La Morale A T Elle Sa Place Dans Les échanges économiques
Documents Gratuits : La Morale A T Elle Sa Place Dans Les échanges économiques. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar mariiie.ki • 26 Février 2014 • 2 210 Mots (9 Pages) • 3 679 Vues
La morale a-t-elle sa place dans les échanges économiques?
Dante plaçait dans son enfer les hommes d'affaires, les marchands, les banquiers et les usuriers. Il avait sans doute de bonnes raisons de le faire ! Toutefois, nous ne sommes pas là pour nous moquer des malheurs d'outre-tombe de nos prochains, mais pour examiner si, ici-bas, la morale a sa place en économie. La question peut surprendre. En effet, pourquoi l'activité économique échapperait-elle à la morale, elle qui concerne l'ensemble de l'action humaine afin de déterminer l'action droite ? Mais, d'un autre côté, il semble y avoir un tel décalage entre le domaine des valeurs morales et la valeur financière, entre le principe du devoir, qui commande à la morale, et celui de l'intérêt, qui commande à l'activité économique, que la question semble presque incongrue.
Nous examinerons d'abord si la morale a sa place en économie, sous quelles formes et dans quelle mesure. Le second volet de notre problématique étudiera de plus près les rapports de l'intérêt et de la morale : y a-t-il une morale de l'intérêt?
La morale impose au domaine de l'action humaine de respecter un certain nombre de principes. Ses valeurs prennent à rebours les motifs qui nous font agir d'habitude. Là ou nous obéissons à notre seul intérêt, la morale nous rappelle le souci de l'autre, et dérange notre égoïsme. Sans être complètement altruiste, la morale en tout cas exige que nous ne prenions pas notre seul intérêt en considération.
Or, sur quoi repose l'activité économique ? Non sur les valeurs morales, mais sur l'intérêt égoïste. Tel est son moteur. Les bases mêmes de l'entreprise sont faites d'égoïsme : quand elle baisse ses prix, c'est pour éliminer ses rivales. Que penser également quand une entreprise en rachète une autre pour rafler ses parts de marché et qu'elle ferme ses usines ? Tout cela est bien immoral, dira-t-on. Et pourtant, elle n'a rien fait que d'assurer les conditions de sa survie dans un univers très concurrentiel.
L'économie semble donc être une zone d'activité qui fait entièrement exception à l'action normative des valeurs. La seule règle qu'elle connaisse est que « la fin justifie les moyens », qui est précisément une règle pragmatique, et non morale, de l'action. Il ne s'agit donc pas de dire que les chefs d'entreprise sont personnellement des êtres immoraux, mais que l'activité économique en tant que telle n'a rien d'une activité morale.
L'on pourrait multiplier les exemples où l'on voit que l'économie ne s'encombre pas de principes : fuite des capitaux, spéculation financière contre la monnaie et les intérêts d'un pays, parfois de son propre pays, trésoreries occultes, désir d'accumuler le plus d'argent possible, pratiques non concurrentielles quand cela arrange, pour ne rien dire de la «criminalité en col blanc » : abus de biens sociaux, malversations. Qui parlait de morale ?
Plus grave, on remarque un mépris de l'homme qui s'exprime de différentes manières : par la mise en place d'une organisation taylorienne du travail qui fait du travail une tâche abrutissante, par certaines pratiques où le personnel se trouve vendu avec les meubles d'une entreprise, par le licenciement abusif et sans égard, pour ne rien dire, là encore, du travail des enfants dans des conditions épouvantables.
Et la mise en circulation de l'« argent sale», comme l'argent de la drogue, dans les réseaux économiques et financiers officiels ? L'on répondra que précisément, certaines activités sont interdites, que l'on ne peut pas tout faire ni tout produire ni tout vendre. Mais que certaines activités soient illégales ne les empêche pas d'être des activités économiques à part entière, qui font vivre des populations. D'autre part, illégal ne signifie pas immoral. L'économie de la drogue n'est guère moins morale que celle pourtant officielle de l'alcool et du tabac. Quant aux capitaux dégagés par ces activités délictueuses ou mafieuses, ils sont réinvestis dans l'activité générale, la restauration, le commerce. A ce niveau, bien malin qui peut encore distinguer un « argent sale » et un « argent propre » ! Qui parlait de morale ?
Eh bien, pour surprenant que cela soit, on en parle beaucoup, et notamment les entreprises en quête d'une légitimité bien ternie. Leur grand numéro de charme passe aujourd'hui par la morale : on parle d'éthique des affaires, de business ethics, les colloques se multiplient. L'on assisterait à la fin du « business is business ». Le leitmotiv est à la moralisation des affaires. Prise de conscience subite, désir de pureté d'un milieu éclaboussé par trop de scandales et pris de vertige devant la règle de « l'argent fou », selon la formule d'Alain Minc, ou simple rideau de fumée ? Que penser de ce retour d'un discours moral ?
Rien d'autre qu'il s'agit précisément d'un simple discours. Certains analystes mettent en avant l'idée que « l'immoralité du monde des affaires trouve sa sanction dans la morale des affaires elle-même » (Hubert Bonin). Ainsi, les patrons qui prélèvent trop d'argent pour leur intérêt personnel se verraient sanctionnés par le sous-investissement de leur entreprise, et à terme, sa non-compétitivité. Mais la sanction n'est pas ici de nature morale ; elle est aussi pragmatique. Ce n'est pas par moralité que l'enfant qui vient de se brûler évite de poser à nouveau sa main sur le radiateur. Par conséquent, l'autolimitation du comportement de l'homo economicus ne saurait être érigée au rang de principe moral de l'activité économique : elle n'obéit pas à un impératif catégorique mais à une simple règle de prudence.
Parler de morale en économie ne peut donc revenir qu'à en appeler à la conscience individuelle des entrepreneurs et, heureusement, elle est présente chez un grand nombre d'entre eux. Mais l'existence d'une moralité en la personne de l'entrepreneur est arbitraire ; en tout état de cause, la morale reste extérieure à l'activité économique. Si le chef d'entreprise a le souci des hommes et ne songe pas seulement à s'enrichir, tant mieux ; mais cela vient en surcroît à son activité économique ; ce n'en est pas la condition.
On peut plus cyniquement interpréter ce nouvel engouement pour la morale des affaires à la manière de Gilles Lipovetsy, comme correspondant à une stratégie
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