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La ruse de duchesse dans la Châtelaine de Vergy

Commentaire de texte : La ruse de duchesse dans la Châtelaine de Vergy. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  5 Mars 2016  •  Commentaire de texte  •  3 075 Mots (13 Pages)  •  1 146 Vues

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Commentaire linéaire :

La ruse de la duchesse

Le texte que nous allons analyser est un extrait de La châtelaine de Vergy. Cette œuvre, qualifiée de conte ou de roman par certains des manuscrits de son époque mais plutôt considérée comme une nouvelle par les commentateurs modernes, est d’origine géographique et d’auteur inconnus. Nous pouvons seulement affirmer que ce court récit de 958 octosyllabes a été écrit au milieu du XIIIème siècle malgré que les circonstances de son écriture soient inconnues. Même si le genre littéraire de cette courte nouvelle est malaisément définissable, on pourrait le rapprocher de l’apologue par sa façon d’illustrer une « vérité » à l’aide du récit romanesque. Cette histoire, qui repose essentiellement sur l’existence d’un secret et la trahison de celui-ci, est très simple en apparence, mais cache un tiraillement psychologique profond venant de la prise de décision que devra effectuer le chevalier. Ce chevalier est amoureux de la châtelaine de Vergy, nièce du duc de Bourgogne dont il est le vassal. La seule condition que la châtelaine impose au chevalier est de ne jamais révéler leur amour à qui que ce soit sinon elle y mettra un terme immédiatement. Cependant, la femme du duc de Bourgogne est secrètement éprise du chevalier, mais ce dernier n’est nullement intéressé. La duchesse, furieuse d’être rejetée et d’autant plus vexée que la femme que lui préfère le chevalier est d’un rang social inférieur, décide de se venger. Elle force son mari à contraindre le chevalier de lui révéler l’identité de la femme qu’il aime. Le duc mène à bien sa mission et la duchesse va désormais essayer de soutirer ces informations à son époux. Pour cela, elle feint un malaise (vers 515-516), son mari vient la voir dans sa chambre et révèle dans ses propos qu’il en sait plus sur le chevalier qu’il ne veut bien en dire à sa femme (v. 548-549). Dans notre extrait, la duchesse va donc ruser pour obtenir ces informations.

C’est un texte de 48 vers octosyllabiques, où le discours direct domine en majorité. Il décrit et met en place la ruse de la duchesse pour apprendre le secret du chevalier qu’a découvert son mari. Nous pouvons diviser l’extrait en trois grands mouvements. Le premier, allant du vers 560 au vers 575, est la description de la ruse que va utiliser la duchesse afin de parvenir à ses fins. Le deuxième mouvement, du vers 576 au vers 586, est la première étape de la ruse : la duchesse use de techniques relevant du pathos pour émouvoir son mari. Et le dernier mouvement, du vers 587 au vers 608, est la seconde étape de la ruse de la duchesse : elle va utiliser un procédé de « psychologie inversée » pour que son mari révèle de lui-même le secret sans qu’elle n’ait besoin de le lui demander. Nous allons donc étudier cet extrait en nous demandant quelles sont les modalités qui permettent dans ce texte, la mise en place de la ruse de la duchesse, autrement dit quels procédés stylistiques, que l’auteur insère dans les dialogues de la duchesse, et narratologiques sont employés ici afin de forcer le mari à dévoiler la confidence du chevalier.

Le premier mouvement de cet extrait pourrait être appelé «  la description des techniques que va utiliser la duchesse pour que le duc de Bourgogne révèle l’identité de la femme qu’aime le chevalier ». Dans le premier vers, l’emploi du verbe  le sueffre  signifie en ancien français « patienter, attendre ». Mais nous savons que ce verbe a donner naissance plus tard au verbe « souffrir », qui a le sens de « endurer, supporter », ce qui nous indique le sens sous-jacent de sueffre : la duchesse attend jusqu’au soir que le duc la rejoigne en bouillant de colère et impatiente à l’idée de le manipuler pour parvenir à découvrir la secret. Puis, nous observons une anaphore avec l’expression « qu’ele » au début des vers 561 et 562, ce qui fait apparaître un parallélisme entre ces deux vers, ce qui nous suggère l’importance de la duchesse en répétant le pronom « ele » que l’on trouve aussi au début du vers précédent avec  s’ele . La répétition du même pronom, référant à la même personne, trois fois dans une même phrase indique le rôle de domination que la duchesse va exercer sur son mari. Ensuite, au vers 562, l’auteur emploie le vocable solaz, qui signifie au sens propre « gaieté, plaisir, réconfort, soulagement » mais qui désigne implicitement les relations sexuelles du duc et de la duchesse. On constate donc que la première technique de la ruse de la duchesse est de priver le duc du plaisir du lit conjugal pour le faire plier à sa volonté et le contraindre à révéler le secret en lui faisant un chantage sur le plaisir physique. Le vers 564, « Mieus son voloir qu’en autre point. », nous montre clairement que la duchesse est certaine de son pouvoir sur son mari avec l’expression exclusive « qu’en autre point ». Et cette assertion est renforcée par l’antanaclase formée avec cette expression et le vers précédent (« ce ne dout je point » et « qu’en autre point »). Pour mettre en place l’exécution de son plan, elle va feindre d’être fâchée quand le duc va venir se coucher près d’elle. C’est le verbe s’est traite qui nous le signifie ici. La duchesse va alors, avec le verbe li haite, qui signifie vient de se haiter au sens de « se réjouir », simuler son mécontentement et cet effet est renforcé avec la rime riche de ce vers avec le précédent (« s’est traite » avec « li haite »). L’auteur emploie le mot voie pour signifier que la duchesse a déjà bien étudié le « chemin » qu’elle va emprunter pour arriver à ses fins. Puis, l’expression « metre au desouz » qui signifie « dominer, l’emporter sur, triompher de », nous montre que la duchesse contrôle son mari, qu’elle maîtrise parfaitement les techniques psychologiques qui vont le forcer  à satisfaire les désirs de sa femme, alors qu’au Moyen Âge, on s’attend plutôt à ce que ce soit le mari qui domine et l’emporte sur sa femme, le société étant encore très misogyne et le contexte historique catholique très présent plaçait les femmes à un rôle social très accessoire. Au vers 572, nous arrivons à la fin de la deuxième phrase, qui est très longue en s’étendant sur huit lignes. Cette longue phrase s’achève sur le mot corouz, au sens de « chagrin » ou « colère », et ce procédé le met donc très en valeur. C’est donc ici que l’on constate que l’auteur a construit un procédé technique de persuasion en dichotomie : la duchesse fait d’abord un chantage physique au duc puis un chantage affectif, où elle va ici modeler ses sentiments exprimés pour signifier au duc son chagrin face à la situation. La répétition du terme samblant marque également le fait que la duchesse sait être bonne comédienne pour obtenir ce qu’elle désire. Et pour mettre en place ce chantage affectif, elle manipule son mari autant grâce à ses actions que par l’expression de son visage, ce que nous constatons avec « itel guise » où guise a plusieurs sens : « manière, façon » mais aussi « aspect, apparence ». Enfin, notre premier mouvement s’achève sur le mot irie qui a le même double sens que le précédent corous, c’est-à-dire qu’il signifie tantôt « affligée, en proie à une violente agitation » tantôt « en colère » et entre l’écart de ces deux sens, nous pouvons envisagés une variété de nuances différentes applicables à l’attitude que va feindre la duchesse. Cette description de la ruse de la duchesse travaillée en dichotomie nous amène donc au premier pan de celle-ci : la persuasion par le pathos.

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