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La Culture

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Par   •  18 Novembre 2012  •  3 149 Mots (13 Pages)  •  746 Vues

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E. Weil, Logique de la philosophie.

« L'homme est un être, un animal, qui veut quelque chose de lui-­même et pour lui‑même ; on aura deviné de quoi il s'agit, on aura reconnu ce trait qui, chez Hegel, s'appelle la négativité de l'homme. L'homme est un être comme les autres, un être vivant ; mais tout en étant comme les autres, il n'est pas seulement comme les autres. Il a des besoins, mais il a encore des désirs, c'est‑à‑dire, des besoins qu'il a formés lui‑même, qui ne sont pas dans sa nature, mais qu'il s'est donnés. L'instinct sexuel se trouve chez lui comme chez tous les ani­maux ; mais il ne se contente pas de la possession du partenaire, il veut encore être aimé par celui‑ci. Comme tout organisme, il a besoin de nourriture et ne peut se nourrir que de certaines substances ; mais il ne lui suffit pas d'assouvir sa faim, il transforme ce que lui offre la nature. Il lutte avec ses congénères pour son habitat, pour les femelles, pour la nourriture ; mais ce n'est pas assez pour lui d'avoir chassé le concurrent, l'adversaire, il veut le détruire ou le forcer à se soumettre à lui et à reconnaître sa maîtrise et sa domination, à faire à sa place ce que, jusqu'ici, il avait fait lui‑même, à transformer ce que la nature présente immédiatement à l'homme, à chercher, produire, préparer la nourriture, la maison, à garder les femmes, à élever les enfants.

En somme, l'homme ignore ce qu'il veut. Mais il sait très bien ce qu'il ne veut pas : comme nous l'avons trouvé tout à l'heure, l'homme n'est pas ce qu'il est. Or, le sens de cette formule se précise maintenant : l'homme n'est pas ce qu'il est, parce qu'il ne veut pas être ce qu'il est, parce qu'il n'est pas content d'être ce qu'il est, d'avoir ce qui est. Il est l'animal qui parle, un des animaux qui parlent, mais il est le seul animal qui emploie son langage pour dire Non. »

Eric Weil, Logique de la philosophie, p. 7

a) Introduction

Ce texte, extrait de l’ouvrage d’Eric Weil : Logique de la philosophie, propose un modèle anthropologique fondé sur la négativité, concept hérité de Hegel (1770-1831) : l’homme ne s’en tient pas à ce qui de lui est donné naturellement comme mode d’exister premier ; l’humanité est définie comme ce qui résulte d’un arrachement à la naturalité, à savoir, ici, à l’animalité comme existence primitive. Le dynamisme de l’homme en devenir se comprend comme une double négation : négation de soi, d’abord, comme être naturel ou être animal ; négation de ce qui est, comme transformation « de ce que lui offre la nature ». Ces deux plans de dépassement visant à faire de l’humanité un ordre qui, une fois institué, ne doit plus rien à la nature, contrairement à l’animal, qui n’est que ce qu’elle le fait être.

C’est donc ce double mouvement dialectique qu’il convient d’analyser dans ce texte.

b) Moments de l’argumentation

1. Lignes 1-2 : le désir comme travail de la négativité (« L'homme est un être, un animal, qui veut quelque chose de lui-même et pour lui‑même ») ;

2. Lignes 3-13 : naturalité et mode humain de l’existence. L’homme est un animal à part entière (par son organisme, par ses besoins, par son instinct sexuel, par sa lutte pour la conservation de sa vie). Mais il n’est humain que par le dépassement de cette existence première (par ses désirs, par sa demande d’amour, par ses relations techniciennes au monde, par son esprit de conquête et par l’ambition qu’il donne à son désir de pouvoir) ;

3. Lignes 14-18 : la négativité se manifeste comme refus, sans pour autant qu’un projet positif d’humanité soit posé. C’est ce refus du donné que l’homme exprime par son langage. Et c’est encore ce refus qui le constitue comme radicalement autre qu’un animal.

c) Explication du texte

Comment définir le statut de l’homme dans l’ensemble des vivants ? Est-il animal ou faut-il penser l’humanité autrement que comme donné naturel, c’est-à-dire comme une espèce biologique parmi d’autres ? Faut-il la penser comme valeur, à savoir comme devoir-être et comme mouvement perpétuel de négation ? Il semble bien que l’homme ait un statut ambigu, ni purement animal ni totalement autre qu’animal. Qu’est-ce donc que l’humanité ?

Ce qui caractérise l’entrée en humanité, c’est le désir. Il ne faut pas entendre par ce terme l’ordre des besoins naturels dont la satisfaction (processus de consommation-négation) est possible moyennant une relation dynamique à la nature. En ce cas, si l’on rabat le désir sur le besoin, l’homme est animal et ne peut que le demeurer (précisément parce qu’il serait nature). En réalité, le désir est au-delà de la nature : E. Weil précise que l’homme se donne des désirs, qu’il les forme lui-même. On peut donc assurer que le désir n’est en rien un donné naturel, et supposer que ce n’est pas dans la nature que l’homme cherche les objets de son désir. C’est donc dans une relation triangulaire : nature/désir/humanité que se comprend ce que Weil, reprenant Hegel, appelle négativité.

L’homme ne cherche pas, en effet, les objets de ses désirs dans la nature. C’est là une thèse essentielle, que le texte de Weil indique à maintes reprises.

L’instinct sexuel tout d’abord… Comme animal, l’homme a des besoins sexuels, qui sont des déterminations biologiques de l’espèce à laquelle il appartient. Les animaux, eux, se contentent, aveugles, de se reproduire, à savoir de reproduire leur propre espèce : la nature se perpétue elle-même par un agencement finalisé des besoins sexuels animaux, sans que la moindre trace d’individualité stricte ne soit perceptible dans les comportements des bêtes ; la sexualité y est spécifique. Mais l’homme échappe à cette absence totale d’individualité : n’ayant pas que des besoins sexuels, il conçoit aussi des désirs, c’est-à-dire des processus qui visent des valeurs et non plus de simples réplétions. C’est pourquoi, en plus d’une satisfaction sexuelle nettement recherchée comme but de nature, l’homme exige l’amour de sa partenaire, ou la reconnaissance de ce qu’il lui a donné. Amour et reconnaissance sont totalement inutiles à la reproduction de l’espèce : ils sont des valeurs, à savoir un devoir-être qui détermine une conduite, et appartiennent

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