Y a-t-il une ou des mémoires ?
Dissertation : Y a-t-il une ou des mémoires ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar adridri • 14 Juin 2022 • Dissertation • 2 261 Mots (10 Pages) • 337 Vues
Dissertation culture générale : Y a-t-il une ou des mémoires ?
Dans le film de Luc Besson, Lucy, sorti en 2014, on suit l’évolution de Lucy, une jeune femme vivant dans un monde où les hommes ne disposent que de 10% des capacités de leur cerveau. A la suite de plusieurs événements, elle acquiert progressivement la totalité des capacités de son cerveau ce qui lui permet de posséder tout le savoir ainsi que des pouvoirs illimités. Par exemple, elle peut contrôler le temps, l’espace, la matière, … tout ce qu’un homme normal ne peut faire en réalité. Lucy peut donc facilement aller dans le passé et accéder à sa mémoire, mais aussi à celle des autres personnes. Ce cas est paradoxal car a priori la mémoire, c’est-à-dire la faculté de l’esprit humain qui lui permet de conserver et de rappeler des états de conscience passés, est unique et individuelle, étant donné qu’elle représente le passé d’un individu, en s’appuyant sur des souvenirs propres à celui-ci. Cependant la mémoire collective semble être un ensemble de mémoires individuelles mises bout-à-bout. Pourtant, selon Maurice Halbwachs, la mémoire collective est impersonnelle et c’est des souvenirs communs à tous les membres du groupe. A partir de cette distinction, on peut se questionner quant à l’unicité ou la pluralité des mémoires. Mais un homme peut-il avoir plusieurs mémoires ? Si l’homme n’a qu’une mémoire, est-elle réellement fiable ? Et que ce passe-t-il s’il oubli des éléments de son passé ? Si l’homme a plusieurs mémoires, comment fait-il pour ne pas toutes les confondre et bien les distinguer ? Des mémoires plurielles peuvent-elles être aussi victime (ou bénéficiaire) de l’oubli ? Dans un premier temps on verra que la mémoire semble être unique car elle est individuelle, donc propre à chaque individu, et formatrice de notre identité, donc de la personne que l’on est en tant que tel vis-à-vis des autres individus. Pourtant, a posteriori, on verra que la pluralité des mémoires existe aussi bien au sein d’un individu qu’au sein d’une collectivité, mais qu’enfin, qu’elle que soit la perspective adoptée, la mémoire est génératrice de problèmes d’oubli et de fiabilité.
A priori, la mémoire est unique car elle est propre à chaque individu et elle permet aux individus de se former une identité.
Tout d’abord, la mémoire a pour objet le passé comme le souligne Aristote dans « De la mémoire et de la réminiscence » in Petits traités d’histoire naturelle. Aristote compare la mémoire à de la cire : les sensations s’impriment dans la cire et y laissent des traces. Ces traces constituent ensuite la mémoire. Or, chaque individu étant unique, les sensations qui s’impriment sont uniques. Par conséquent, aucun individu, pour poursuivre la comparaison d’Aristote, n’aura les mêmes « traces laissées dans leur cire », donc leur mémoire sera nécessairement différente des autres, donc unique. De plus, la mémoire individuelle est personnelle car elle est constituée des souvenirs propres à l’individu, selon Maurice Halbwachs. En effet, si on prend l’exemple de deux individus qui auraient assisté à un même accident de voiture en tant que témoins, les souvenirs qui leur en seraient restés auraient nécessairement été différents. Le premier aurait pu garder en souvenir de cet accident le rappel d’un accident qu’il avait eu quelques mois auparavant et le second aurait pu rester indifférent face à cet accident donc le souvenir laissé aurait été très secondaire pour lui. La mémoire d’un même événement est donc différente au niveau individuel. Aussi, des éléments doivent être requis pour qu’un souvenir soit considéré comme tel. D’après William James dans Principles of psychology, un « vrai » souvenir nécessite un sentiment général d’appartenance au passé, une date particulière avec un événement localisé à cette date et la revendication par la conscience de l’individu que cet événement fait partie intégrante de sa propre vie.
