Dissertation sur le théâtre (citation de Ionesco)
Dissertation : Dissertation sur le théâtre (citation de Ionesco). Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Leae3 • 3 Août 2019 • Dissertation • 3 938 Mots (16 Pages) • 790 Vues
La Cantatrice Chauve de Ionesco fit scandale lors de sa première représentation au théâtre des Noctambules au point que de nombreux spectateurs réclamèrent le remboursement. On peut expliquer le scandale par le fait que le spectateur ait pu se sentir démuni face à une pièce dont le personnage éponyme est absent et qui met en scène un langage stéréotypé se contredisant sans cesse. Et pourtant, l’œuvre est à l’affiche sans interruption depuis 1957 au théâtre de la Huchette à Paris. On pourrait expliquer les raisons de ce succès par une affirmation de l’auteur de la pièce : « une œuvre vivante est celle qui met les spectateurs en déroute ». Le critère de vivacité et de potentialité à durer se mesure alors à sa capacité à faire abdiquer le spectateur. Autrement dit, si le sens est frappant et sans ambigüité, l’œuvre serait sans vie et terne. Mais la mise en déroute n’est prônée que pour la représentation car il est précisé qu’elle est destinée à des spectateurs et non à des lecteurs. Il faut donc ébranler le spectateur dans ce qu’il pouvait avoir comme repère. Quels sont-ils ? Dans quelle mesure faut-il mettre en déroute le spectateur ? Il importe avant tout de s’interroger sur l’intérêt d’une telle démarche ainsi qu’à ses moyens d’aboutissements. Mais nous verrons que mettre le spectateur en déroute peut s’avérer problématique dans le sens de l’œuvre, c’est ainsi que nous mettrons alors en valeur l’intérêt d’une mise en scène qui guiderait le spectateur. Finalement nous verrons que l’œuvre vivante peut être, celle qui faisant mine de mettre en déroute, dissimule des indices pour que le spectateur sorte vainqueur de cette quête de significations[a].
Quel est l’intérêt de l’égarement du spectateur dans une mise en scène qui l’interroge plus qu’elle ne trouve de solution en le poussant à abdiquer ? Il semblerait que mettre en déroute le spectateur serait un moyen efficace de lutter contre le prêt à penser. Non seulement il s’agit de ne pas donner au spectateur des repères pour l’orienter vers une signification mais il est question en plus de le piéger en l’induisant vers la mauvaise solution. L’œuvre serait alors vivante au sens où continuant d’intriguer par le refus d’un sens construit et définitif elle ne succomberait pas à l’épreuve du temps et à sa perte. Ce n’est même pas la revendication d’une littérature qui doit être déchiffrée car une fois le décryptage fait, elle ne mettrait plus en déroute et ne serait plus vivante. C’est davantage la mise en avant d’un théâtre qui doit laisser perplexe, surpris, décontenancé au point d’abandonner toute recherche de sens. En provoquant une rupture avec l’horizon d’attente, Ionesco défend la conception d’un théâtre qui se doit d’être déconcertant pour perdurer. Certaines pièces remettent complètement le principe même qu’on peut se faire d’une pièce de théâtre, c’est-à-dire celui d’un texte destiné à être joué par des acteurs. La pièce par exemple, Actes sans paroles I écrite par Beckett est la parfaite illustration d’une pièce qui pourrait mettre en déroute le spectateur[b], même s’il est prévenu par le titre que le spectacle qui va se jouer se fera « sans paroles ». Le personnage effectue des gestes et des expressions en réaction à des coups de sifflet répétitifs : voilà le sujet de cette pièce. On peut bien imaginer que le spectateur soit mis en déroute face à une telle situation. Beckett ne donne aucun repère concret et explicite pour déchiffrer le sens de cette comédie. Mettre en déroute serait alors avec cet exemple la parfaite illustration du refus d’un prêt à penser. Le critère de vivacité d’une œuvre se mesure d’après Ionesco à sa capacité à mettre en déroute le spectateur. Autrement dit si elle ne le déroute pas, l’œuvre serait éteinte et terne. Comment l’œuvre peut-elle mettre en déroute le spectateur ?
Le langage peut apparaître comme le repère premier pour le spectateur. Les dialogues et monologues des personnages peuvent lui permettre de comprendre l’intrigue assez facilement. Lorsque le langage est mis à mal on peut comprendre que le spectateur puisse se sentir égaré. La déconstruction du langage est une technique très utilisée au XXème siècle. On pense bien entendu à Rhinocéros de Ionesco, pièce dans laquelle les dialogues peuvent apparaitre très stériles et ne découlant d’aucune logique. Plus précisément, on trouve un personnage de logicien, représentant présumé de la logique, qui se fourvoie dans de faux syllogismes : « tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat ». La logique n’ayant pas de raison d’être dans la pièce, le lecteur ne peut qu’être mis en déroute. De plus, le titre qui se doit d’éclairer le spectateur sur le sujet ou du moins sur le personnage principal de la pièce peut apparaître dans certaines pièces déroutant. Comment ne pas être égaré face à une pièce qui s’intitule la Cantatrice Chauve et dans laquelle n’apparaît aucune cantatrice chauve. On ne trouve seulement qu’une remarque à son sujet : « elle se coiffe toujours de la même façon » qui annule de fait la caractéristique « chauve » et déconstruit le sens. On comprend alors pourquoi les mots, porteurs du sens d’une pièce de théâtre peuvent mettre en déroute le spectateur quand ils ne formulent pas un sens clair. Si l’on pense à un autre moyen d’expression, le symbole, il arrive qu’il soit, au théâtre, parfaitement brouillé. Dans les Bonnes de Jean Genet, le sens des objets est sans cesse remis en cause par leur caractère protéiforme. Comment s’y retrouver ? La fleur, symbole de vie devient funèbre dans la chambre de Madame. Le gant, objet utilitaire dans la cuisine devient un « éventail », « un bouquet », autrement dit un bel objet esthétique dans la main de Solange. Les couleurs elles-mêmes n’échappent pas à ce brouillage des significations[c], le blanc, symbole de pureté, devient la couleur du deuil des reines et le rouge, symbole du désir et de l’amour, devient la couleur des « criminelles ». Le sens ne cesse de se déguiser, dès que le spectateur pense saisir une vérité, celle-ci est remise en cause. La désorientation du spectateur ne s’arrête pas là, le concept même de personnage et de temporalité peut être remis en question et déboucher sur une aporie.
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