Commentaire sur Cyrano de Bergerac

Le texte analysé est la scène 5 de l’acte 3 de Cyrano de Bergerac écrit par Edmond Rostand paru en 1897. Rostand sera sous l’influence du romantisme mais écrira sous un nouveau genre, le néoromantisme né à la fin du XIXe siècle. Le néoromantisme est un mouvement qui cherche à mettre l’accent sur les sentiments et la vie intérieure. C’est un passage comique tourné en dialogue entre Roxanne et Christian.

Cette scène est une scène faite de stichomythies entre Christian de Neuvillette (jeune noble et nouvel arrivant dans la compagnie des cadets) et Roxanne, cousine de Cyrano. Ces deux personnages ne s’étaient jamais rencontrés en face à face, et Roxanne, persuadée que Christian n’est pas sot et qu’il parle comme dans les lettres qu’elle a reçues, bien signées par Christian mais rédigées par Cyrano. C’est dans cette scène que Christian va faire sa déclaration amoureuse à Roxanne en ayant refusé l’aide de Cyrano, croyant pouvoir se débrouiller tout seul. Cette scène partie avec de la confiance se termine en fiasco entre les deux personnages qui se ridiculisent au fur et à mesure à des niveaux différents : Christian par ses maladresses et son manque de vocabulaire et Roxanne qui devient de plus en plus hautaine, froide et qui parle à la manière des précieuses, c’est-à-dire en utilisant très souvent des métaphores ou en inventant des mots.

On pourra se poser la question de comment cette scène met-elle en valeur l’importance de chaque personnage ainsi que l’importance de la beauté morale et physique. Pour y répondre, on observera les erreurs et les humiliations de Christian puis les exigences et la réaction de la précieuse Roxanne et enfin l’importance des didascalies dans cette scène.

Cette scène orchestre donc une rencontre entre un sot et une précieuse, cette situation d’emblée comique (comique de situation) nous prépare à deux genres qui restent totalement opposés et différents. Roxanne est persuadée que Christian n’est pas sot, qu’il parle poétiquement, comme les lettres qu’elle a reçues signées de la main de Christian. Une situation de double énonciation est donc visible, c’est-à-dire que le public sait depuis le début que Christian ne sait pas parler poétiquement et que les lettres que Roxanne a reçues sont toutes écrites par Cyrano, et que de son point de vue, Roxanne pense logiquement qu’elles sont toutes écrites par Christian puisqu’elles sont signées par celui-ci. C’est dans cet esprit-là que va se dérouler le fiasco de la déclaration amoureuse de Christian.

A l’inverse de ce qu’il pensait, celui-ci va très vite se rendre compte que Roxanne est une femme exigeante et pas facile. Pour Christian, sa déclaration devait s’arrêter aux mots « je t’aime », nous pouvons soulever donc le champ lexical de l’amour dans toutes les répliques de Christian. Or Roxanne en veut plus mais il ne sait pas quoi dire de plus alors on peut remarquer qu’il ajoute peu à peu un mot ou parfois un groupe de mots : « Je t’aime tant » - « Je serai si content, si vous m’aimiez » Il ne sait plus quoi dire et se perd face aux demandes strictes de Roxanne. Nous pouvons aussi remarquer une variante de la même phrase : « je t’adore », Christian ne sait plus comment s’y prendre et se répète, il tourne en rond. Cette répétition est vraiment omniprésente car nous pouvons soulever qu’à chacune de ses phrases, mis à part celles où Roxanne le coupe, il y a toujours un mot directement lié à celui de l’amour.  On peut ressentir ce manque d’éloquence par la volonté de précipitation ou l’envie de pouvoir avoir Roxanne, nous pouvons le déduire avec l’aide des didascalies ainsi que ses paroles : « CHRISTIAN, qui s’est rapproché et dévore des yeux la nuque blonde » où il dit ensuite « ton cou ! Je voudrais l’embrasser !... ». Il paraît emparer par l’amour qu’il porte à Roxanne, un amour primitif puisqu’il ne sait l’exprimer que par la même phrase avec quelques variante et qu’il se précipite alors que ce n’est que leur première rencontre ‘physique’. Néanmoins il recherche une réponse à toutes ses avances bien que trop simples pour Roxanne qui ignore la question de celui-ci : « Et puis… je serais si content si vous m’aimiez ! –Dis-moi, Roxanne, que tu m’aimes ! ». Il n’est pas que obnubilé et possessif, Rostand veut montrer qu’il garde quand même ses idées en place et ne perd pas son objectif premier, c’est-à-dire d’avoir une ‘approbation’ de Roxanne, que ce soit réciproque.

