Peau de Chagrin, Émile Zola
Dissertation : Peau de Chagrin, Émile Zola. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Raphaëlle Blackbird • 20 Mai 2024 • Dissertation • 3 237 Mots (13 Pages) • 84 Vues
Introduction
Dans son roman La Peau de Chagrin, publié en 1831, Honoré de Balzac débute son ambitieux projet d’exploration des mœurs de la société des premières décennies du XIXe siècle qui prendra forme, quelques années plus tard, dans la Comédie humaine qui met en scène une multitude de personnages de son temps que le lecteur est appelé à apercevoir et à côtoyer à différents moments de leur existence. Dans La Peau de chagrin, le lecteur suit ainsi, dans la durée, et par l’entremise d’une longue analepse, l’évolution du personnage central, Raphaël de Valentin, depuis son enfance jusqu’à la fin - tragique - de son existence. Alors que sa rencontre avec le personnage féminin de Fœdora, femme aussi énigmatique que captivante et qui se révèle « sans cœur », marque un tournant dans son existence, précipitant une première déchéance qui le conduit à pactiser avec l’étrange talisman découvert chez un antiquaire, la « peau de chagrin », qui donne son titre à l’oeuvre, quel portrait Balzac dresse-t-il de Raphaël de Valentin avant sa rencontre avec ce personnage ? Afin de répondre à la question posée, nous montrerons tout d’abord comment Raphaël de Valentin se trouve aux prises avec la réalité sociale des premières décennies du XIXe, avant d’étudier les élans romantiques qui émanent de ce jeune homme. Nous analyserons enfin la façon dont ce personnage se trouve tiraillé entre ses rêves et la réalité.
I - Un personnage aux prises avec la réalité sociale des premières décennies du XIXe
A - Orphelin de mère, soumis à la discipline sévère et aux rêves de grandeur de son père
Dans la confession que Raphaël de Valentin fait à Émile Blondet, lorsqu’il se trouve chez Taillefer, au début de la seconde partie du roman, confession qui constitue une analepse sous forme de discours rapporté permettant de dresser un bilan de sa vie jusqu’à sa rencontre avec Fœdora, on découvre tout d’abord un personnage aux prises avec la réalité sociale des premières décennies du XIXe, dans une veine qui préfigure le réalisme qui sera plus tard développé par Balzac dans le reste de la Comédie humaine. Ce monologue introspectif du personnage principal de La Peau de chagrin, met en premier lieu en lumière l’enfance d’un personnage orphelin de mère, et soumis, jusqu’à l’aube de l’âge adulte, à la discipline sévère et aux rêves de grandeur de son père, « un grand homme sec et mince, le visage en lame de couteau, le teint pâle, à parole brève, taquin comme une vieille fille, méticuleux comme un chef de bureau » (p. 137) qui l’élève dans un « despotisme […] monacal » (p. 137), rêvant pour lui d’une position d’homme d’État : « [s]a paternité planait au-dessus de mes lutines et joyeuses pensées, et les enfermait comme sous un dôme de plomb. » déclare-t-il à la p. 137. Fils unique du marquis de Valentin, « chef d'une maison historique, à peu près oubliée en Auvergne » (p. 143), dont l’origine n’est pas sans rappeler celle d’Honoré de Balzac, et de « l'héritière d'une grande maison » (p. 143), Raphaël de Valentin nous apprend, du reste, que son père s’est rendu à Paris pour « tenter le diable », parvenant dans un premier temps à s’assurer une fortune susceptible de lui éviter de « labourer la terre l’épée au côté » (p. 143), déchéance qui guette tout représentant de la noblesse : « il était parvenu sans grand appui à prendre position au cœur même du pouvoir. La révolution renversa bientôt sa fortune ; mais il avait su épouser l’héritière d’une grande maison, et s’était vu sous l’empire au moment de restituer à notre famille son ancienne splendeur. » (p. 143). Bien que son père fasse preuve de sévérité, Raphaël de Valentin l’aime profondément : « j’aimais mon père, au fond il était juste. Peut-être ne haïssons-nous pas la sévérité quand elle est justifiée par un grand caractère, par des mœurs pures, et qu’elle est adroitement entremêlée de bonté. » (p. 137). Et il estime avoir mené une « belle vie » (p. 136) jusqu’au décès de ce dernier, en 1826, alors que Raphaël n’a que vingt-deux ans : « En 1826, à l’âge de vingt-deux ans, vers la fin de l’automne, je suivis tout seul le convoi de mon premier ami, de mon père. Peu de jeunes gens se sont trouvés, seuls avec leurs pensées, derrière un corbillard, perdus dans Paris, sans avenir, sans fortune. Les orphelins recueillis par la charité publique ont au moins pour avenir le champ de bataille, pour père le gouvernement ou le procureur du roi, pour refuge un hospice. Moi, je n’avais rien ! » (p. 146). Cette perte laisse en effet notre héros dans une situation très délicate, son père s’étant trouvé ruiné, à l’instar du père de Balzac, avant son décès : « La restauration […] ruina mon père. Ayant jadis acheté plusieurs terres données par l’empereur à ses généraux et situées en pays étranger, il luttait depuis dix ans […] pour se maintenir dans la possession contestée de ces malheureuses dotations. » (p. 143).
B – Un symbole de l’aristocratie moribonde (noblesse ruinée et isolée…)
Le destin aristocratique malmené de Raphaël de Valentin, guetté, dès son enfance, par la ruine, en fait un symbole des turpitudes qui s’abattent sur une aristocratie largement moribonde depuis la Révolution. Doté d’un physique fin, délicat (« Ses mains, semblables à celles d’une jolie femme, avaient une blancheur molle et délicate. Ses cheveux blonds, devenus rares, se bouclaient autour de ses tempes par une coquetterie recherchée. », p. 33), Raphaël est jeté, avant même le décès de son père, dans un « labyrinthe inextricable » (p. 143) dans lequel il doit combattre, « comme sur un champ de bataille » (p. 143), mais sans le prestige du sang versé par la noblesse, pour racheter les terres acquises par sa famille à l’étranger sous l’Empire. Mais sous la pression des créanciers, il est contraint de vendre les terres héritées de sa mère (à l’exception de l’île sur la Loire où elle est enterrée). « Je compris tous les chagrins dont l’empreinte flétrissait la figure de mon père » déclare-t-il à Émile (p. 143), avant d’ajouter : « Jusque-là, j’avais été vertueux par l’impossibilité de me livrer à mes passions de jeune homme ; mais craignant alors de causer la ruine de mon père ou la mienne par une négligence, je devins mon propre despote, et n’osai me permettre ni un plaisir ni une dépense. » (p. 143). Ruiné, isolé, il se lance alors dans une vie d’ascète, « Sans parents, sans amis, seul au milieu du plus affreux désert », p. 155, espérant, par ce sacrifice, forcer le destin à redorer son blason : « Je me réjouissais en pensant que j’allais vivre de pain et de lait, comme un solitaire de la Thébaïde, plongé dans le monde des livres et des idées, dans une sphère inaccessible, au milieu de ce Paris si tumultueux, sphère de travail et de silence, où, comme les chrysalides, je me bâtissais une tombe pour renaître brillant et glorieux. » (p. 157). Raphaël se lance ainsi dans l’écriture en pensant que cela lui apportera la gloire, la célébrité et la fortune. Il réduit les frais quotidiens au strict minimum et s’installe, à l’image de son auteur avant qu’il ne rencontre le succès, dans une mansarde misérable : « Je cherchais logis dans les quartiers les plus déserts de Paris » (p. 161).
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