Pensez-vous que c’est pour le romanesque de leurs aventures que les personnages de marginaux sont intéressants ?
Dissertation : Pensez-vous que c’est pour le romanesque de leurs aventures que les personnages de marginaux sont intéressants ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar siad desiada • 11 Avril 2023 • Dissertation • 13 259 Mots (54 Pages) • 3 628 Vues
Dissertation :
Pensez-vous que c’est pour le romanesque de leurs aventures que les personnages de marginaux sont intéressants ?
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé. Votre réflexion prendra appui sur l'œuvre de l’abbé Prévost au programme, sur le travail mené dans le cadre du parcours associé et sur votre culture littéraire.
Travail préparatoire
A. Analyser le sujet
I.
Analyser les mots ou expressions-clés
Trouver des synonymes et des antonymes des mots-clés
- Marginaux : mot péjoratif, individus « en marge », c’est-à-dire à l’écart de la norme
qui domine // insérés dans la société.
- Romanesque : qui parle à notre imagination, nous tient en haleine ➜ les
personnages de marginaux auraient une destinée singulière, pittoresque,
extraordinaire // banal, commun.
- Intéressants : qui retiennent notre attention, séduisent, captivent, qui suscitent notre
curiosité intellectuelle ➜ plaisir de se divertir ou de s’instruire // ennuyeux,
inintéressant.
II.
-
Travailler sur la formulation du sujet (formuler deux types de réponses possibles)
Après avoir bien lu le sujet, on se demande de quel type de sujet il s’agit : une
question ? une affirmation ? une citation ? Dans le cas présent, le sujet est une
question à laquelle on peut répondre par « oui » ou « non ». Il est souvent utile de
formuler les deux réponses possibles, car cela aide à mieux percevoir certains
sous-entendus du sujet :
1re réponse possible : « Oui, c’est pour le romanesque de leurs aventures que les
personnages de marginaux sont intéressants. »
La forme déclarative permet de mieux faire apparaître ce qui était sous-entendu dans la
forme interrogative : l’intérêt principal, voire exclusif des personnages de marginaux serait
qu’ils donnent lieu à des aventures romanesques.
2e réponse possible : « Non, ce n’est pas pour le romanesque de leurs aventures que les
personnages de marginaux sont intéressants. »
Si on soutient cette thèse, c’est qu’on considère qu’il y a d’autres éléments que le
romanesque de leurs aventures qui rendent intéressants des marginaux : il faudra trouver
lesquels.
!!!! Attention au hors-sujet : la négation porte sur toute la phrase, pas sur une partie
seulement de la phrase. Ainsi, dire « les personnages de marginaux ne sont pas
intéressants » ou « les personnages de marginaux n’ont pas d’aventures
romanesques », ne tient pas compte de l’ensemble de la question posée par le sujet
et peut conduire au hors-sujet !
-
Cette méthode simple permet de dessiner un parcours de réflexion :
– Le sujet présuppose un lien entre la marginalité des personnages et le caractère
romanesque des aventures qu’ils vivent. Il faut donc examiner en quoi « personnages de
marginaux » et « romanesque des aventures » peuvent être liés.
– Ce présupposé pourra être questionné : la présence de personnages marginaux
est-elle nécessairement liée au « romanesque des aventures » ? Ces personnages
peuvent-ils être associés à une autre forme de romanesque ?
– Enfin on se demandera quelles sont les raisons autres que le « romanesque des
aventures » qui peuvent faire l’intérêt des « personnages de marginaux.
III. Rattacher les termes du sujet à l’œuvre qu’il s’agit d’étudier
-Manon et Des Grieux sont par bien des aspects des personnages de marginaux
dont les actions contribuent aux aventures très mouvementées. Tout ce qu’ils vivent est très
romanesque, au sens où cela nous paraît hors du commun et peu conventionnel : ils
recourent aux services d’individus louches ; leurs propres actes et décisions les placent en
marge de la société ; leur parcours est celui d’une déchéance sociale ; la société les traite
comme des marginaux et sanctionne leur comportement.
