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La relation que le théâtre peut entretenir avec le document

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Par   •  19 Février 2015  •  5 045 Mots (21 Pages)  •  752 Vues

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1Cette étude souhaite dresser un état des lieux de la relation que le théâtre peut entretenir avec le document. Dans la mesure où la dramaturgie crée rarement ex nihilo, mais recourt souvent à des sources (mythes, faits divers, événements historiques), toute composition dramatique peut comporter une part de documentaire1. D’emblée, le problème qui se pose est celui du corpus : quelles sont les pièces qui, sur la période qui nous intéresse (1870-1945), proposent réellement un usage du document, c’est-à-dire du matériau brut, non littéraire, inséré tel quel dans le corps de la pièce ?

2Interroger ces liens entre genre théâtral et document revient à réfléchir sur une remise en question du théâtre dans ses fondements car, dès Aristote, le théâtre est perçu comme un art bannissant l’intrusion du matériau à l’état brut, précisément parce qu’il naît de la composition, du filtrage du réel. L’insertion du document interroge, par conséquent, les pratiques du collage et du montage et leurs possibilités effectives au théâtre. Le recours au document interroge les limites de la fiction, autant que celles de l’imagination.

3Il s’agira donc de se demander si théâtre et source authentique font bon ménage dès les origines, pour ensuite envisager la méthode documentaire des naturalistes et enfin, dans la veine historique et politique, le théâtre documentaire, depuis ses origines chez Büchner jusqu’à Karl Kraus au lendemain de la Grande Guerre, relayé d’une façon politique radicale par Piscator, dans l’entre-deux-guerres, et ses successeurs comme Peter Weiss.

Le document est-il antithéâtral ?

4Certes, l’étymologie de « document » a des liens avec les visées du théâtre : le terme vient du latin documentum, de docere, « enseigner » ; documentum est « ce qui sert à instruire ». Cette dimension didactique a toujours existé au théâtre : nous la retrouvons dans le théâtre historique au xixe siècle, puis politique au xxe siècle, de Brecht ou Piscator. Littré nous dit que le « document » est : 1o la « chose qui enseigne ou renseigne » ; c’est le « titre », la « preuve » ; on parle de « documents relatifs à l’histoire de France ». 2oAnciennement, c’est la « leçon », l’ « enseignement ».Pourtant, au-delà de sa dimension didactique, le document à l’état brut paraît antithéâtral. Le théâtre résisterait-il au document ? C’est ce que nous allons voir dans la définition aristotélicienne du théâtre.

5La Poétique2, première théorie des genres, repose sur la mimésis, « imitation », « représentation ». La mimésis aristotélicienne n’a d’autre objet d’imitation que l’homme. La mimésis est poiétique, c’est-à-dire créatrice : Aristote distingue l’objet réel imité de l’artefact, l’œuvre d’art. Par conséquent, l’insertion du matériau brut qu’est le document pose problème dans la conception même de l’œuvre d’art. Aristote s’intéresse au passage de l’objet imité au produit de la transformation. L’objet représenté est réussi s’il obéit aux règles de l’art. La Poétique interroge donc la question centrale du rapport entre réel et œuvre d’art. Toute activité mimétique suppose un filtrage qui est fonction des moyens de la représentation (figures corporelles dans la danse, mélodie dans la musique, langage dans la poésie). Cette opération de transposition, de passage du réel à l’œuvre littéraire accomplie, repose sur le filtrage constitué par la mise en langage, par la sélection des données par le poète. Ce qui différencie le texte littéraire de sa source, c’est la composition, la poiêsis. Ce travail de création différencie le texte littéraire du matériau brut dont il est parti. Cet arrangement des données est un filtre. Le poète dramatique filtre le réel, par l’écriture, par la sélection des données du réel, par l’organisation de ces données.

6Au chapitre vi de la Poétique, Aristote donne cette définition de la tragédie : « une action de caractère élevé et complète, d’une certaine étendue, dans un langage relevé d’assaisonnements d’une espèce particulière suivant les diverses parties [de l’œuvre]3 ». Parmi les six éléments qui composent la tragédie, la partie la plus efficace est la quatrième, « la fable », c’est-à-dire « l’assemblage des actions accomplies4 », le système des faits. Aristote privilégie l’action comme élément essentiel de la pièce. Ainsi, la péripétie et la reconnaissance suscitent chez le spectateur la plus grande réaction. Les histoires bien constituées ne doivent ni commencer, ni s’achever au hasard. L’unité d’action est fondamentale. L’action n’est pas une donnée brute prise telle quelle dans la réalité ; elle est transformée : la pièce de théâtre doit être construite, elle n’est ni le reflet direct de la vie, ni faite de l’insertion de documents bruts. C’est pourquoi « le rôle du poète n’est pas de dire ce qui a eu lieu réellement, mais ce qui pourrait avoir lieu dans l’ordre du vraisemblable et du nécessaire » (chapitre ix). C’est le rôle de l’historien, du chroniqueur de dire ce qui a eu lieu réellement. La littérature se veut plus générale que l’histoire qui, elle, traite du cas particulier. L’accidentel est un cas particulier qui n’intéressera pas le spectateur. Si l’on veut que le spectateur adhère au spectacle, l’enchaînement doit être causal et nécessaire. Dès les origines, donc, cette définition semble interdire l’insertion du document brut dans la trame de la pièce.

Le théâtre naturaliste et le document

7Pourtant, pour la période qui nous concerne, 1870-1945, on aurait pu penser que le théâtre naturaliste, en quête de vérité au théâtre, aurait exploité l’insertion du document dans le genre théâtral. Les théories de Zola sont fondées sur la méthode documentaire, et le « document », maître mot des essais zoliens, interroge les limites de l’imagination dans la conception de l’œuvre d’art.

8Dans son essai Le Naturalisme au théâtre5, Zola essaie de répondre à l’objection selon laquelle le naturalisme est impossible à la scène car celle-ci est le lieu des conventions : « Toute la critique, ajoute-t-on, depuis Aristote, jusqu’à Boileau, a posé ce principe qu’une œuvre doit être basée sur le vrai », ce qui fait dire à Zola que « l’école naturaliste, de l’aveu même de ceux qui la plaisantent et l’attaquent, se trouve donc assise sur des fondements indestructibles ». Ainsi, les écrivains n’ont plus « qu’à reprendre l’édifice par la base, en apportant le plus possible de documents humains, présentés dans leur ordre logique ». Le naturalisme, qui « prend

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