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L’art nous détourne-t-il de la réalité ?

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Par   •  25 Avril 2025  •  Dissertation  •  3 280 Mots (14 Pages)  •  14 Vues

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 L’art nous détourne-t-il de la réalité ?

        S’il est un point commun entre le philosophe et l’artiste, c’est qu’aux yeux du vulgaire, ils sont l’un comme l’autre deux poids morts dans la société. Ne produisant rien, ils apparaissent à ceux qui se flattent d’avoir les pieds sur terre, comme d’inutiles hallucinés, visionnaires de choses que nous ne voyons pas. Quoi donc de plus éloigné de la réalité qu’un chef d’œuvre ? Platon notait déjà la perte ontologique de l’Idée de lit jusqu’à sa représentation picturale qu’il appréhendait comme doublement fausse, d’une part parce que dans l’art l’Idée se singularise, d’autre part, parce qu’il n’est nul besoin de connaître l’Idée de lit pour le représenter. Mais si l’art est illusoire, comment ne nous détournerait-il pas de la réalité ?

Les spectateurs de la réalité que nous sommes, autant que de l’œuvre d’art ne risquent-ils pas de perdre la boussole et d’emprunter les tortueux chemins des artistes les menant loin des considérations plus sérieuses et néanmoins économiques ? Pourtant, à nous pour qui la technologie n’a plus de secret, et qui connaissons le GPS, il semble aussi évident que le détour n’est pas forcément un détournement et que si c’est assurément un chemin plus long, c’est aussi le chemin le plus rapide pour arriver à destination. Se détourner par l’art pour aller à la réalité signifierait en ce cas médiatiser le rapport du sujet : « nous » à la réalité par l’art. Mais qu’est-ce que la réalité ? Peut-être est-ce ce qui est, qui ne varie pas, mais peut-être est-ce ce que l’individu se figure être vrai, ce qu’il tient pour vrai. On retrouve là le caractère de représentation de l’œuvre d’art et on voit bien qu’un lien semble unir le domaine de l’esthétique à celui de l’ontologie.

Se peut-il donc qu’en forgeant ses chimères l’art devienne le chemin des écoliers pour aller à la réalité conçue comme vérité, ou bien ce détour par l’art est-il constitutif d’un refus, ou d’un besoin de fuir la dure réalité ?

Le sujet « l’art nous détourne-t-il de la réalité ? » est composé de trois éléments principaux : il nous demande si le spectateur peut être détourné de la réalité par l’art. Cela implique donc la mise en relation de trois éléments autour du spectateur : quelle est la relation du spectateur à la réalité ? quelle est la relation du spectateur à l’art ? quelle est la relation de l’art à la réalité ? Enfin quelle est la relation du spectateur à la réalité via l’art ?

Dans la pensée de Kant, Critique de la faculté de juger, on trouve la citation suivante : « Pour distinguer si une chose est belle ou non, nous ne rapportons pas la représentation au moyen de l’entendement peut-être liée à l’imagination à l’objet, mais nous la rapportons au moyen de l’imagination au sujet et au sentiment de plaisir et de peine de celui-ci ». Ce qu’il montre par là, c’est d’une part que comme n’importe quel objet qui affecte nos sens, l’objet qui s’apprête à devenir esthétique crée en nous une représentation. Kant veut dire par là que l’objet laisse une empreinte mémorielle sur le sujet qui la produit. Comme cette empreinte n’est pas fidèle à son modèle originel, Kant en conclut qu’en étant mémorisée, la représentation a schématisé l’objet perçu. Il attribue ce travail de schématisation à l’imagination dont ce serait la fonction de convertir la singularité d’une perception (visuelle, auditive, olfactive, tactile ou gustative) en une généralité vague, en vue de la connaissance. D’autre part, ce que montre cette citation, c’est que cette représentation peut connaître un autre destin, emprunter un autre chemin que celui de la connaissance : elle peut se diriger non pas de manière vérificatoire vers l’objet qui l’a produite, mais vers le sentiment qu’elle a suscité dans le sujet. Quand on entre dans le beau, on devient dit Kant indifférents aux objets. Le jugement esthétique est dit contemplatif parce qu’il est indifférent à l’existence de l’objet. Ce qui compte, c’est le plaisir ou la peine ressentis par le sujet. L’objet peut donc très bien ne pas exister concrètement, l’important c’est le plaisir qui lui est bien réel. On assiste à un transfert de la réalité de l’objet à la réalité du plaisir.

Le chemin qui serait ainsi dessiné par l’art serait celui du déni ou du refus de la réalité sur l’autel du plaisir contemplatif que Kant appelle « la faveur ». L’art créerait un simulacre dans l’imagination du spectateur qui serait une illusion dont on pourrait bien être conscients, mais qui viserait à provoquer une « intensification des forces vitales », i.e. en somme une forme de jouissance. On remarque au passage que le mépris que Platon affectait pour l’art procédait de l’activité de l’imagination qui détournait le sujet d’occupations plus spirituelles et sérieuses. L’imagination comme φαντασια est la grande pourvoyeuse de fantômes et fantasmes. Rien de réel donc dans l’art puisqu’il suffit d’une représentation et d’écouter en soi l’effet qu’elle produit. Ainsi l’art apparaît-il comme le chemin de l’évasion du quotidien monotone et pesant. La psychanalyse considère que si la pulsion artistique libère le contenu refoulé du « ça » de l’artiste, en extériorisant sa libido, elle agit de manière subliminale sur le spectateur. Le plaisir à l’art serait en réalité le même plaisir compensatoire que celui d’un rêve. Si l’on va par exemple au cinéma voir superman s’envoler en tenant dans ses bras une belle, ou bien venir à bout du plus infâme vilain, c’est que cela nous donne le temps d’une brève identification le modèle d’une vie où l’homme ainsi divinisé serait tout puissant. Ce fantasme d’un monde qui cesserait d’être problématique, et serait soumis à notre force, aussi grossier soit-il, est celui de la toute puissance. L’art peut le combler par sa magie.

Mais ainsi conçu, l’art n’est-il pas une chimère visant à nous rendre la vie plus facile ? On sait bien l’impact que l’informatique peut avoir sur les esprits plus faibles. Les capacités créatrices des concepteurs de jeux couplées au besoin d’halluciner une vie réussie à celui qui vit l’échec ont pour effet de mener à la folie celui qui se laisse prendre dans les rets de la toute puissance. Mais cela est-il de l’art ? L’art est-il réduit à cette fonction cathartique ? Si l’on songe aux belles pensées de Blaise Pascal sur le divertissement, ou au poème de Baudelaire sur le « recueillement », on voit bien qu’il n’est rien de noble dans la fuite de la réalité, et que c’est affaiblir le sens de l’art que de le réduire à vendre de l’espoir. En ce sens affaibli du mot « art », le spectateur est bien détourné de la réalité, et le détour se conçoit comme un détournement, comme une rivière dont on changerait le cours pour l’emmener ailleurs.

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