Primo Levi
Note de Recherches : Primo Levi. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar gavroche222 • 11 Décembre 2014 • 1 197 Mots (5 Pages) • 1 098 Vues
ette fois, ça y est. Dans l'escalier, Alex me lance des regards torves, il se sent en quelque sorte responsable de mon aspect pitoyable II m'en veut parce que je suis italien, parce que je suis juif, et parce que, de nous tous, je suis celui qui s'écarte le plus de son idéal caporalesque de virilité. Par analogie, sans y rien comprendre, et fier de son incompétence, il affiche un profond scepticisme quant à mes chances de réussite à l'examen.
Nous entrons Le Doktor Pannwitz est seul, Alex, le calot à la main, lui parle à mi-voix « un Italien, au Lager depuis trois mois seulement, déjà à moitié kaputt. Er sagt er ist Chemiker » mais lui, Alex, semble faire ses réserves sur ce point.
Le voilà rapidement congédie et invité à attendre à l'écart, et moi je me sens comme Œdipe devant le Sphinx. J'ai les idées claires, et je me rends compte même en cet instant que l'enjeu est important, et pourtant j'ai une envie folle de disparaître, de me dérober à l'épreuve.
Pannwitz est grand, maigre, blond, il a les yeux, les cheveux et le nez conformes à ceux que tout Allemand se doit d'avoir, et il siège, terrible, derrière un bureau compliqué Et moi, le Häftling 174517, je suis debout dans son bureau, qui est un vrai bureau, net, propre, bien en ordre, et il me semble que je laisserais sur tout ce que je pourrais toucher une trace malpropre.
Quand il eut fini d'écrire, il leva les yeux sur moi et me regarda.
Depuis ce jour-là, j'ai pensé bien des fois et de bien des façons au Doktor Pannwitz Je me suis demandé ce qui pouvait bien se passer à l'intérieur de cet homme, comment il occupait son temps en dehors de la Polymérisation et de la conscience indo-germanique, et surtout, quand j'ai été de nouveau un homme libre, j'ai désire le rencontrer à nouveau, non pas pour me venger, mais pour satisfaire ma curiosité de l'âme humaine
Car son regard ne fut pas celui d'un homme à un autre homme, et si je pouvais expliquer à fond la nature de ce regard, échangé comme à travers la vitre d'un aquarium entre deux êtres appartenant à deux mondes différents, j'aurais expliqué du même coup l'essence de la grande folie du Troisième Reich.
Tout ce que nous pensions et disions des Allemands prit forme en cet instant. Le cerveau qui commandait à ces yeux bleus et à ces mains soignées disait clairement « Ce quelque chose que j'ai là devant moi appartient à une espèce qu'il importe sans nul doute de supprimer. Mais dans le cas présent, il convient auparavant de s'assurer qu'il ne renferme pas quelque élément utilisable ». Et, dans ma tête, les pensées roulent comme des graines dans une courge vide. « Les yeux bleus et les cheveux blonds sont essentiellement malfaisants. Aucune communication possible Je suis spécialiste en chimie minérale Je suis spécialiste en synthèses organiques Je suis spécialiste … »
Et l'interrogatoire commença, tandis qu'Alex, troisième spécimen zoologique présent, bâillait et rongeait son frein dans son coin.
— Wo sind Sie geboren ?
II me vouvoie le Doktor Ingénieur Pannwitz n'a pas le sens de l'humour. Qu'il soit maudit, il ne fait pas le moindre effort pour parler un allemand un tant soit peu compréhensible.
— J'ai soutenu ma thèse à Turin, en 1941, avec mention très bien.
Au fur et à mesure que je parle, j'ai le sentiment très net qu'il ne me croit pas, et à vrai dire je n'y crois pas moimême : il suffit de regarder mes mains sales et couvertes de plaies, mon pantalon de forçat maculé de boue. Et pourtant
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