-Mais, quoique souffrant de cette marginalisation, Des Grieux ne remet pas en cause
des actes qu’il dit commettre au nom d’une valeur à ses yeux supérieure aux règles morales
et sociales : l’amour. Ainsi le romanesque de l’œuvre ne découle pas seulement de
péripéties mais aussi de sentiments exaltés. Voici une première piste qui permet de nuancer
la réponse à la question posée par le sujet.
-De plus, l’homme de qualité, dans l’avis au lecteur, met l’accent sur le fait qu’il veut
montrer un « exemple terrible de la force des passions » dans le but de proposer une
instruction morale. Cet élément suggère que la marginalité d’un personnage peut avoir pour
intérêt de stimuler la réflexion. Voici une deuxième piste à exploiter.
B. Trouver la problématique
I.
Identifier le problème et ses enjeux
Le sujet demande d’examiner si le caractère romanesque de leurs aventures est le
principal ou le seul intérêt que présentent des personnages de marginaux dans un roman,
autrement dit si l’agrément (= qualité de ce qui procure du plaisir) du roman se réduit à celui
d’une intrigue divertissante. L’enjeu dans lequel s’inscrit cette question concerne donc la
fonction du roman en général : divertir seulement, flatter le goût du dépaysement imaginaire,
le besoin d’évasion ? Cet enjeu engage aussi bien l’auteur que le lecteur.
Dans un premier temps, on peut se rappeler que l’ambition d’un romancier,
notamment aux XVIIe et XVIIIe siècles, est non seulement de plaire mais aussi d’instruire,
conformément au principe de l’esthétique classique. Or réduire l’intérêt des personnages de
marginaux aux aventures romanesques qu’ils vivent signifierait que le romancier ne
songerait qu’à satisfaire le besoin de divertissement du lecteur. Comme on peut supposer
que ce n’est pas le cas, on pourra étudier comment le romancier trouve matière à instruire
son lecteur.
Dans un deuxième temps, on peut se baser sur l’expérience du lecteur : les
aventures ne l’intéressent vraiment que si elles sont vécues par un personnage qui le
touche, qu’il comprend, et auquel éventuellement il s’identifie. Généralement, le lecteur
apprécie des personnages qui représentent des héros : ils incarnent des valeurs dans
lesquelles il reconnaît un idéal. Par conséquent, si le lecteur trouve de l’intérêt à des
personnages de marginaux - lesquels ne sont pas des héros au sens traditionnel du terme -,
c’est qu’ils ont des caractéristiques qui l’émeuvent.
II.
Formulation de la problématique
[reprise du sujet] Peut-on soutenir que ce sont avant tout leurs aventures
extraordinaires qui font l’intérêt des personnages de marginaux dans un roman,
[Problématique] alors que le lecteur recherche aussi des personnages qui le touchent, et
que le romancier a généralement l’ambition d’instruire son lecteur ?
C. Chercher des arguments et des exemples
I.
Chercher des éléments de réponse et des exemples
Au brouillon, on note les idées et les arguments permettant de répondre à la
question, en cherchant systématiquement des exemples. On ne réfléchit pas dans le vague,
mais toujours en ayant l’œuvre à l’esprit ainsi que les autres textes du parcours.
On pourra ainsi relire ces idées en cherchant comment les organiser en grandes
parties cohérentes.
II.
Bâtir un plan
Trouver la structure du plan
Le plan se construit en regroupant ses arguments sous deux ou trois grandes
parties. Le plan doit être équilibré ; cet équilibre prouve que vous pouvez organiser une
pensée construite. En fonction du sujet et de votre réflexion, vous pouvez adopter
différentes structures de plan :
2 grandes parties composées de 3 sous-parties ;
3 grandes parties composées de 2 sous-parties ;
3 grandes parties composées de 3 sous-parties.
Exemple de plan pour ce sujet :
I. Les personnages de marginaux se prêtent bien au récit d’aventures multiples et
divertissantes
II. Mais le romanesque de tels personnages est plus profondément lié à
l’exploration de leur singularité qu’à leurs aventures
III. En prenant pour héros des personnages de marginaux, les romanciers offrent
matière à réfléchir.
