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Analyse d'un extrait d'Amers de Saint-John perse: Du maître d'astres et de navigation

Commentaire de texte : Analyse d'un extrait d'Amers de Saint-John perse: Du maître d'astres et de navigation. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  24 Février 2024  •  Commentaire de texte  •  2 928 Mots (12 Pages)  •  241 Vues

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Amers de Saint-John Perse

Analyse d’un extrait du chant « Du Maître d’astres et de navigation »  

Ijjou CHEIKH MOUSSA

Du Maître d’astres et de navigation 

« Ils m’ont appelé l’Obscur, et mon propos était de mer.
« L’Année dont moi je parle est la plus grande Année; la Mer où j’interroge est la plus grande Mer.
« Révérence à ta rive, démence, ô Mer majeure du désir…
« La condition terrestre est misérable, mais mon avoir immense sur les mers, et mon profit incalculable aux tables d’outre-mer.

« Un soir ensemencé d’espèces lumineuses
« Nous tient au bord des grandes Eaux comme au bord de son antre la Mangeuse de mauves,
« Celle que les vieux Pilotes en robe de peau blanche
« Et leurs grands hommes de fortune porteurs d’armures et d’écrits, aux approches de roc noir illustré de rotondes, ont coutume de saluer d’une ovation pieuse.

« Vous suivrai-je, Comptables ! et vous Maîtres du nombre !
« Divinités furtives et fourbes, plus que n’est, avant l’aube, la piraterie de mer ?
« Les agioteurs de mer s’engagent avec bonheur
« Dans les spéculations lointaines : les postes s’ouvrent, innombrables, au feu des lignes verticales…

« Plus que l’Année appelée héliaque en ses mille et milliers
« De millénaires ouverte, la Mer totale m’environne. L’abîme infâme m’est délice, et l’immersion, divine.
« Et l’étoile apatride chemine dans les hauteurs du Siècle vert,
« Et ma prérogative sur les mers est de rêver pour vous ce rêve du réel… Ils m’ont appelé l’Obscur et j’habitais l’éclat. »

Saint-John Perse, Amers

Introduction

Amers est l’œuvre majeure de Saint-John Perse. Publié en 1957, elle se présente comme un vaste poème en l’honneur de la Mer dont la composition quadripartite : « Invocation », « Strophe », « Chœur », « Dédicace », s’inspire des formes du théâtre antique. Le poème soumis à notre analyse est un extrait de la deuxième suite de « Strophe », laquelle Strophe met successivement en scène des personnages allégoriques qui confluent vers la Mer dans l’espoir de retrouver l’alliance perdue entre l’homme et le monde.  Comme toutes les suites composant « Strophe », cette suite porte simplement comme titre les premiers mots par lesquels elle s’ouvre : « Du Maître d’astres et de navigation ». Dans notre extrait, cet incipit elliptique, séparé du reste du texte, introduit le discours du premier personnage[1] du cortège, désigné comme étant « le Maître d’astres et de navigation ».  Cette désignation périphrastique renvoie par métaphore au Maître du chant, le Poète, et à son rôle dans la Cité. Comme le pilote traditionnel d’une pirogue qui, sans instruments, avait une connaissance quasi-parfaite des mouvements des étoiles et des planètes qui lui permettent de s’orienter et de conduire son embarcation à bon port, le Poète, grâce à son œil intérieur, voit ce que les autres ne voient pas et rassure l’homme en l’assurant de sa dimension d’éternité.

Développement

Dans notre extrait, le discours de ce Maître est composé de quatre laisses contenant chacune quatre versets[2]. Il est construit sur une opposition entre « ils » et « je ». Le pronom personnel « ils », qui marque une distanciation, désigne les détracteurs de la poésie de Perse, les intellectuels français de l’après Seconde Guerre mondiale, notamment les existentialistes[3] et les matérialistes qui n’ont pas compris son message.

Le Maître d’astres et de navigation feint d’expliquer son dire, pour en nier l’obscurité et critiquer la réception négative de ses propos. L’ensemble du chant s’organise autour d’une série de plans opposés.

- Laisse 1

Verset 1 :  « Ils m’ont appelé l’Obscur et mon propos était de mer »

Le poète avait déjà essayé par le passé de guider les hommes mais personne ne l’a compris jugeant sa poésie hermétique, énigmatique, alors qu’elle a pour mission d’éclairer ce qui est obscur, de dévoiler ce qui se dérobe aux sens. Ils ne l’ont pas compris, parce qu’ils ont renié la présence du Tout-autre dans les choses. Notons au passage que le vocable « Obscur » est celui par lequel la tradition philosophique désignait Héraclite d'Éphèse (né vers 576 av. J.-C., mort vers 480 av. J.-C.), philosophe-poète de l'Être.

Ce verset, à l’allure aphoristique et qui initie un développement discursif explicitant la fonction de la poésie et la mission du poète, trouve d’abord son explicitation dans « l’Allocution au Banquet Nobel »:

« L'obscurité qu'on lui reproche [à la poésie] ne tient pas à sa nature propre qui est d'éclairer, mais à la nuit même qu'elle explore, et qu'elle se doit d'explorer : celle de l'âme elle-même et du mystère où baigne l'être humain. Son expression toujours s'est interdit l'obscur, et cette expression n'est pas moins exigeante que celle de la science. »

Saint-John Perse attribue "l'obscurité" non pas à la nature de la poésie, mais au sujet mystérieux qu’elle traite. Autrement dit, l’obscurité de la poésie ne provient pas des artifices du langage, mais du mystère de l’âme et du monde, de l'au-delà des apparences, qu’elle a pour rôle d’éclairer.  

Verset 2 : « L’Année dont moi je parle est la plus grande Année ; la Mer où j’interroge est la plus grande Mer. »

Ce verset, constitue le premier argument contre ses détracteurs. Si sa poésie est obscure, c’est parce qu’elle ne se rapporte pas à des évènements historiques (comme dans la poésie engagée que Perse rejette aussi), et elle n’est pas encrée dans un espace social précis. Elle n’est pas assujettie à la comptabilité des jours et des années[4], le temps dont elle parle est le temps des origines où l’harmonie régnait entre les éléments du cosmos et les hommes. De même sa source d’inspiration, le lieu où elle puise la connaissance (« j’interroge ») est la Mer originelle. Le parallélisme syntaxique doublée d’un parallélisme métrique (chacune de deux propositions constituant le verset compte 12 syllabes) et accentué par la répétition lexicale a valeur hyperbolique « est la plus grande », établit un rapport de similitude de supériorité entre l’Année et la Mer, toutes les deux marquées par la majuscule hypostasiante (sacralisante) sont hors du temps et de l’espace.

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