Par ailleurs, la mémoire rend compte à l’individu d’un passé qui conditionne son présent. En effet, comme le démontre Georges Chapouthier dans Biologie de la mémoire, la mémoire est constitutive de notre identité. Si un individu peut se souvenir de ses erreurs passées pour ne pas les reproduire dans le présent, c’est grâce à sa mémoire. L’expression « apprendre de ses erreurs » n’aurait alors aucun sens car l’homme n’aurait pas souvenir de ses erreurs passées. La mémoire permet donc à l’homme de se former une identité. D’après Joël Candau, l’identité est la capacité que possède chacun de nous de rester conscient de la continuité de sa vie à travers les changements, crises et ruptures. En effet, chaque instant est formateur de l’identité d’un individu et cela nécessite de s’en souvenir. C’est d’ailleurs pourquoi les personnes atteintes d’Alzheimer ne se souviennent plus réellement de qui elles sont, ou du moins de qui elles ont été. En oubliant les souvenirs de leur passé, elles oublient qui elles ont été, les leçons qu’elles ont tiré de chaque événement, et par conséquent ce qu’elles sont progressivement devenues. Par exemple, dans le film Je te promets réalisé par Michael Sucsy, une jeune femme oublie les cinq dernières années de sa vie à la suite d’un accident de voiture. Pourtant, entre sa vie cinq ans auparavant et sa vie juste avant l’accident, le jeune femme a beaucoup évolué en quittant ses études de droit pour une vie d’artiste, en ayant un nouveau petit ami et en n’adressant plus la parole à ses parents. Petit à petit, son « nouveau » petit ami se donne la mission de lui faire se souvenir de ces 5 dernières années, de ses nouveaux états de conscience. Ainsi, en perdant rien qu’une partie de sa mémoire, on oublie une partie de son identité. Cela prouve que la mémoire conditionne notre présent par le biais de notre identité.
La mémoire semble donc être unique, strictement individuelle et déterminante dans la vie d’un individu car elle est formatrice de son identité. Pourtant, a posteriori, on peut admettre que l’homme, en tant qu’individu, dispose de plusieurs mémoires.
La mémoire semble alors être plurielle, c’est-à-dire qu’on peut différencier plusieurs sortes de mémoires, que ce soit à l’échelle individuelle ou à l’échelle d’une collectivité.
Au niveau individuel, la mémoire semble être plurielle. En effet, elle est constituée d’un passé de souvenirs et d’un présent d’aptitudes, comme Georges Chapouthier le souligne. C’est sur ce principe que Bergson distingue deux types de mémoires : la mémoire-habitude et la mémoire-souvenir. La mémoire-habitude correspond à des mécanismes corporels automatiques acquis par un individu résultant d’effort et de répétition dont on ne distingue plus les différentes étapes. La mémoire-souvenir, quant à elle, porte sur des événements singuliers et implique une re-présentation de l’événement ; elle permet d’enregistrer des images-souvenirs. La première implique donc le corps alors que la seconde implique la pensée, donc en un certain sens une mémoire corporelle et une mémoire spirituelle. En outre, Théodule Ribot dans La mémoire et ses maladies affirme qu’il existe une hiérarchie des formes de la mémoire. Cette hiérarchie provient de l’évolution des espèces dont l’homme est issu. Ainsi, la mémoire consciente n’est que le sommet d’un iceberg dont les bases cachées sont la mémoire inconsciente. Dans Biologie de la mémoire, Georges Chapouthier distingue alors deux types de mémoires. Tout d’abord, la mémoire consciente qui correspond à la capacité de reconnaître des éléments du passé comme des éléments appartenant à notre passé, puis la mémoire inconsciente qui renvoie à une mémoire « enfouie » dont les contenus ignorés sont néanmoins agissants et créateurs de troubles jusqu’alors inexpliqués. Ce deuxième type de mémoire a été découvert grâce à la psychanalyse. Par conséquent, l’homme, pris individuellement, dispose de plusieurs types de mémoires qui se mêlent en lui tout en étant bien distinctes. En ce sens, on peut affirmer qu’un individu dispose de plusieurs mémoires.
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