Malgré ses maladresses et sa volonté de précipitation, on ressent tout de même une réelle volonté d’implication dans le jeu de séduction qu’il aimerait mener. Il n’y parvient pas et Roxanne n’arrive donc à voir que ses échecs et pas les efforts qu’il essaye vainement de mettre en place. Nous pouvons donc ressentir, comme Cyrano, une certaine pitié derrière le comique qui a suivi toute la scène… Plus la fin de la scène approche, plus Christian est humilié et rejeté par Roxanne, il n’arrive même plus à s’exprimer et Roxanne devient même quelque peu méchante avec celui-ci…  De plus on a l’impression qu’elle lui fait passer un examen, une épreuve stricte et exigeante quand à ce qu’elle attend. Alors qu’il pensait qu’une simple déclaration suffirait, il se rend compte de l’erreur qu’il a faite.

Au début de la scène, Roxanne parle lentement, instaure une ambiance romantique et douce. Les didascalies nous indiquent que Roxanne ferme les yeux à l’entente de la voix de Christian, elle s’attend à de belles paroles qui la feront rêver. Mais il va en être tout autre et elle va devenir plus distante et froide.

En effet, Roxanne fait partie d’une communauté bien spéciale, les précieuses. Ce sont des femmes qui se livrent aux plaisirs du bel esprit. Elles sont inscrites dans le XVIIème siècle et parlent avec délicatesse, en utilisant des métaphores et parfois même en inventant certains mots, cela leur permet de se démarquer des autres. Dans cette scène nous pouvons facilement remarquer ces critères comme quand elle lui demande  « brodez » ses paroles, cette métaphore signifie qu’il doit en dire plus, être plus clair en ce qu’il ressent. Alors que Christian comptait terminer sa déclaration au « je t’aime », Roxanne, elle, en attend beaucoup plus, d’où l’intervention du « brodez ». Ou encore lorsqu’elle dit « Vous m’offrez du brouet quand j’espérais des crèmes ». Ici le « brouet » et les « crèmes » sont aussi des métaphores. En effet le brouet est un « plat simple » (porc, sang, sel..), liquide… Alors que la crème est onctueuse et douce, elle les compare aux paroles de Christian qui sont trop simples, elle veut qu’il les complique. Elle exprime aussi son souhait lorsqu’elle lui demande : « délabyrinthez vos sentiments ! ». Ici donc le mot « délabyrinthez » n’existe pas (critère des précieuses), elle essaye de se démarquer et imagine qu’en faisant cela, elle parle plus poétiquement. Elle est aussi capable de personnifier ses phrases comme lorsqu’elle dit « Allez rassembler votre éloquence en fuite ! », ici, l’éloquence est personnifiée, une éloquence ne peut pas bouger en soit, donc ne peut pas fuir. Rostand, ici, dénonce le ridicule de la société, jusqu’où ils pouvaient aller pour délimiter les sociétés. Elle essaie donc de se démarquer et de se rendre supérieure aux autres, ici, face à Christian, puisqu’il ne sait pas parler comme elle l’entend. Elle fait aussi preuve d’hautaineté, en comparant ses phrases a du brouet ou encore, quand elle se lève alors qu’il lui disait qu’il l’aimait, c’est une façon de prouver qu’elle est meilleure, supérieure, qu’on ne peut l’atteindre avec si peu d’effort. Je pense que Rostand montre à quel point les femmes de son temps pouvaient être exigeantes et difficile d’accès.

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