À partir de ces grands axes, on peut bâtir un plan plus précis incluant les titres des
sous-parties
D. Rédiger sa dissertation
I.
Rédiger l’introduction
On la rédige d’abord au brouillon : il faut la soigner car c’est le premier élément que lit le
correcteur. Elle lance la réflexion et peut laisser une impression décisive. Si elle est courte,
on la rédige en un seul paragraphe. Si elle est longue, on peut faire des paragraphes, sans
sauter de ligne mais en faisant des alinéas pour distinguer les étapes : accroche et énoncé
du sujet, analyse du sujet, problématique, annonce du plan. L’utilisation de connecteurs est
primordiale pour faire comprendre l’articulation du propos.
Les romans qui avaient la faveur du public au XVIIe siècle et encore au moment de
la parution de Manon Lescaut flattaient chez le lecteur le goût des aventures extraordinaires
et le besoin d’admirer des héros exceptionnels. Mais lorsque les protagonistes sont des
personnages de marginaux, comme c’est le cas dans l’ouvrage de l’abbé Prévost, le
caractère romanesque de leurs aventures suffit-il à les rendre intéressants ? Les
personnages de marginaux en effet, ancrés dans une réalité prosaïque, commettant des
actes ou professant des idées répréhensibles, prennent le contrepied de l’idéal héroïque
traditionnel. Cependant ils sont aussi embarqués dans des tribulations hors du commun.
Mais est-ce le seul projet des romanciers que de divertir les lecteurs avec ces aventures ?
Beaucoup d’entre eux, à commencer par Prévost lui-même, conscients de pratiquer un
genre décrié pour sa frivolité, défendent la valeur instructive de leurs ouvrages. Ainsi,
peut-on soutenir que ce sont avant tout leurs aventures extraordinaires qui font l’intérêt des
personnages de marginaux dans un roman, alors que le lecteur recherche aussi des
personnages qui le touchent, et que le romancier a généralement l’ambition d’instruire son
lecteur ? Nous verrons que les personnages de marginaux se prêtent bien au récit
d’aventures divertissantes, mais que leur intérêt romanesque ne saurait s’y limiter, et que les
romanciers trouvent grâce à de tels personnages le moyen de susciter une réflexion chez le
lecteur.
II. Rédiger le corps du devoir
Rédiger le corps du devoir vous demandera simplement de procéder pas à pas, en
annonçant les idées que vous allez développer, en les agrémentant de citations et en
soignant les transitions (là encore, utilisez des connecteurs) pour faire comprendre la
progression de l’argumentation.
Soignez aussi la présentation, en sautant des lignes entre chaque partie et en allant
à la ligne avec des alinéas pour délimiter les sous-parties et les différents arguments.
Nous indiquons ci-dessous les titres et les sous-titres. Mais ceux-ci ne doivent pas
apparaître dans la version rédigée de la dissertation.
I.
Les personnages de marginaux se prêtent bien au récit d’aventures multiples et
divertissantes
Les personnages de marginaux satisfont le goût du romanesque aussi bien chez le
romancier que chez le lecteur. [annonce des sous-parties] Ils permettent au premier de
laisser libre cours à son imagination dans la construction de ses intrigues, et d’offrir à son
lecteur des aventures de tons variés, graves ou légères, tristes ou amusantes. Le lecteur a
de bonnes raisons d’être séduit : outre le plaisir des rebondissements, les aventures des
marginaux le dépaysent en lui montrant des milieux qu’il ne fréquente pas dans la vie réelle,
voire lui permettent d’assouvir sans risque une certaine fascination pour les bas-fonds de la
société.
