Est-il Absurde De désirer L'impossible ?
Mémoire : Est-il Absurde De désirer L'impossible ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Lyvea117 • 4 Janvier 2014 • 2 191 Mots (9 Pages) • 1 021 Vues
Introduction
Au moins depuis Aristote, on a coutume de distinguer possible, réel et nécessaire : le nécessaire, c'est ce qui ne peut pas ne pas être ; le réel, c'est ce qui est ; le possible, c'est ce qui peut être. De ce point de vue, l'impossible, c'est ce qui ne peut pas être, ce qui n'est pas à présent réel, qui ne l'a jamais été et ne le sera jamais : l'impossible, ce n'est pas simplement l'irréel voire l'improbable, ce n'est pas seulement ce qui n'est pas, c'est ce qui n'a aucune possibilité d'être. Or comme l'affirmait Leibniz, ce qui ne peut pas être, c'est le contradictoire : un cercle carré est une contradiction dans les termes, et donc une impossibilité absolue. Tel est le principe fondamental de la logique, le principe de contradiction selon lequel l'être ne se contredit pas, et le contradictoire est impossible. Cette porte ne peut pas être à la fois uniformément grise et non grise ; cet animal ne peut pas être à la fois un oiseau et un mammifère : quand nous attribuons à un même sujet deux prédicats contraires qui s'excluent l'un l'autre, nous formons un jugement contradictoire, lequel est nécessairement faux, parce que l'objet qu'il décrit ne peut pas exister. Du seul point de vue logique donc, l'impossible est toujours absurde, c'est-à-dire qu'il n'a aucune signification véritable : l'impossible est le contradictoire et le contradictoire ne peut jamais avoir le moindre sens ni la moindre valeur de vérité. Pourtant, lorsque nous quittons la seule sphère de la pensée rationnelle, tout se passe comme si l'impossibilité reprenait tous ses droits : qui n'a pas fait l'épreuve de la déchirure entre deux désirs, exigeant pareillement satisfaction, mais dont les satisfactions réciproques s'excluent mutuellement ? Je veux réussir mes examens, mais je ne veux pas fournir les efforts nécessaires pour y obtenir un succès certain ; je veux qu'il ou elle n'aime que moi, mais demeurer libre d'en aimer d'autres ; je veux être riche, sans consentir pour autant à travailler. Si tous nous sommes pétris de désirs contradictoires, alors l'expérience du désir est bien celle d'un contentement qui ne pourra jamais être réel, en sorte que la question se pose : est-il absurde de désirer l'impossible ? Comment en effet concevoir que l'on puisse désirer ce que par définition l'on n'obtiendra jamais, comment ne pas voir de l'absurdité dans une vie qui, elle-même et d'elle-même, se voue à la souffrance de l'insatisfaction ? Peut-être alors ne désirons-nous jamais l'impossible comme impossible : la contradiction entre nos désirs ne nous apparaîtrait justement pas comme telle, en sorte qu'il suffirait à la raison de la rendre manifeste pour nous détourner de l'absurdité. À moins toutefois que la satisfaction ne soit pas là où on le pense : si le désir contenté s'avère toujours décevant, n'est-ce pas en fait parce que le plaisir se trouve dans le fait de désirer lui-même ? Mais dans ce cas, désirer l'impossible, ne serait-ce pas le moyen le moins absurde pour rencontrer un vrai bonheur ? N'est-ce pas aussi ce qui nous pousse, contrairement aux animaux qui n'ont que des besoins, à transformer le réel par notre travail, à l'aménager pour le plier à nos volontés, bref, à rendre possible ce qui ne l'était pas ?
I. La contradiction du désir
Si l'impossible, c'est ce qui n'est pas à présent et ne pourra jamais être, alors quel sens y aurait-il à le désirer ? Désirer l'impossible, ce serait désirer l'insatisfaction. Or le désir désire être satisfait et résorber ainsi la morsure du manque. Par suite, il serait impossible de désirer l'impossible comme impossible : en d'autres termes, si l'impossible peut d'aventure nous sembler désirable, c'est parce que son impossibilité même de prime abord ne nous apparaît pas. Quelle est donc cette impossibilité inapparente ? Sans doute faut-il ici songer à Platon quand il décrit le désir comme une hydre aux multiples têtes : il appartient à la nature du désir de se porter sur une multitude d'objets considérés séparément comme autant de biens, mais dont l'obtention est à chaque fois exclusive, et voilà ce qu'au moment du désir nous ne comprenons pas. Don Juan, qui incarne chez Kierkegaard le stade esthétique, qui donc est le désir fait homme, est écrasé par cette contradiction, laquelle fait tout son désespoir : il est à jamais insatisfait parce qu'il ne comprend pas que son insatisfaction vient de lui, et non du monde. Il croit qu'aucune femme n'est assez belle pour qu'il puisse l'aimer toujours, sans comprendre qu'en fait il n'en aime aucune, qu'il aime simplement être aimé et qu'il se désintéresse d'une femme sitôt qu'elle lui offre l'amour qu'il recherche. Ce qui l'attire, c'est la conquête plus que la possession : lui donner l'amour qu'il demande, c'est du même coup reconnaître qu'on n'a plus rien à lui offrir qui pourrait encore l'intéresser. Don Juan est donc pénétré de deux désirs contradictoires : son désir de conquête rend impossible son désir de rencontrer effectivement l'amour, et réciproquement. Ce n'est donc pas qu'il désire l'impossible comme tel : il a des désirs incompossibles, c'est-à-dire dont les satisfactions s'excluent réciproquement. Pour dépasser l'absurdité désespérante de sa situation, il lui suffit alors de comprendre que l'impossibilité ne vient pas du monde, mais de son désir lui-même : ce n'est pas le monde qui est mal fait, c'est son désir qui se contredit lui-même. C'est en un sens aussi ce qu'affirme Épicure lorsqu'il nous propose de faire le tri entre nos désirs : les désirs vains, ceux qui ont l'imagination pour principe et non la sensation, sont destinés à être insatisfaits non à cause du monde, mais du fait de leur propre contradiction. Désirer l'immortalité par exemple, c'est se condamner à l'insatisfaction, et il serait stupide passablement d'en accuser le monde : ce n'est pas la mort qui est un destin funeste, c'est le désir d'immortalité qui contient en lui-même une contradiction indépassable. Celui qui voudrait être immortel se figure qu'en allongeant la durée de la vie, on augmente la quantité de plaisir ; or le plaisir n'est pas une quantité, mais un état, une qualité, comme telle insusceptible de degré. Qu'importe
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