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Freud - La Mort

Commentaire de texte : Freud - La Mort. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  8 Octobre 2014  •  Commentaire de texte  •  1 343 Mots (6 Pages)  •  838 Vues

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Le fait que nous nous sentons aujourd'hui si étrangers dans un monde qui jadis nous paraissait si beau et si familier tient à une autre cause encore, que je vois dans le trouble que cette guerre a apporté dans notre attitude, jadis si ferme et si solidement établie, à l'égard de la mort.

Cette attitude n'était rien moins que franche et sincère. A nous entendre, on pouvait croire que nous étions naturellement convaincus que la mort était le couronnement nécessaire de toute vie, que chacun de nous avait à l'égard de la nature une dette dont il ne pouvait s'acquitter que par la mort, que nous devions être prêts à payer cette dette, que la mort était un phénomène naturel, irrésistible et inévitable. Mais en réalité, nous avions l'habitude de nous com¬porter comme s'il en était autrement. Nous tendions de toutes nos forces à écarter la mort, à l'éliminer de notre vie. Nous avons essayé de jeter sur elle le voile du silence et nous avons même imaginé un proverbe : « il pense à cela comme à la mort » (c'est-à-dire qu'il n'y pense pas du tout), bien entendu comme à sa propre mort (à laquelle on pense encore moins qu'à celle d'autrui). Le fait est qu'il nous est absolument impossible de nous représenter notre propre mort, et toutes les fois que nous l'essayons, nous nous apercevons que nous y assistons en spectateurs. C'est pourquoi l'école psychanalytique a pu déclarer qu'au fond personne ne croit à sa propre mort ou, ce qui revient au même, dans son inconscient chacun est persuadé de sa propre immortalité.

Pour ce qui est de la mort d'autrui, l'homme civilisé évite soigneusement de parler de cette éventualité en présence de la personne dont la mort paraît imminente ou proche. Seuls les enfants ne connaissent pas cette discrétion . ils s'adressent sans ménagements des menaces impliquant des chances de mort et trouvent encore le moyen d'escompter la mort d'une personne aimée, en lui disant, comme s'il s'agissait de la chose la plus naturelle du monde : « Chère maman, quand tu seras morte, je ferai ceci ou cela. » L'homme civilisé adulte, à son tour, ne pensera pas volontiers à la perspective de la mort d'un de ses proches : ce serait faire preuve d'insensibilité ou de méchanceté, sauf lorsque, comme médecin, avocat, etc., on est amené à y penser en vertu de préoc¬cupations professionnelles. Il se permettra encore moins de penser à la mort d'autrui dans les cas où cette mort doit lui apporter un surcroît de fortune ou de liberté ou une amélioration de sa situation. Certes, ces scrupules ne peu¬vent rien contre la mort, sont IMPUISSANTS à l'empêcher, et toutes les fois que l'événement se produit, nous sommes profondément ébranlés et comme déçus dans notre attente. Nous insistons toujours sur le caractère occasionnel de la mort : accident, maladie, infection, profonde vieillesse, révélant ainsi nette¬ment notre tendance à dépouiller la mort de tout caractère de nécessité, à en faire un événement purement accidentel. L'accumulation de cas de mort nous effraye. A l'égard du mort lui-même nous nous comportons d'une façon très singulière : nous nous abstenons de toute critique à son endroit, nous lui pardonnons ses injustices, nous ordonnons : de mortuis nil nisi bene, et nous trouvons naturel que, dans l'oraison funèbre qu'on prononce sur sa tombe et dans l'inscription qu'on fait graver sur son monument funéraire, on ne fasse ressortir que ses qualités. Le respect du mort, respect dont celui-ci n'a cepen¬dant plus nul besoin, nous apparaît comme supérieur à la vérité, et à beaucoup d'entre nous comme supérieur même à la considération que nous devons aux vivants.

A cette attitude conventionnelle que la civilisation nous impose à l'égard de la mort, fait pendant l'état de consternation, d'effondrement complet dans lequel nous plonge la mort d'une personne proche : père ou mère, époux ou épouse, frère ou sœur, enfant ou ami cher. Il nous semble qu'avec elle nous en¬ter¬rons nos espérances, nos ambitions, nos joies, nous refusons toute consolation et déclarons qu'il s'agit d'une mort irremplaçable.

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