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Jean Carteret et Colette Magny

Discours : Jean Carteret et Colette Magny. Recherche parmi 302 000+ dissertations

Par   •  8 Avril 2025  •  Discours  •  6 020 Mots (25 Pages)  •  41 Vues

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Jean Carteret ou la transparence « la révolution est une violente tendresse », par Emmanuel DRIANT avec Colette MAGNY. France Culture. Rediffusé le 9/8/86 (1977)

Emmanuel DRIANT : Je voudrais vous demander ce soir ce que représente pour vous l’idée de révolution. Comment ressentez-vous la perspective révolutionnaire assez générale qui existe à notre époque à l’échelle presque planétaire ?

Avec nous, Colette Magny, dont vous m’avez confié souvent que, en plus de son aventure musicale, sa démarche sociale et politique vous touchait particulièrement.

Vous semblez naviguer avec aisance dans le paradoxe. En effet vous vous êtes beaucoup promené dans l’univers de ce que certains appellent les sciences traditionnelles, l’ésotérisme, l’hermétisme, je veux dire que vous avez étudié, utilisé et contribué à faire connaître ces différents langages que sont l’astrologie, le tarot, l’alchimie. Mais d’autre part vous faites souvent référence à la Chine contemporaine, vous clamez partout la nécessité et l’urgence de la révolution, si bien qu’on aboutit à une situation effectivement paradoxale : d’une part les « spiritualistes » ont l’impression que vous les trahissez parce que vous êtes malgré tout entièrement avec la démarche du monde contemporain, vous vous sentez entièrement solidaire de son aventure, d’autre part les révolutionnaires et les intellectuels vous reprochent de porter votre intérêt sur ces connaissances traditionnelles qu’ils traitent facilement de superstitions surannées. Bref, on dirait que vous n’êtes chez vous nulle part, mais vous me répondrez sans doute que d’être nulle part c’est une manière d’être partout à la fois.

Jean CARTERET : Oui absolument, de la même manière que je dis que là où il n’y a personne c’est là où il y a tout le monde. Et je vous expliquerai tout à l’heure ce que j’entends par « là où il y a personne », c’est-à-dire là où il y a la personne, ce qui pour moi revient au même. Je dis toujours qu’il y a deux actes du monde, deux actes dans l’histoire des rapports de l’homme avec le monde.

D’abord, à l’origine, on peut dire que l’homme baigne dans le monde et dans le langage comme l’enfant baigne dans sa famille, il n’y a pas encore de distance avec eux, d’où pas de possibilité de prise de conscience, d’analyse ou d’objectivation des valeurs. Il vit dans la valeur et sa création ne fait que témoigner des valeurs du monde qui s’expriment à travers lui. C’est cela l’univers de la tradition. C’est dans ce contexte de l’homme intensément habité par le monde qu’ont put naître et se développer la magie, l’astrologie et toutes ces connaissances immédiates, intuitives dont disposait l’humanité dite « primitive ». C’est l’être qui comprenait intuitivement et non la conscience. L’Être collectif n’est pas ce qu’on appelle aujourd’hui « le moi », car l’Être est global. La personne humaine ne se percevait pas en tant qu’entité vraiment distincte, mais comme membre de la collectivité humaine et cosmique, tout comme l’enfant au sein de sa famille ne se localise pas véritablement comme individu distincte et autonome. Bien sûr il vit des conflits, des relations dynamiques mais c’est toujours par rapport à un ensemble : l’ensemble familiale. Il est défini comme partie d’une cellule familiale. Le concept et le mot d’individu ne sont d’ailleurs apparus que très tard dans l’histoire.

Dans le « Siphra dzeniouta » des hébreux il est écrit : « Malheur à celui qui ouvre la porte du temple ». Effectivement, en ce temps-là, vouloir ouvrir la porte du temple c’était créer un fameux courant d’air ! C’était instaurer le désordre et trahir l’ordonnance, car c’était dire au dehors quelque chose qui n’était juste qu’au-dedans et donc dégrader l’enseignement qui était donné à l’intérieur du temple. Il est évident qu’à l’intérieur du temple il y avait une communication mais celle-ci se devait de rester intra-muros et de se réaliser qu’au sein du sacré. Le sacré régnait dans le temple et à l’extérieur du temple il n’y avait que le profane. Profanum veut dire : devant le temple. Seulement il arrive un jour où l’enfant veut quitter sa famille où il devient adulte et prend une distance avec le monde originel. Dans cette séparation, il perd une partie de l’être collectif mais il y gagne la conscience, il y perd l’enfant mais il devient capable d’une prise de conscience de l’enfance. Il contient la maîtrise nécessaire pour produire le langage et il n’est plus seulement conduit par lui. A ce moment-là il n’est plus possible que le temple continue à rester obstinément clos, les portes doivent s’ouvrir, la communication doit se répandre partout à l’extérieur, c’est alors que l’homme se fait poète. Car l’enfant lui-même n’est pas poète, il baigne dans la poésie, l’adulte lui peut être poète car c’est lui qui va pouvoir contenir la poésie. Il quitte sa famille, il quitte son pays, il quitte les racines qui le retenaient encore à la terre-mère et il la transfigure par un regard nouveau en une terre épouse.

Emmanuel DRIANT : Et c’est la chute du sacré à ce moment-là !

Jean CARTERET : Oui, c’est la chute du sacré puisqu’on épouse la terre, comme je l’ai dit « chute de la famille ». C’est à ce moment-là précis que le sacré s’effondre, que les dieux meurent, que l’homme va pouvoir se confronter directement avec les valeurs. La soumission ou l’obéissance au maître ne sont plus ennemis, les majuscules tombent en poussière. Dieu n’existe plus mais derrière lui apparaît enfin le divin. Le tabou de l’inceste disparaît, la gentille maman est objectivée et regardée comme une femme comme les autres.

Emmanuel DRIANT : Est-ce que vous croyez que nous sommes arrivés vraiment à cet état de libération de nos racines dont vous parlez ?

Jean CARTERET : Non, nous n’y sommes pas arrivés mais nous n’en sommes pas encore là. On pourra en être définitivement là que lorsque nous en serons tous là, collectivement, solidairement, mais le pas est pris, le renversement a commencé. Nous nous détachons de plus en plus de tout ce qui représente pour les valeurs de la naissance et de la tradition. Maintenant c’est à une confrontation inconditionnelle avec la mort que nous sommes promis. La communauté, qui était la recherche du meilleur, a fait place à la nécessité de la solidarité qui est la lutte contre le pire. La tradition n’est plus qu’un ensemble de mauvaises habitudes telles que c’est encore extérieurement pratiquées par les bigots des églises, les bigots des sociétés secrètes. La tradition doit être assimilée par la révolution qui seule peut en faire prendre conscience, seulement alors nous serons rendus à une coïncidence nouvelle, une coïncidence plus grande avec le monde, une coïncidence conquise alors que la coïncidence primitive était en quelque sorte subie. J’aime beaucoup à ce sujet ce que dit de cela Raymond Abéllio lorsqu’il parle de la fin de l’ésotérisme. Oui nous vivons maintenant la nécessité de la fin de l’ésotérisme, la nécessité de révéler ce qui était caché, mais si j’emploie ce mot dans son double sens, la fin de l’ésotérisme c’est bien sûr son terme, son achèvement mais c’est aussi sa finalité profonde.

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