1.La marginalité des personnages autorise au romancier une certaine liberté d’imagination
[argument] Choisir pour héros des personnages de marginaux de préférence à des
personnages qui se conforment aux normes sociales et morales offre au romancier
l’opportunité d’imaginer des intrigues peu banales et mouvementées, en alternant les
épisodes drôlatiques et les moments plus sérieux, voire tragiques.[exemple détaillé]
D’ailleurs, le genre du roman picaresque est tout entier dédié aux aventures
rocambolesques d’un personnage en marge, le « picaro ». Apparaissant en Espagne au
XVIIe siècle, le roman picaresque s’étend en France avec Gil Blas de Santillane de Lesage,
ou en Angleterre : le roman de Defoe, Heurs et Malheurs de la fameuse Moll Flanders
(1722), conte l’histoire hors du commun d’une orpheline, Moll Flanders, née dans une prison
et abandonnée, exerçant toutes les activités possibles (et souvent peu recommandables)
pour vivre, et s’exilant finalement en Amérique. La source d’inspiration que constituent les
marginaux ne tarit pas de nos jours, ni dans les romans (on peut citer la série de Virginie
Despentes, Vernon Subutex), ni au cinéma. L’équivalent du roman picaresque est le « road
movie », dans lequel des personnages au départ bien intégrés dans la société décident de
vivre en marginaux en partant sur les routes souvent sans but précis : la construction du film
suit alors les déambulations des héros, les péripéties variées qui naissent des rencontres
fortuites qu’ils font au cours de leur périple. [exemple détaillé de Manon Lescaut] Quoique
Manon Lescaut ne soit pas un roman picaresque, l’intrigue bâtie dans Manon Lescaut par le
romancier découle également de la marginalité des héros. En effet, c’est une première
infraction aux règles sociales qui entraînera toutes les autres et qui donne aux péripéties un
caractère fatal. S’ils ne s’étaient pas écartés du chemin qui leur était tracé et mis au ban de
la société en décidant de fuir ensemble, Manon aurait été religieuse, Des Grieux serait entré
dans l’ordre de Malte ou devenu prêtre, et il n’y aurait pas eu d’« Histoire du Chevalier Des
Grieux et de Manon Lescaut ». Comme leur marginalité les prive de ressources financières,
les deux jeunes gens recourent à des expédients douteux pour survivre (prostitution,
tricherie, escroquerie). Les péripéties se ressemblent mais obéissent à une logique de
surenchère : chaque transgression entraîne une punition (enfermement, emprisonnement,
déportation) qui à son tour entraîne une transgression plus grave (évasion, meurtre...). La
marginalité prive aussi les deux amants de toute protection. Elle les soumet aux aléas (ils
sont volés par deux fois) mais surtout à l’arbitraire des puissants. La déportation de Manon
en Amérique par exemple est plus le fait d’une vengeance personnelle du puissant G... M...
qu’une mesure de justice impartiale. Un autre exemple est fourni par le gouverneur de la
Nouvelle-Orléans qui, apprenant que Manon et Des Grieux ne sont pas mariés, décide de
donner Manon à son neveu Synnelet. Les conséquences sont funestes : duel, fuite des
amants, et, tragédie finale, mort de Manon. Dans la succession des aventures, les moments
de bonheur et de respiration n’interrompent que très brièvement la déchéance des deux
personnages et souvent tout s’enchaîne à un rythme effréné : [citation] « La Fortune ne me
délivra d’un précipice que pour me faire tomber dans un autre. »
[transition] Le lecteur ne peut qu’être happé par cette fuite en avant tumultueuse.
2. Le lecteur goûte le plaisir du dépaysement par rapport au monde ordinaire
Les personnages qui vivent en marge permettent au lecteur de découvrir l’envers de la
société et des milieux qu’il ne voit pas habituellement. Dans Manon Lescaut, les deux
personnages côtoient des milieux interlopes, comme le frère de Manon, « homme brutal et
sans principe d’honneur », qui profite d’eux et les encourage sur la voie du déshonneur, en
conseillant à l’un comme à l’autre de se prostituer ; la ligue de l’Industrie où se retrouve le
Chevalier est le monde du jeu et des tricheurs. Il y a aussi dans le roman quantité de figures
fugitives qui constituent un décor à la fois réaliste et dépaysant pour le lecteur : des soldats
prêts à n’importe quel coup de main, des gardiens de prison prompts à se laisser acheter,
des domestiques voleurs ou encore une toute jeune prostituée que Manon envoie à Des
Grieux pour le consoler de son absence. Les aventures des personnages principaux
s’inscrivent dans un tissu social mêlé où se rejoignent ponctuellement de riches
personnages (les amants de Manon) et des individus prêts à tout pour en profiter. Certains
des personnages romanesques les plus marquants du roman réaliste du XIXe siècle sont
des marginaux, tels le Vautrin de Balzac dont on suit les aventures de roman en roman (Le
Père Goriot, Les Illusions perdues, Splendeurs et Misères des courtisanes). Forçat évadé
capable de transformations multiples, d’actions d’éclat, de stratagèmes complexes, Vautrin
affirme : « Il n’y a de vie que dans les marges ». C’est un personnage qui emprunte diverses
identités et navigue ainsi entre plusieurs milieux sociaux, officiels ou souterrains.
