Hugo - Plaidoirie Contre La Peine De Mort
Rapports de Stage : Hugo - Plaidoirie Contre La Peine De Mort. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar nicolid • 15 Janvier 2013 • 3 579 Mots (15 Pages) • 3 532 Vues
Messieurs les jurés, aux premières paroles que M. l’avocat général a prononcées, j’ai cru un moment qu’il allait abandonner l’accusation. Cette illusion n’a pas longtemps duré. Après avoir fait de vains efforts pour circonscrire et amoindrir le débat, le ministère public a été entraîné, par la nature même du sujet, à des développements qui ont rouvert tous les aspects de la question, et, malgré lui, la question a repris toute sa grandeur. Je ne m’en plains pas.
J’aborde immédiatement l’accusation. Mais, auparavant, commençons par bien nous entendre sur un mot. Les bonnes définitions font les bonnes discussions. Ce mot « respect dû aux lois », qui sert de base à l’accusation, quelle portée a-t-il ? que signifie-t-il ? quel est son vrai sens ? Évidemment, et le ministère public lui-même me paraît résigné à ne point soutenir le contraire, ce mot ne peut signifier suppression, sous prétexte de respect, de la critique des lois. Ce mot signifie tout simplement respect de l’exécution des lois. Pas autre chose. Il permet la critique, il permet le blâme, même sévère, nous en voyons des exemples tous les jours, et même à l’endroit de la constitution, qui est supérieure aux lois. Ce mot permet l’invocation au pouvoir législatif pour abolir une loi dangereuse. Il permet enfin qu’on oppose à la loi un obstacle moral. Mais il ne permet pas qu’on lui oppose un obstacle matériel. Laissez exécuter une loi, même mauvaise, même injuste, même barbare, dénoncez-la à l’opinion, dénoncez-la au législateur, mais laissez-la exécuter. Dites qu’elle est mauvaise, dites qu’elle est injuste, dites qu’elle est barbare, mais laissez-la exécuter. La critique, oui ; la révolte, non. Voilà le vrai sens, le sens unique de ce mot, respect des lois.
Autrement, messieurs, pesez ceci. Dans cette grave opération de l’élaboration des lois, opération qui comprend deux fonctions, la fonction de la presse, qui critique, qui conseille, qui éclaire, et la fonction du législateur, qui décide, — dans cette grave opération, dis-je, la première fonction, la critique, serait paralysée, et par contre-coup la seconde. Les lois ne seraient jamais critiquées, et, par conséquent, il n’y aurait pas de raison pour qu’elles fussent jamais améliorées, jamais réformées, l’assemblée nationale législative serait parfaitement inutile. Il n’y aurait plus qu’à la fermer. Ce n’est pas là ce qu’on veut, je suppose. (On rit.)
Ce point éclairci, toute équivoque dissipée sur le vrai sens du mot « respect dû aux lois », j’entre dans le vif de la question.
Messieurs les jurés, il y a, dans ce qu’on pourrait appeler le vieux code européen, une loi que, depuis plus d’un siècle, tous les philosophes, tous les penseurs, tous les vrais hommes d’état, veulent effacer du livre vénérable de la législation universelle ; une loi que Beccaria a déclarée impie et que Franklin a déclarée abominable, sans qu’on ait fait de procès à Beccaria ni à Franklin ; une loi qui, pesant particulièrement sur cette portion du peuple qu’accablent encore l’ignorance et la misère, est odieuse à la démocratie, mais qui n’est pas moins repoussée par les conservateurs intelligents ; une loi dont le roi Louis-Philippe, que je ne nommerai jamais qu’avec le respect dû à la vieillesse, au malheur et à un tombeau dans l’exil, une loi dont le roi Louis-Philippe disait : Je l’ai détestée toute ma vie ; une loi contre laquelle M. de Broglie a écrit ; contre laquelle M. Guizot a écrit ; une loi dont la chambre des députés réclamait par acclamation l’abrogation, il y a vingt ans, au mois d’octobre 1830, et qu’à la même époque le parlement demi-sauvage d’Otahiti rayait de ses codes ; une loi que l’assemblée de Francfort abolissait il y a trois ans, et que l’assemblée constituante de la république romaine, il y a deux ans, presque à pareil jour, a déclarée abolie à jamais sur la proposition du député Charles Bonaparte ; une loi que notre constituante de 1848 n’a maintenue qu’avec la plus douloureuse indécision et la plus poignante répugnance ; une loi qui, à l’heure où je parle, est placée sous le coup de deux propositions d’abolition, déposées sur la tribune législative ; une loi enfin dont la Toscane ne veut plus, dont la Russie ne veut plus et dont il est temps que la France ne veuille plus. Cette loi devant laquelle la conscience humaine recule avec une anxiété chaque jour plus profonde, c’est la peine de mort.
Eh bien ! messieurs, c’est cette loi qui fait aujourd’hui ce procès ; c’est elle qui est notre adversaire. J’en suis fâché pour M. l’avocat général, mais je l’aperçois derrière lui ! (Long mouvement.)
Je l’avouerai, depuis une vingtaine d’années, je croyais, et moi qui parle j’en avais fait la remarque dans des pages que je pourrais vous lire, je croyais, — mon Dieu! avec M. Léon Faucher, qui, en 1836, écrivait dans un recueil, la Revue de Paris, ceci (je cite) :
« L’échafaud n’apparaît plus sur nos places publiques qu’à de rares intervalles, et comme un spectacle que la justice a honte de donner. » (Mouvement.)
Je croyais, dis-je, que la guillotine, puisqu’il faut l’appeler par son nom, commençait à se rendre justice à elle-même, qu’elle se sentait réprouvée, et qu’elle en prenait son parti. Elle avait renoncé à la place de Grève, au plein soleil, à la foule, elle ne se faisait plus crier dans les rues, elle ne se faisait plus annoncer comme un spectacle. Elle s’était mise à faire ses exemples le plus obscurément possible, au petit jour, barrière Saint-Jacques, dans un lieu désert, devant personne. Il me semblait qu’elle commençait à se cacher, et je l’avais félicitée de cette pudeur. (Nouveau mouvement.)
Eh bien! messieurs, je me trompais, M. Léon Faucher se trompait. (On rit.) Elle est revenue de cette fausse honte. La guillotine sent qu’elle est une institution sociale, comme on parle aujourd’hui. Et qui sait ? peut-être même rêve- t-elle, elle aussi, sa restauration. (On rit.)
La barrière Saint-Jacques, c’est la déchéance. Peut-être allons-nous la voir un de ces jours reparaître place de Grève, en plein midi, en pleine foule, avec son cortège de bourreaux, de gendarmes et de crieurs publics, sous les fenêtres mêmes de l’hôtel de ville, du haut desquelles on a eu un jour, le 24 février, l’insolence de la flétrir et de la mutiler !
En attendant, elle se redresse. Elle sent que la société ébranlée a besoin, pour se raffermir, comme on dit encore, de revenir à toutes les anciennes traditions, et elle est une ancienne tradition. Elle proteste contre ces déclamateurs démagogues qui s’appellent Beccaria,
...