Une Si Longue Lettre
Recherche de Documents : Une Si Longue Lettre. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 10 Octobre 2013 • 3 269 Mots (14 Pages) • 2 345 Vues
L'homme a parfois tendance à projeter sous forme de rêves un état ultérieur où il sera dans un rapport conjonctif avec l'objet désiré. Appliqués au personnage de roman, ces rêves, fait remarquer le sémioticien Philippe Hamon, constituent des programmes qui "posent […] un horizon d'attente pour le destin du personnage."1 Bien plus, ces rêves, depuis les travaux de Sigmund Freud et les découvertes de la psychanalyse, révèlent l'état de manque du personnage ; manque que veut combler le sujet puisque, au regard du schéma formalisé par le sémanticien du récit Julien Greimas, il se trouve sur l'axe du désir. Dès lors, s'amorce un processus de quête, autour duquel se construit généralement une œuvre littéraire et au moyen duquel le personnage cherche à se réaliser, à s'accomplir car il est mû par un besoin naturel d'exister. Obnubilé par l'objet de sa quête, le personnage développe parfois une conviction délirante qui thématise alors ses illusions. Ainsi en est-il de l'héroïne sadjienne qui, autour de l'objet (Dakar) avec lequel elle entretient une relation dite appétitive, cultive des mythes et des fantasmes qui se heurteront à la réalité et laisseront la porte ouverte à la désillusion. Cet état d'esprit matérialise le dysfonctionnement entre les constructions imaginaires du personnage et le réel, dont ce dernier, accablé par l'agressivité du donné, a une perception malheureuse. D'où l'intitulé du travail ici entrepris : " L'illusion, la désillusion et la déliquescence : essai d'analyse de Maïmouna d'Abdoulaye Sadji." Le décryptage du tryptique illusion-désillusion-déliquescence vise à mettre en exergue la désintégration de l'existence du personnage, victime de ses illusions. En effet, partie de la plénitude, l'héroïne sadjienne verra sa vie se défaire dans le néant et le malheur
I- LA POETISATION DE LA VILLE
A l'instar de ces milliers d'Africains fascinés par l'Europe qu'ils ne sont pas loin de considérer comme un Eldorado ou encore comme une Terre promise, Maïmouna n'échappe pas au pouvoir envoûtant de la ville. La jeune campagnarde est l'otage de cet ailleurs auquel tout son discours est à présent subordonné. Le personnage sadjien ne jure que par la ville, laquelle charrie son cortège d'images séduisantes.
1- La garantie de la sécurité matérielle
Dans l'œuvre qui sert de ferment à nos analyses, l'héroïne a l'esprit toujours tourné vers Dakar dont "le mirage emplit ses yeux" (p 59) à longueur de journée. Mue par un vouloir-vivre, Maïmouna tombe alors dans le piège des stéréotypes. Dakar est le seul endroit du Sénégal qui trouve grâce à ses yeux car il est synonyme de confort matériel :
son imagination lui représentait ce pays comme un séjour incom parable. Elle songeait déjà que le jour où elle aurait un mari socialement aussi haut placé que l'époux de sa sœur Rihanna, ce manque d'éducation la mettrait bien au-dessous de sa condition nouvelle (p.p.45-46).
Maïmouna considère Dakar comme le cadre propice à son épanouissement. Elle est persuadée d'y connaître l'ascension sociale. La fille de Yaye Daro tend par conséquent à orienter son existence en fonction de cet espace dont elle a une vision étriquée, qui paraît sortie d'un moule. En effet, la native de Louga qui s'est réfugiée dans ses fantasmes est un sujet instauré par un vouloir. De manière inconsciente, elle fait montre d'un esprit conformiste. La campagnarde reproduit dans une large mesure les lieux communs auxquels s'inféodent les esprits immatures. La ville représente tout un symbole fort. Cet espace aux multiples attraits est, aux yeux de Maïmouna qu'elle mettra à l'abri du besoin, le lieu de la consécration sociale. Aussi, cette conception de la ville contribue-t-elle à
apprécier les fonctions de l'espace dans ses rapports avec les personnages […] et à dégager les valeurs symboliques et idéologies rattachées à sa représentation2.
Maïmouna a la ferme conviction que Dakar est un endroit où coulent le lait et le miel et où on connaît un bonheur sans fin. Ses rêves ne sont pas le signe de sa capacité à se projeter dans le futur mais ils constituent la preuve de son inadaptation à la réalité. Cette vue de l'esprit est exacerbée par les lettres de Rihanna das lesquelles celle-ci drogue pour ainsi dire sa cadette d'illusions :
Elle craignait que la brousse n'en fit une petite sauvage, à peine présentable, ignorant tout des manières de la femme moderne, quand viendrait pour elle l'âge de se marier dans les milieux selects où sa jeunesse, sa beauté et les relations mondaines de sa sœur lui donneraient forcément accès. Rihanna rêvait pour maïmouna d'un époux cossu, aisé, un homme des cadres (p.p. 38-39)
Victime de ce discouirs dithyrambique de sa sœur sur la ville, Maïmouna ne peut qu'idéaliser cet ailleurs et prendre en horreur la campagne. Implicitement, le personnage oppose la campagne à la ville. Cette dichotomie est matérialisée par le principe de l'hétérotopie d'après lequel un espace se définit généralement par rapport et par opposition à un autre auquel il fait référence. L'hétéropie est ainsi bâtie sur l'opposition ici(le village)/ ailleurs (la ville). Dotée en plus d'un tempérament sentimental et rêvant du grand amour telle Emma Bovary, Maïmouna va céder une fois de plus aux mirages de la ville en cristallisant ses fantasmes sur Doudou Diouf en qui elle voit l'homme de son cœur.
2- La rencontre de l'âme sœur
Le village, ainsi le conçoit l'héroïne d'Abdoulaye Sadji, n'offre auncune perspective à cause de l'existence prosaïque et terne qui en est la marque de posée. Il est le contre-pied de la ville où la vie se résume à un enchaînement de plaisirs et d'émotions qui modifieront l'existence terne à laquelle la campagne la prédestinait. Elle, dont le "cœur réclamait un bonheur intense servi par une passion neuve, ardente" (p. 45), est tout de suite séduite par Doudou Diouf, un soir, au sortir d'une séance de projection cinématographique :
L'attention de Maïmouna fut tout à coup attirée par
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