3. Le lecteur peut assouvir à bon compte sa fascination pour les bas-fonds
Il y a certainement chez le lecteur une forme de curiosité fascinée pour les bas-fonds de la
société comme de l’âme humaine que les aventures vécues par des personnages à la fois
marginaux et dangereux lui permettent d’assouvir sans courir le moindre risque. En outre,
ces aventures sont racontées d’une manière qui joue du suspense, de coups de théâtre
surprenants, ce qui provoque chez le lecteur des sensations fortes (tension, appréhension,
horreur...). Cette attirance est manifeste dans le succès de certains genres littéraires comme
le roman noir, auquel sont dédiées de nombreuses collections éditoriales (par exemple Série
Noire chez Gallimard ou Actes noirs chez Actes Sud). Le cinéma regorge de films de
gangsters, de mafieux (Le Parrain, Scarface), voire de tueurs en série (Le Silence des
agneaux). Le succès de certaines séries actuelles repose sur les méfaits des cartels de la
drogue (Narcos, Ozark par exemple). Quoique les aventures de marginaux soient
palpitantes, beaucoup de romans qui ont pour héros de tels personnages ne se limitent pas
à concocter des intrigues mouvementées et surprenantes. La plupart du temps, les
romanciers explorent l’intériorité de leurs personnages. Le romanesque se déplace alors des
aventures vers le cœur, les sentiments, ou la vision du monde de ces marginaux.
II. Le romanesque des marginaux est plus profondément lié à l’exploration de leur
singularité qu’à leurs aventures
1. Le romanesque du cœur l’emporte sur le romanesque des aventures
Les aventures dans les romans découlent souvent de la passion amoureuse. Le
romanesque du cœur peut commander celui des aventures et l’emporter sur elles. C’est en
effet l’amour qui entraîne Des Grieux dans toutes ses aventures qui sont pour lui comme
autant de sacrifices, qui le font déchoir de sa classe sociale. Après avoir perdu son honneur,
il se dépouille de deux symboles de sa condition nobiliaire : il vend son cheval pour suivre
Manon jusqu’au Havre, et rompt son épée pour creuser la tombe de Manon. C’est aussi
cette passion qui est la cause de la déchéance de Manon (qui ne manquait pas de riches «
protecteurs »), puis de sa mort en Amérique. Les premiers romans médiévaux ont pour sujet
« les armes et l’amour ». Lancelot ou le Chevalier de la Charrette de Chrétien de Troyes
raconte même l’histoire d’un chevalier qui par amour se met au ban de la chevalerie : il
accepte de devenir un objet de risée et d’opprobre en combattant piteusement lors d’un
tournoi et en montant dans la charrette infamante d’un condamné.
