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Par   •  15 Novembre 2023  •  Discours  •  1 214 Mots (5 Pages)  •  113 Vues

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Identifiant : 453 Titre : ENTRE ICI ET LÀ

Nombre de caractères : 6810

Le rideau s’ouvre. De faibles lumières éclairent la scène. On distingue un homme enchaîné dans une petite pièce avec des murs sombres. Aux côtés se tiennent deux silhouettes de gardes, immobiles. Le détenu porte des vêtements déchirés, on perçoit des cicatrices. Il se tient accroupi, presque couché, et a du mal à se mouvoir. On comprend qu’il est en prison depuis longtemps.

L’homme (s’adresse au public) :

(il murmure) Libres… L, I, B, R, E, S. Un mot si court, qui paraît si simple, et qui pourtant reste si complexe. (il crie tout haut et fait sursauter les gardes) Mais sommes-nous libres, ici, nous autres ? (les gardes le menacent avec leur arme, l’homme fait un signe et se calme)

On me menace encore… Pourtant, on vient de m’annoncer que dans moins d’une heure, je serai exécuté. (les gardes retournent à leur place) Moment tragique, mais aussi opportun : je n’ai plus rien à perdre. Et je n’aurais jamais été aussi libre de parler qu’à présent, quelques temps avant ma mort.

Car ici, voyez-vous, vous n’êtes pas libres de parler comme vous le voulez. Vous êtes très loin de faire tout ce que vous auriez envie de faire. Vous n’êtes pas libres d’aller et venir comme vous le souhaiteriez. Vous n’êtes pas libres non plus du temps que vous passez avec vos proches, qui ne sont pas libres non plus de vous rendre visite tous les jours. C’est tout juste si l’on vous donne la liberté de penser. On vous donne seulement l’autorisation de penser, mais faiblement, en silence. Parce que si vous pensez trop fort, ça s’entend, ça se voit, ça se sent, et on ne vous laisse pas libres comme ça.

On ne vous permet pas non plus de boire ce que vous voulez, de fumer un peu ou de regarder des écrans qui vous divertiraient quelques minutes dans une journée. Quelque part, c’est peut-être là que nous pouvons dire que nous sommes libres : nous ne sommes pas dépendants. Et c’est vrai, je peux le dire : je ne suis dépendant de rien. (il réfléchit puis rit) Oh, mais non… que dis-je en disant que je ne suis dépendant de rien ? J’oubliais que je suis dépendant de ce lieu ! Je dépend de l’endroit où je suis logé, même si on me loge mal. Je dépend de là où on me nourrit, même si on me donne très peu de nourriture. Je dépend des personnes qui me donnent de l’eau, même si elle n’est pas vraiment potable. Pourquoi ne pas essayer de m’évader, me direz-vous ? Pensez-vous bien qu’on a tous tenté, une fois, d’être libres à nouveau. Le problème, c’est que quand on vous prend en pleine tentative de

fuite, vous êtes traité encore plus durement que la cause pour laquelle on vous a mis ici.

Et ici, ce n’est pas comme en France : la peine de mort existe encore. J’ai été battu et trainé jusque là, entre quatre murs si étroits qu’on ne se sent même plus libres de respirer. C’était il y a… (il se déplace péniblement pour compter des traits sur le mur de gauche de sa cellule) plus de deux ans… C’était il y a plus de deux ans que j’ai été condamné, pour avoir saisi la fâcheuse liberté de croire en mes convictions, coûte que coûte.

En réalité, on a essayé de m’emprisonner depuis bien plus longtemps qu’ils ne le croient. Car depuis que j’ai pris la liberté de m’attacher à ce que je pense, tous ceux autour de moi m’ont laissé seul. Ma famille, mes amis, mes collègues, tous ont préféré me dire : « Fais comme bon te semble, mais je ne te suis pas. Fais attention : tu vas t’enfermer tout seul avec toutes ces histoires. »

Quelle folie et quel égoïsme, me direz-vous. Quel gâchis pour moi d’avoir décidé, seul, de saisir une liberté qui me rend libre, moi, mais qui ne rend pas libres les autres, auxquels je tiens pourtant toujours autant. Mais non, je ne le vois pas de cette façon. J’ai saisi une liberté que j’ai fait mienne, puis que j’ai partagée, et donc que j’ai diffusée aux autres. Eux aussi, ils étaient libres d’être convaincus, ou non, par ce que j’avais découvert. N’est-ce pas ?

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