, en d'autres termes, parvenir à la vie heureuse ? Nous connaissons tous des instants de plaisir, mais le plaisir est ponctuel, alors que le bonheur réclame la durée. La question est donc bien la suivante : comment donner au plaisir un temps excédant celui de l'instant ? La réponse épicurienne est simple : il faut et il suffit d'écarter de l'âme tout ce qui la trouble, car s'il ne reste qu'une suite continue d'instants plaisants, alors nous atteindrons un bonheur durable. Or, pour Épicure, cette possibilité est toujours offerte à l'homme, pour peu qu'il soit assez sage : il faut seulement nous laisser guider par la sensation, qui est le seul critère absolument fiable du bon et du mauvais. C'est elle en effet qui nous indique ce qu'est le plaisir : non pas une quantité, mais bien une qualité, qui comme telle n'est pas susceptible de degré, de plus ou de moins. Soit la sensation est plaisante, soit elle ne l'est pas, sans qu'il y ait d'entre-deux possible. Or si le plaisir est un concept univoque, il n'en va pas de même des désirs, et c'est précisément leur rapport au plaisir qui va permettre de les différencier : certains désirs sont faciles à satisfaire, donc procurent un plaisir qu'il est aisé d'atteindre. Certains voient leur satisfaction dépendre des circonstances extérieures et sont alors des promesses de trouble. Certains enfin sont voués à l'illimité, parce que comme tels inextinguibles, et n'amènent de ce fait que de l'insatisfaction, donc du déplaisir. On aura ici reconnu la tripartition épicurienne des désirs, selon qu'ils sont naturels et nécessaires (boire lorsqu'on a soif, manger lorsqu'on a faim…), naturels et non nécessaires (rechercher le confort, par exemple une nourriture savoureuse), non naturels et non nécessaires (désirer la gloire, la fortune, l'immortalité…). Le dernier genre de désirs n'a pas la sensation pour principe, mais l'imagination, et c'est pourquoi ces désirs ne sont pas naturels : c'est en fait la crainte des dieux et la peur de la mort qui nous font désirer la célébrité ou la fortune. C'est parce qu'il a peur qu'il ne reste rien de lui après sa mort que l'insensé désire la célébrité. Or la mort n'est pas à craindre, précisément parce qu'elle signe la désunion définitive de l'âme et du corps, en sorte qu'il n'y a pas à se soucier d'une renommée posthume dont nous ne serons par définition jamais les témoins. Mais précisément, parce qu'ils reposent sur les peurs de l'imagination, ces désirs sont infinis : celui qui veut le pouvoir ou l'argent
...