« C’est un des privilèges prodigieux de l’art que l’horrible, artistement exprimé, devienne beauté et que la douleur rythmée et cadencée remplisse l’esprit d’une joie calme » écrit Baudelaire à propos de Théophile Gautier. Dans quelle
Dissertation : « C’est un des privilèges prodigieux de l’art que l’horrible, artistement exprimé, devienne beauté et que la douleur rythmée et cadencée remplisse l’esprit d’une joie calme » écrit Baudelaire à propos de Théophile Gautier. Dans quelle . Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar popsy64 • 22 Février 2023 • Dissertation • 2 238 Mots (9 Pages) • 851 Vues
Pauline Bajenoff
Master 1 MEEF - Lettres Modernes
Dissertation
Sujet : « C’est un des privilèges prodigieux de l’art que l’horrible, artistement exprimé, devienne beauté et que la douleur rythmée et cadencée remplisse l’esprit d’une joie calme » écrit Baudelaire à propos de Théophile Gautier. Dans quelle mesure cette affirmation vous semble-t-elle pouvoir être appliquée, ou non, aux Fleurs du Mal ?
Associée aux sciences occultes du Moyen-Âge, l’alchimie est l’art de la transmutation, permettant de convertir les métaux les plus vils en or. C’est également le cas de l’art poétique qui, dans sa quête d’une transformation spirituelle par la parole, métamorphose le monde, donnant une forme transcendante à la réalité. C’est alors que le poète Pierre Reverdy écrit dans Le Livre de mon bord : « Transmuer la misère en bonheur – grâce à l’or – voilà le grand, l’incroyable et mystérieux coup d’alchimie. Non pas la matière en une autre matière mais bien la matière en esprit ». Charles Baudelaire affirme dans son œuvre critique L’Art romantique « C’est un des privilèges prodigieux de l’art que l’horrible, artistement exprimé, devienne beauté et que la douleur rythmée et cadencée remplisse l’esprit d’une joie calme ». Ces propos mettent en évidence l’association entre quête alchimique et quête poétique.
Comment la poésie de Baudelaire dans son œuvre Les Fleurs du Mal parvient-elle à extraire la beauté de l’horreur ?
Nous verrons dans une première partie l’expression de la beauté, de l’idéal et la célébration des charmes de l’existence pour ensuite étudier l’expression de la souffrance et de l’effroi. Enfin, nous étudierons la tension oxymorique entre le spleen et l'idéal.
La représentation traditionnelle de la poésie consiste en l’expression de la beauté, du lyrisme amoureux et de la plainte élégiaque. L'œuvre de Charles Baudelaire s’inscrit dans cette représentation traditionnelle.
L'idéal, chez Baudelaire, peut se résumer par la volonté de voir Dieu, ou la beauté par laquelle celui-ci se manifeste. Cette ascension morale procure une joie et une ardeur qui s'oppose à la réalité spleenétique. C'est par le travail que le spleen peut s'effacer, pour laisser la place à une béatitude heureuse. La beauté d’origine divine se retrouve dans la nature. En effet, les poèmes « Correspondances » et « Élévation » montrent le rapport entre perfection divine et nature. En effet, dans le poème « Correspondances », les synesthésies permettent l’expression du bonheur par les sens : « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent ». La contemplation de la nature permet au poète de voir la réalisation d’une forme de beauté picturale, à la manière de peintures de paysages, notamment dans la section « Tableaux parisiens ». Dans la posture romantique du nostalgique, Charles Baudelaire regrette l’art de l’Antiquité comme étant la réalisation la plus achevée du beau. Nous pouvons rattacher ce regret aux poèmes « la Beauté » qui marque l’aspect classique et symétrique du beau, « J’aime le souvenir de ces époques nues », et « Lesbos ». Charles Baudelaire ne cesse de raviver le passé comme temps poétique heureux. En effet, nous pouvons lire dans le poème « Le balcon » : « Je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses »). Le poème « Harmonie du soir » présente l’importance que porte le poète à la recherche poétique et formelle de ses poèmes. Ce pantoum présente également des effets de synesthésie et participe à la fascination du poète pour des formes complexes ayant des effets de connivence et d’harmonie liés au souvenir de la femme aimée. Les Fleurs du Mal présente la quête d’un paradis perdu. En effet, cette recherche du « vert paradis des amours enfantines » résulte de la nostalgie d’un amour maternel exclusif trahi. Nous en retrouvons des traces dans les poèmes suivants : « La Vie antérieure » ; « Moesta et errabunda » et « La Servante au grand cœur ». Cette quête se confond avec le néoplatonisme, très prisé des romantiques français, que l’on peut percevoir dans « L’invitation au voyage », « Élévation » et « Correspondances ». Cette recherche du monde des idées est bien éloignée des réalités sordides qui parsèment Les Fleurs du Mal.
Nous pouvons retrouver une forme de beauté dans l'œuvre de Charles Baudelaire mais ce qui est digne d'admiration est rattaché à un idéal inaccessible. La beauté éclaire le recueil mais le malheur survient toujours dans les descriptions idylliques. La beauté incarne ainsi l’oxymore du titre de la première section du recueil, « Spleen et Idéal ».
Les Fleurs du Mal nous présente une construction esthétique du malheur dès le titre du recueil grâce à la métaphore florale qui représente la floraison du mal.
La notion de « spleen » n'a pas été inventée par Baudelaire. D'autres poètes avant lui y font référence, comme Diderot, Voltaire ou les frères Grimm. Elle désigne alors une fatalité qui empêche toute activité. Le spleen est ainsi une sorte de mélancolie qui ôte toute envie au poète, assommé par les idées noires et le dégoût de son environnement. Le poète se sent alors exilé, il ne se reconnaît pas et se trouve dans un monde auquel il ne veut pas appartenir. Les hommes de génie sont laissés en proie à eux-mêmes, au milieu d'une société débordante de vulgarité et de violence. Charles Baudelaire utilise le mot « spleen » pour son titre de la première section, « Spleen et Idéal », la plus longue du recueil avec 98 poèmes. Il s’agit tout d’abord d’une espèce de mélancolie, caractérisant le mal-être du poète, ennuyé par un environnement qui le lasse, voire le dégoûte. Nous pouvons ainsi citer les poèmes suivants : « Causerie » : « Mais la tristesse en moi monte comme la mer, / Et laisse, en refluant, sur ma lèvre morose / Le souvenir cuisant de son limon amer. » et « Spleen » (LXXVI) : « Rien n'égale en longueur les boiteuses journées, / Quand sous les lourds flocons des neigeuses années / L'ennui, fruit de la morne incuriosité / Prend les proportions de l'immortalité. ».
Le spleen est également associé à des paysages automnaux, à un décor toujours glacial et humide. Certains poèmes présentent une atmosphère macabre, associée aux tombeaux et aux ténèbres : « Le Guignon » : « Loin des sépultures célèbres, / Vers un cimetière isolé, / Mon cœur, comme un tambour voilé, / Va battant des marches funèbres. » Nous pouvons aussi retrouver un mouvement vers le bas, une autre image du gouffre qui constitue une chute du Paradis : « De profundis clamavi » : « J'implore ta pitié, Toi, l'unique que j'aime, / Du fond du gouffre obscur où mon cœur est tombé. ».
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