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« L’art est beaucoup plus qu’un ensemble de formes » J. Levinson, « Le contextualisme esthétique », 2005

Dissertation : « L’art est beaucoup plus qu’un ensemble de formes » J. Levinson, « Le contextualisme esthétique », 2005. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  2 Février 2023  •  Dissertation  •  2 043 Mots (9 Pages)  •  602 Vues

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« L’art est beaucoup plus qu’un ensemble de formes » J. Levinson, « Le contextualisme esthétique », 2005

Dans un article intitulé Le contextualisme esthétique, Jerrold Levinson se livre à deux exercices complexes : situer la philosophie de l’art ou esthétique par rapport à la philosophie en général et dégager le courant dominant des trente dernières années. Il nomme ainsi contextualisme un courant où la considération de l’objet d’art n’existe qu’en lien avec son contexte de création et de projection. Selon lui, l’Art devient « quelque chose de plus riche, de plus intéressant et de plus important si on le considère de manière appropriée », soit comme des productions individuelles inscrites dans un cadre historique et social défini, et non pas comme un simple « ensemble de forme ». Cette notion de forme a été redéfinie par de nombreux philosophes au cours des siècles. On pensera évidemment à l’Eidos platonicien décrit dans le Timée comme forme première, archétype de ce que nous percevons ou à son pendant aristotélicien, la forme comme principe d’unité, celle qui ordonne et donne son sens à la matière. Dans son article Jerrold Levinson se montre très critique de l’approche formaliste où l’art se réduit à un ensemble de forme et affirme qu’il serait en réalité « beaucoup plus » que cela. Deux questions découlent de cette affirmation, en quoi l’Art dépasserait-t-il l’ensemble des formes qui le constitue et qu’est-ce que peut être ce « beaucoup plus » ?

  1. L’Art est « beaucoup plus qu’un ensemble de formes »

L’Art est généralement présenté et reconnu comme un médium, l’artiste comme le révélateur du réel. C’est celui qui en dévoile sa beauté, nous mène à en déplorer la misère et qui tente d’éveiller le reste de la société au monde qui l’entoure en lui confiant le fruit de sa réflexion. Ainsi l’artiste fait partie de ceux, peu nombreux, qui « sont capables de voir le Beau en Soi et de le voir en lui-même » (La République 476b), que ce soit grâce à l’imagination, ou pour Platon, grâce à une inspiration poétique divine. Il joue un rôle de médiateur, rendant accessible un Idéa à travers son œuvre. C’est d’ailleurs le postulat de Kandinsky lorsqu’il assure que « L’artiste doit avoir quelque chose à dire, car sa tâche ne consiste pas à maîtriser la forme, mais à adapter cette forme au contenu », réaffirmant l’idée antique de l’Eidos, la sémantique, que vient servir la morphè, l’ensemble de forme qui compose l’oeuvre. Avec elle, l’artiste, sublime ce qui est vu mais pas pensé et dévoile ces choses multiples « pensées sans être vues ». (Platon, La République, 507b). Pour les artistes de la Renaissance l’artiste ne crée pas ex nihilo mais il révèle le réel, sans prétendre le dépasser, par l’agencement de ses formes, une idée commune aux théories spéculatives de l’art de Platon à Hegel. On reconnaît cette influence en observant les tentatives presque obsessionnelles de représentation et de compréhension du corps humain poursuivies par Dürer ou De Vinci. Ils recherchent eux aussi à atteindre une certaine « beauté », pour eux synonyme d’une quête de vérité, un objectif qui dépasse en soi le simple ensemble de formes à vocation esthétique.

Historiquement l’Art a toujours joué un rôle important comme vecteur d’émancipation et d’ouverture, ainsi que comme trace d’un patrimoine commun, deux usages soulignés par l’empressement qu’ont eu les différents régimes totalitaires à réduire en cendres les œuvres d’art précédant leur arrivée. On pensera bien sûr à « l’action contre l’esprit non allemand », ces autodafés ayant eu lieu en Allemagne dès 1933 au cours desquels des centaines de milliers d’ouvrages ont été brûlés, mais aussi plus récemment aux événements similaires ayant eu lieu en Hongrie, au Brésil, aux Philippines, en Egypte ou sous la coupe de l’Etat Islamique, qui montrent bien que l’Art, non numérique et non modifiable, peut avoir un impact réel sur les populations, par ce qu’il rappelle ou à travers les alternatives qu’il rend possible. En effet, ce ne sont pas que les récits historiques où les preuves de dérives seules qui sont ciblées mais toute forme d’art. Duncan White, dans son ouvrage Cold Warriors affirme ainsi que « la fiction propose un autre récit possible » craint par les régimes autoritaires. Une idée déjà exprimée par Hegel, dans l’Esthétique pour qui l’Art « nous procure l’expérience de la vie réelle, mais en nous transportant dans des situations que notre expérience personnelle ne nous fait pas, et ne nous fera jamais connaître. »

Même dans l’art abstrait, qui nous apparaît parfois dénué de sens, l’Eidos ne peut être dénié. Kandinsky, évoqué plus haut, estime que l’objet nuit à la peinture (Regards sur le passé et autres textes, 1912- 1922, Hermann) et pourtant son art, cette « puissance qui a un but et doit servir à l’évolution et à l’affinement de l’âme humaine » apparaît sous une forme qui ne peut être dissociée de son contenu. Il dissimule même un sens derrière les couleurs qu’il emploie, couleurs auxquelles il reconnaît la fonction d’alphabet naturel. C’est d’après Kandinsky un des moyens pour l’Art d’être « Le langage qui parle à l’âme, dans la forme qui lui est propre […] ». Une phrase puissante qui représente assez bien le rôle que l’Art peut jouer et le « beaucoup plus » qu’il représente parfois.

  1. L’art ne peut qu’être « beaucoup plus qu’un ensemble de forme »

Bien que l’œuvre d’art, à travers ses nombreuses fonctions évoquées plus haut, transcende généralement ses simples attributs esthétiques ; est en quelque sorte « beaucoup plus » que l’ensemble de formes qui la compose, certains artistes se sont volontairement bornés à produire un art dépouillé de toute sémantique. C’est le cas de Pierre Soulages et Ad Reinhard qui affirment que leur peinture n’a pas de message à transmettre, tout comme le fait John Cage avec sa musique, faisant de l’Art sa propre finalité. Ces trois représentants de l’Art en tant qu’Art, dénient toute qualité esthétique à leurs œuvres, John Cage refusant même de leur reconnaître un aspect artistique : « No taste, no beauty, no message, no talent, no technique, no idea, no intention, no art, no feeling » (The Cambridge Companion to John Cage, edited by David Nicholls, p. 98) Le critique et artiste Michel Tapiè, paraphrasant Nietzsche, déplore cette recherche de la Forme pour la Forme, qui revêt selon lui l’apparence d’« un serpent qui se mord la queue ». Il affirme que cet art formel mène nécessairement à une impasse et que l’on ne peut que « revenir à la conception antique et classique de l’art comme expression, révélation d’un sens : les moyens formels utilisés par l’artiste doivent être au service d’autre chose ». (HUYS Viviane, VERNANT Denis, Chapitre 2. Esthétique et philosophie de l’art).

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