2. Les personnages de marginaux offrent au romancier l’opportunité d’explorer la
complexité des individus
Il est notable que beaucoup de romans dont le héros est un marginal sont écrits à la
première personne. En effet, ce choix rapproche le lecteur du personnage, mais surtout il fait
passer les actions au second plan par rapport à l’explicitation des motivations des
personnages, à leurs réflexions sur eux-mêmes. C’est le Chevalier lui-même qui raconte ses
propres aventures passées : « Je veux vous apprendre, non seulement mes malheurs et
mes peines, mais encore mes désordres et mes plus honteuses faiblesses. » Il met donc
l’accent sur les répercussions des événements sur lui (« mon malheur et mes peines »), et
entreprend une confession, ce qui implique une introspection. En effet il veut élucider le
mystère de la passion (« L’amour est une passion innocente ; comment s’est-il changé pour
moi en une source de misères et de désordres ? »), se comprendre lui-même et comprendre
Manon, tantôt « adorable créature », tantôt « ingrate et perfide maîtresse ». Les Liaisons
dangereuses de Laclos sont une autre forme de roman à la première personne puisqu’il
s’agit d’un roman épistolaire. Les personnages principaux, le vicomte de Valmont et la
marquise de Merteuil, sont deux marginaux non en raison de leur situation sociale mais du
fait qu’ils prennent par leur libertinage le contrepied de la morale affichée par la société de
leur temps. Le romanesque des aventures est ici supplanté par celui des rapports entre ces
deux personnages, qui, d’alliés, deviennent concurrents, puis ennemis. Il s’agit alors d’un
romanesque très intellectualisé : l’intérêt du lecteur se porte sur la lutte de pouvoir et la
révélation progressive des motivations profondes de ces deux personnages hors normes.
3. Certains romans ayant pour héros des marginaux sont intentionnellement
dépourvus de tout romanesque
Certains romans dont le héros est un marginal se distinguent par leur absence
complète d’aventures romanesques. En outre, ce marginal peut être un antihéros, au sens
où il s’agit d’un personnage fade, ordinaire, médiocre. Le refus du romanesque est total : ce
sont des personnages sans destin qui montrent la vacuité de l’individu dans la société
moderne. On rencontre ce type de roman et de personnage principalement au XXe siècle,
également dans des récits à la première personne. Roquentin dans La Nausée de Sartre
écrit son journal, c’est un personnage sans quête : « Je n’écris plus le livre. C’est fini, je ne
peux plus écrire. Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? Rien. Exister. » Dans Mes amis
d’Emmanuel Bove, le personnage narrateur, Victor Bâton, vit chichement d’une pension
d’invalidité. Il raconte les journées mornes qu’il passe à ne rien faire. Pour sortir de sa
torpeur, il a l’idée de chercher à se faire un ami. Non seulement cette quête est minimale,
mais elle échoue en raison de sa naïveté (il se fait des illusions sur les autres) et de son
caractère geignard. Le personnage reste un marginal solitaire. L’agrément des aventures
passe souvent au second plan ou peut même être absent. Mais grâce à l’emploi de la
première personne, le romancier déplace l’intérêt du lecteur sur le point de vue du
personnage en marge. Les marginaux, personnages problématiques, décevants, bien
différents des personnages héroïques incarnant les valeurs dominantes d’une société
et d’une époque, permettent en réalité au romancier de susciter la réflexion de son
lecteur.
III. L’intérêt des personnages marginaux est d’offrir matière à réflexion
1. Une réflexion morale
Tandis qu’un personnage héroïque offre un modèle idéal à suivre, le personnage en
marge, justement en raison de son imperfection, soulève des problèmes moraux
intéressants. Est-il foncièrement mauvais, ou est-ce sa situation sociale qui le pervertit ? Ses
actes sont-ils le reflet de son intention négative, ou bien agit-il mal malgré lui ? Porte-t-il tout
de même des valeurs, et celles-ci ont-elles une légitimité ? Dans Manon Lescaut, l’homme
de qualité fait précéder le récit du Chevalier d’un avis de l’auteur qui justifie le fait de
rapporter cette histoire. Il pense que proposer un tel exemple est plus instructif pour le
lecteur qui voudrait réformer sa propre conduite. Son ambition est donc de plaire et instruire
: « Outre le plaisir d’une lecture agréable, on y trouvera peu d’événements qui ne puissent
servir à l’instruction des mœurs et c’est rendre à mon avis un service considérable au public
que de l’instruire en le divertissant ». L’homme de qualité soumet à la réflexion du lecteur un
cas moral : « un exemple terrible de la force des passions », « un caractère ambigu, un
mélange de vertus et de vices, un contraste perpétuel de bons sentiments et d’actions
mauvaises ». Dans le cours de son récit, Des Grieux s’interroge sans cesse pour
comprendre ce qui l’a fait dévier du droit chemin : « S’il est vrai que les secours célestes
sont à tout moment d’une force égale à celle des passions, qu’on m’explique donc par quel
funeste ascendant l’on se trouve emporté tout d’un coup loin de son devoir, sans se trouver
capable de la moindre résistance, et sans ressentir le moindre remords ». Sa marginalité
provient de l’impossibilité de concilier amour et vertu dans la société de son temps. Le
Chevalier porte une valeur : celle de la recherche du bonheur, recherche légitime mais
contrariée par les interdits sociaux.
