Charles Baudelaire, "A une passante", analyse linéaire
Analyse sectorielle : Charles Baudelaire, "A une passante", analyse linéaire. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar leyuuuu • 26 Juin 2023 • Analyse sectorielle • 1 547 Mots (7 Pages) • 241 Vues
De 1853 à 1870, la ville de Paris connaît d’immenses bouleversements : le paysage
urbain est en effet profondément modifié par des grands travaux initiés par Haussmann. Paris
se métamorphose : les ruelles insalubres cèdent la place à de grands boulevards dessinant une
géographie nouvelle. C’est dans ce contexte que paraît, en 1861, la deuxième édition des Fleurs
du Mal de Charles Baudelaire. La première version parue en 1857 s’est enrichie d’une nouvelle
section intitulée « Tableaux parisiens » qui répond aux nouvelles aspirations poétiques de
l’auteur. Charles Baudelaire trouve ainsi dans la ville et les citadins une nouvelle source
d’inspiration. Parmi la foule hétéroclite et marginale qui capte l’attention du poète : aveugles,
vieillards, petites vieilles, saltimbanques, il s’attache « A une passante » comme l’indique le
titre du poème étudié. Ce sonnet raconte une rencontre forcément fugitive avec une inconnue
croisée dans la rue. Mais en quoi ce sonnet constitue-t-il une scène de rencontre originale ?
I. Dans les deux quatrains, le poète relate une scène de rencontre amoureuse
Premier quatrain Le cadre de la rencontre : la ville.
Baudelaire se saisit d’un topos littéraire, celui de la rencontre amoureuse, dont il bouleverse
aussitôt les fondamentaux. Là où la tradition romanesque ancre la rencontre des amants dans
un cadre agréable, souvent naturel, propice à la naissance et au développement de l’amour, le
poète l’ancre dans un environnement hostile, celui de la ville, et plus hostile encore, celui de la
foule. En outre la scène devient, sous sa plume, scène de rue, et donc scène de bruit. Décrite
comme « assourdissante » (v. 1), la rue semble, un temps du moins, inscrire la rencontre du
côté de l’ouïe, ce qu’exprime la double allitération de vibrantes et de sifflantes. En en déplaçant
le cadre traditionnel vers la ville et en cédant à l’ouïe la place qu’occupe initialement la vue,
Baudelaire confère une forme moderne et pour le moins singulière à la rencontre amoureuse,
dont la forme irrégulière du sonnet apparaît comme un écho.
« La rue assourdissante autour de moi hurlait ». Le décor est celui des « Tableaux parisiens ».
Il apparaît ici comme agressif et source de spleen. Le cadre urbain est en effet hostile et bruyant,
comme le suggère la personnification de la rue avec le verbe « hurlait » à l’imparfait. Le
vacarme est encore rendu sensible par les assonances en [u] et [ã], l’allitération en [r] et
l’adjectif « assourdissante ». L’effet est amplifié par le double hiatus symétrique du début et de
la fin du vers : « rue-assourdissante » (hiatus /u-a/) et « moi-hurlait » (hiatus /a-u/). Le groupe
prépositionnel « autour de moi » laisse penser que le poète se sent cerné par l’agitation du lieu.
Dans ce contexte, l’apparition de l’inconnue est inespérée.
Dans ce cadre urbain, le poète est attiré par une silhouette
La rencontre amoureuse est décrite de façon tout à fait classique, avec un coup de foudre topique
manifesté par le champ lexical des phénomènes naturels : « ciel livide » (v. 7), « ouragan » (v.
7), « éclair » (v. 9). Tout aussi topique, la soudaineté de l’apparition, marquée par le
basculement de l’imparfait au passé simple : « hurlait » (v. 1) / passa » (v. 3). Les verbes
« passer » (v. 3) et « fuir » (v. 13), dont la femme est sujet, la transforment en « beauté fugitive »
(v. 9), ce qui renforce la soudaineté et l’intensité des émotions qu’elle suscite. La comparaison
du vers 6, « crispé comme un extravagant », offre l’image du poète en amoureux transi. Par
ailleurs, si la rue est le véhicule moderne de la rencontre, la vue demeure le véhicule traditionnel
de l’amour. L’amour naît avec la vue. En ce sens, le portrait esquissé dans les deux quatrains,
dont les notations physiques et gestuelles renvoient bien au sens de la vue, précède, dans le récit
assumé par le poète, la naissance et la reconnaissance du sentiment amoureux. Cet amour atteint
son acmé à l’attaque du vers 9, « un éclair », où le regard jeté par la passante conduit à une
renaissance du poète.
Les vers 2 à 5 présentent la passante en suggérant la progression de sa vision : simple silhouette
au départ, elle semble se rapprocher. Le regard s’immobilise alors sur des détails qui agissent
comme des métonymies, « la main » au vers 3, « la jambe » vers 5. L’apparition de l’être admiré
est d’ailleurs retardée. Cette rencontre tire également sa singularité de l’objet convoité. Le
portrait que Baudelaire esquisse de la passante dévoile une beauté peu conventionnelle. D’abord
décrite verticalement : « longue, mince » (v. 2), elle paraît statique. Les trois vers qui suivent,
en multipliant les références au mouvement : « passa » (v. 3), « soulevant, balançant » (v. 4),
« agile
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