Philosophie de l'art
Dissertation : Philosophie de l'art. Recherche parmi 302 000+ dissertationsPar Max TB • 15 Avril 2025 • Dissertation • 1 487 Mots (6 Pages) • 20 Vues
À travers sa dernière série d’œuvres, ses Ultimate Paintings, Ad Reinhardt entend achever la quête picturale initiée à la Renaissance qui visait à extraire l’art du qualificatif de « fonctionnel », « mécanique », purement téléologique, afin de pouvoir enfin atteindre l’absolu, « l’art pour l’art ». Ces peintures, qu’il considère comme « les dernières peintures que l’on peut peindre », prennent la forme de tableaux noirs d’une seule taille, carrés, de 5 pieds sur 5, ne pouvant cependant pas être qualifiés de monochrome à proprement parlé, selon la conception artistique de Reinhardt (point que nous développerons). Afin de délimiter son œuvre picturale, Ad Reinhardt entreprend la rédaction des Douze règles pour une nouvelle académie, qui vise à définir l’art par ce qu’il n’est pas, à l’image de la position apophatique, dans le but de le préserver d’un quelconque prédicat qui viendrait enrayer son caractère absolu. Ainsi, l’art tel qu’il est conçu par Reinhardt revêt un caractère métaphysique, parfaitement inconnaissable : l’art n’est pas de ce monde, et c’est pourquoi sa place réside dans un musée. La règle qu’il sera question d’étudier ici-même, à savoir la sixième, peut s’avérer paradoxale pour un artiste qui semble privilégier la couleur dans son œuvre : “Pas de couleur. « La couleur aveugle. » « Les couleurs sont un aspect des apparences et donc seulement de ce qui est superficiel », elles sont un « enjolivement qui distraie ». Les couleurs sont barbares, instables et suggèrent la vie, « échappent partiellement au contrôle » et « doivent être camouflées »”. Pour comprendre ces affirmations, il convient de confronter la modernité de Reinhardt à la méfiance historique envers la couleur, associée à la primauté du dessin, puis à sa longue réhabilitation, ainsi que les différentes appropriations qui en ont été faites. Enfin, nous verrons la spécificité de son œuvre, ainsi que ses limites.
Le discrédit jeté sur la peinture, sous-jacent à celui jeté sur la couleur, émerge dès l’Antiquité à travers des figures telles que Platon et Aristote. Le fondateur de l’Académie se fonde sur sa conception ontologique du monde pour critiquer la peinture : de par son caractère mimétique, celle-ci n’est en réalité qu’une ombre, qu’un simulacre du sensible ; la peinture est foncièrement subjective et vise à tromper l’oeil plutôt qu’à rendre compte des Formes. Le dessin révèle un caractère mathématique, ordonné et précis, tandis que la couleur est associée au pathos et à l’impression ; le premier se retrouvant alors préféré au second.
Cette conception de la couleur rejoint parfaitement celle du moderne qu’est Ad Reinhardt. En perspective de la longue quête qui vise à réhabiliter la couleur au sein de l’art pictural, cette concordance de point de vue entre l’antique et le moderne peut sembler troublante. En effet, de nombreux artistes expressionnistes abstraits du XXe siècle comme Mark Rothko s’alignent sur la critique de la peinture illusionniste chez Platon. Cependant, même si les conclusions sont similaires, les enjeux respectifs se révèlent bien différents. Tandis que Platon privilégie l’aspect géométrique du dessin, que l’on retrouve notamment dans l’art egyptien que celui-ci revendique, Ad Reinhardt le renie, au même titre que la couleur : « Pas d'ébauche ou de dessin. » (troisième règle) ; « Pas de formes. » (quatrième règle). Dans sa quête d’absolu, il ne peut naturellement pas y avoir d’objet ou de prédicat ; les Idées platoniciennes, à destinations uniques, ne remplissent pas l’aspect « d’art pour art ». Là ou les couleurs sont discrédités car elles se rapportent au sensible, chez Reinhardt, elles sont rejetées pour l’entrave qu’elles représentent, leur caractère relatif et subjectif ; en clair, pour les effets qu’elles produisent inévitablement (l’art nécessite l’absence d’effets, elle ne doit absolument rien véhiculer).
L’héritage antique de la conception de la couleur a perduré durant l’histoire de manière hégémonique, jusqu’à sa remise en cause progressive à partir de Dolce au XVème siècle, et s’est cristallisé à travers le classicisme et le néo-classicisme notamment. Les personnalités à l’origine de la réhabilitation de la couleur ont justifié leur démarche en faisant de cette dernière la spécificité même de la peinture. Quant à l’intérêt revêtu par cette spécificité, il réside dans le caractère assumé de ses aspects mouvants, émotionnels, et finalement relatifs à la vie ; la couleur vise à provoquer un choc salutaire chez le spectateur et à éduquer moralement (Diderot). En clair, la couleur se transforme en signe, en symbole, qui représente un moyen en vue d’une fin unique et définie. Cette démarche s’oppose bien évidemment à l’art de Reinhardt car dans ce cas précisément, la couleur participe à asservir la peinture à travers la passion et la sensualité.
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