2. Une réflexion sociale
Les personnages de marginaux et leurs aventures dans un roman peuvent aussi être
un moyen pour le romancier de faire une peinture de la société de son époque, à travers le
regard décalé que de tels personnages portent sur elle. L’intérêt dans ce cas n’est donc ni
dans le romanesque des aventures ni dans celui des caractères singuliers des personnages,
mais dans les tableaux de mœurs, ou les analyses critiques de la société de l’époque. Dans
le roman picaresque, le personnage traverse et observe avec lucidité toutes les couches de
la société. L’utilisation du regard étranger ou naïf d’un marginal dans le conte philosophique
permet de critiquer les institutions politiques, religieuses, sociales (Lettres persanes de
Montesquieu, Candide de Voltaire). Un roman d’anticipation comme Le Meilleur des mondes
de Huxley utilise également des personnages de marginaux pour refuser le conformisme et
l’immobilisme d’une société très hiérarchisée à laquelle est inculquée à chacun la
satisfaction d’être à la place où il a été mis : c’est un moyen de faire réfléchir le lecteur à une
société du futur qui pourrait être celle vers laquelle nous nous dirigeons.
3. Une réflexion sur la condition humaine
Le personnage du marginal peut également être le support d’une réflexion
philosophique sur la condition humaine, en particulier lorsque ce personnage se présente
sous l’aspect d’un être médiocre et sans quête, sans but dans la vie. L’attention dans ce cas
se focalise sur une vie dépouillée de tous les masques habituels, de toutes les histoires
qu’on se raconte pour ne pas affronter l’idée de notre mort et du caractère contingent de
notre existence : le masque de la réussite sociale, le masque de la réussite amoureuse et
familiale, le masque de la croyance en un dieu ou une vie au-delà qui justifierait notre
existence. La Nausée de Jean-Paul Sartre (1938) et L’Étranger de Camus (1942) ont pour
protagoniste un personnage en marge qui découvre, chacun à sa manière, l’absurdité du
monde et de l’existence humaine : leur lucidité révèle ce que les autres hommes se refusent
à voir et se cachent. Cette lucidité terrible est cependant le seul moyen d’accéder à la
véritable liberté. Ces personnages de marginaux offrent donc une leçon au lecteur pour
trouver une issue au désespoir d’un monde absurde
III. Rédiger la conclusion
La conclusion se rédige en un seul paragraphe ; elle commence par un alinéa.
[réponse à la problématique] Les personnages de marginaux autorisent
effectivement au romancier une liberté d’imagination et un certain affranchissement des
règles de la vraisemblance, pour le plus grand plaisir d’un lecteur amateur d’intrigues pleines
d’actions, de coups de théâtre et de sensations fortes. Mais les aventures peuvent être
moins importantes que les sentiments exaltés ou l’étrangeté psychologique attachés aux
personnages en marge, qui, souvent hors-normes, sont des cas intéressants à étudier. En
outre, regarder le monde depuis le point de vue de marginaux est aussi l’occasion de
renouveler la vision qu’on en a : l’auteur incite le lecteur à se décaler de ses habitudes de
pensée afin d’élargir sa réflexion. Des romans dont les héros sont des marginaux ont ainsi
toutes les chances de divertir et d’instruire, comme cela est rappelé dans l’Avis de l’auteur
de Manon Lescaut. [ouverture] Pour finir, on pourrait se demander si ce ne sont pas les
personnages en marge qui marquent le plus durablement l’imagination du public : du titre
initial du roman de l’abbé Prévost, Histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, la
postérité a retenu le nom du personnage le plus marginal et le plus énigmatique, Manon
Lescaut
...