Le roman est un genre caractérisé, contrairement à l'épopée ou au conte, par la rupture insurmontable entre le héros et le monde" pour une sociologie du roman (1964), Lucien Goldmann

SUJET : "le roman est un genre caractérisé, contrairement à l'épopée ou au conte, par la rupture insurmontable entre le héros et le monde" pour une sociologie du roman (1964), Lucien Goldmann

Dans L'Étranger (1942) d'Albert Camus, Meursault est un personnage indifférent aux conventions sociales et aux attentes normales de la société. Par exemple, il réagit de manière impassible aux événements, même aux moments les plus marquants tels que la mort de sa mère : « Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas ». La citation de Lucien Goldmann dans pour une sociologie du roman (1964), « Le roman est un genre caractérisé, contrairement à l'épopée ou au conte, par la rupture insurmontable entre le héros et le monde. » Cela suggère que le roman, en tant que genre littéraire, se distingue des autres formes narratives par une caractéristique particulière, qui est la "rupture insurmontable" entre le protagoniste et le monde dans lequel il évolue. Goldmann propose, contrairement à d'autres genres littéraire où le héros peut avoir une relation plus intégrée ou harmonieuse avec le monde qui l'entoure, que le héros du roman est confronté à une division profonde, une séparation qui parait insurmontable avec son environnement. En d'autres termes, dans le roman, le protagoniste est souvent présenté comme étant en décalage, en conflit, voire en opposition avec le monde qui l'entoure. Cette rupture peut prendre différentes formes, que ce soit sur le plan social, psychologique, ou encore existentiel. L’individu est opposé à aux autres, l’unique au multiple, le héros à son milieu. Le désir d'autonomie du héros réside dans le fait que cette rupture crée un espace propice à l'exploration individuelle et à la quête personnelle. Le héros du roman, confronté à des défis personnels et sociaux, aspire souvent à l'autonomie pour forger son identité et naviguer dans un monde complexe et parfois hostile, illustrant ainsi la tension entre l'individu et la société, tension narrative particulière qui caractérise le roman selon Goldmann. Nous pouvons ainsi nous demander en quoi la rupture insurmontable entre le protagoniste et le monde romanesque révèle-t-elle une tension narrative singulière entre l'aspiration à l'autonomie du protagoniste et la réalité contraignante du contexte qui le façonne?

D’abord nous verrons La rupture insurmontable entre le protagoniste et le monde romanesque comme manifestation de l'aspiration à l'autonomie. (I), puis, Les limites de l'autonomie face aux contraintes du monde (II), et enfin l’esthétique de l’autonomie, dans un contexte plus élargit. (III)

I. La rupture insurmontable entre le protagoniste et le monde romanesque comme manifestation de l'aspiration à l'autonomie.

A. L’Exploration des désirs et des ambitions du protagoniste

Le personnage romanesque a le désir de se connaitre. Dans sa quête la recherche de soi et de sa place dans le monde, il peut entre-autre s’élever et faire face des contraintes sociales. De ce fait, il en résulte une véritable rupture sociale et psychologique comme dans 1984 de George Orwell. Winston Smith aspire à l'autonomie en rejetant les normes imposées par le Parti totalitaire. Son acte de rébellion contre la surveillance constante dépeint la lutte pour la liberté individuelle face à des contraintes sociales écrasantes.

B. Le protagoniste en quête d'identité face à la société

Le personnage peut également faire face à des conventions sociales qui peuvent parfois paraitre absurde. Il cherche parfois a briser existentiellement et émotionnellement son lien avec la société comme dans L'Étranger d'Albert Camus. Meursault, par son indifférence aux conventions sociales, rompt de manière irréversible avec la société, lorsqu’il tue un être humain sans raison apparente. Son absence de remords lorsqu'il défie les attentes culturelles illustre la tension entre son désir d'autonomie et les normes sociales restrictives.

C. Des tensions narratives

Définit par Hans Robert Jauss dans Pour une esthétique de la réception (1978), L’horizon d’attente est l’ensemble des lectures antérieures du lecteur. Cela débouche sur le concept d’écart esthétique

L'écart esthétique se manifeste dans la tension narrative entre les aspirations autonomes du protagoniste et la réalité contraignante du monde romanesque. L'analyse de ces tensions narratives révèle comment l'horizon d'attente peut intensifier ou remettre en question les conventions littéraires, générant ainsi des dynamiques narratives complexes et des interprétations subjectives de la rupture entre le protagoniste et son environnement. Ainsi, la théorie de l'horizon d'attente offre un cadre analytique précieux pour comprendre comment les expériences préalables du lecteur façonnent sa réception de la tension narrative résultant de la rupture insurmontable dans le roman.

D’autre part, le personnage est un égo expérimental selon Milan Kundera. Notamment développé dans son œuvre L'insoutenable légèreté de l'être, l’ego se réfère à une perspective narrative où les personnages sont façonnés par leurs expériences plutôt que par une identité fixe et préétablie. Kundera suggère que la vie est une série d'expérimentations et que l'individu est en constante évolution à travers ces expériences. L'ego expérimental se libère des contraintes d'une identité stable et explore différentes facettes de la vie, remettant en question les certitudes et transcendant les limites conventionnelles. Ce concept permet à Kundera d'explorer la complexité de la nature humaine et de remettre en question les idées traditionnelles d'identité dans la littérature et la philosophie. Ce concept est intrinsèquement lié à la rupture insurmontable entre le protagoniste et le monde romanesque, notamment dans le cadre de l'analyse des tensions narratives. Lorsque le protagoniste cherche à manifester son aspiration à l'autonomie, l'ego expérimental entre en jeu en influençant la manière dont le personnage réagit face à la réalité contraignante qui l'entoure. L’ego contribue à l'analyse des tensions narratives en montrant comment les aspirations à l'autonomie façonnent la trajectoire du personnage et créent des conflits narratifs riches en nuances.

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