L'imagination est la reine du vrai

« L'imagination est la reine du vrai, et le possible est une des provinces du vrai. Elle est positivement apparentée avec l'infini. […]

Mystérieuse faculté que cette reine des facultés ! Elle touche à toutes les autres ; elle les excite, elle les envoie au combat. Elle leur ressemble quelquefois au point de se confondre avec elles, et cependant elle est toujours bien elle-même, et les hommes qu’elle n’agite pas sont facilement reconnaissables à je ne sais quelle malédiction qui dessèche leurs productions comme le figuier de l’Évangile. »

Dans cet extrait, issu du Salon de 1859, Charles Baudelaire présente l'imagination sous le meilleur des jours, transcendant la réalité et enfantant le génie humain. Conditionnée au réel en tant qu'elle s'en nourrit, l'imagination est la faculté de mettre en images des choses qui ne sont pas ou pas encore, la faculté de se projeter au-delà de la réalité. Ce que l'on entend par réalité, c'est l'ensemble des phénomènes sensibles perceptibles et interprétés dans un monde dominé par la raison. On peut en effet opposer l'imagination au sensible, mais seulement dans un contexte de raison, une hallucination étant en effet autant un produit des sens que de l'imagination, par exemple. Ce que l'on entend donc par « vrai » devrait donc être un monde rationnel et défriché comme tel, cet ensemble de phénomènes connus et maîtrisés, un « monde » au sens que lui a donné Wittgenstein : « Le monde est l'ensemble des faits ».

Le possible est l'une des provinces du vrai pour Baudelaire : encore inexistant car non produit, le futur peut être anticipé par l'imagination, avec plus ou moins de succès, d'où cette « frontière » qui touche autant au génie humain qu'à sa perte. Napoléon clamait que « l'imagination gouverne le monde », Joseph de Maistre observait que c'était elle aussi qui perdait les batailles. Des échecs réels peuvent naître de possibles victoires imaginées.

Apparentée à l'infini, l'imagination l'est dans l'éventail de possibilités virtuelles qu'elle apporte au réel. Et pourtant, nous avons vu que l'imagination naissait du réel : en effet, le cerveau humain ne peut concevoir des objets hors de sa connaissance rationnelle : il nous est par exemple impossible de penser un nouveau sens hors de ceux que nous pouvons observer dans la nature. Par ailleurs, l'esprit humain ne peut pas non plus se figurer l'infini. Ainsi, n'est-ce pas plutôt le réel qui est infini et qui s'étend au fur et à mesure que la raison le défriche, permettant ensuite à l'imagination de vagabonder hors des codes du réel? N'est-ce pas plutôt le réel qui gouverne l'imagination? Quelle est la place de ce produit de l'esprit humain dans le réel?

L'imagination permet de transcender la réalité et toucher au sublime

« Imaginer, c'est hausser le réel d'un ton », disait Gaston Bachelard, que l'on ne pouvait soupçonner d'être détaché du fait scientifique.

Alors que Baudelaire, en tant que poète, n'a que peu d'obligations de coller au réel (bien que ce texte existât pour dénoncer ceux qui voulaient « copier

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