Le romna Un crine de Bernanos
Dissertation : Le romna Un crine de Bernanos. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar zakrepcom • 17 Novembre 2012 • 5 015 Mots (21 Pages) • 928 Vues
PREMIÈRE PARTIE.
– 4 –
I.
– Qui va là ? C’est toi, Phémie ?
Mais il était peu probable que la sonneuse vînt si tard au
presbytère. Sous la fenêtre, le regard anxieux de la vieille bonne
ne pouvait guère voir plus loin que le premier tournant de l’allée
; le petit jardin se perdait au-delà, dans les ténèbres.
– C’est-i vous, Phémie ! reprit-elle sans conviction, d’une
voix maintenant tout à fait tremblante.
Elle n’osait plus fermer la fenêtre, et pourtant le sourd roulement
du vent au fond de la vallée grandissant de minute en
minute comme chaque soir, ne s’apaiserait qu’avec les premiers
brouillards de l’aube. Mais elle redoutait plus que la nuit l’odeur
fade de cette maison solitaire pleine des souvenirs d’un mort.
Un long moment, ses deux mains restèrent crispées sur le montant
de la fenêtre ; elle dut faire effort pour les desserrer.
Comme ses doigts s’attardaient encore sur l’espagnolette, elle
poussa un cri de terreur.
– Dieu ! que vous m’avez fait crainte. Par où que vous êtes
montée, sans plus de bruit qu’une belette, mams’elle Phémie ?
La fille répondit en riant :
– Ben, par le lavoir, donc. Drôle de gardienne que vous faites,
sans reproche, mademoiselle Céleste ! On entre ici comme
dans le moulin du père Anselme, parole d’honneur.
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Sans attendre la réponse, elle prit une tasse sur l’étagère et
se mit tranquillement en demeure de la remplir de genièvre.
– Vous allez tout de même pas me boire ma goutte ?
– On voit bien que vous restez là au chaud, mademoiselle
Céleste. Le vent vient de tourner du côté des Trois-Évêques. Il
m’a autant dire cinglé les os. Y a pas de fichu qui tienne làcontre
!
Elle s’essuya les lèvres à son tablier, cracha poliment dans
les cendres, et reprit d’un ton où la vieille femme méfiante crut
sentir un léger malaise, dont elle ne s’expliqua pas d’abord la
cause :
– Vaudrait mieux vous coucher, mademoiselle Céleste, votre
curé est depuis longtemps sous ses draps, vous pouvez me
croire. Pensez ! La moto du messager vient d’arriver chez Merle.
Paraît que la brume descendait derrière lui presque aussi vite…
Il ne passera plus une voiture d’ici demain par les cols.
– Savoir, ma petite. Un jeune curé, sa première paroisse,
voyez-vous, y a pas plus simple, plus naïf. Avec ça, ces gens de
Grenoble, ils ne connaissent rien à nos montagnes. Écoutez…
Le ciel venait de vibrer d’un seul coup, presque sans bruit,
du moins perceptible à l’oreille, et pourtant la terre parut en
frémir jusque dans ses profondeurs, comme du battant d’une
énorme cloche de bronze.
– Le vent vient de tourner encore un peu plus au nord, ma
fine. Le voilà qui passe entre les Aiguilles Noires. Nous aurons
du froid.
– 6 –
Elle remplit sa tasse, la choqua contre celle de Phémie et,
de sa voix toujours un peu sifflante, elle reprit entre ses dents
noires :
– Ça ne présage rien de bon.
– Tiens, mademoiselle Céleste, voilà que vous fumez la
pipe à ct’heure ?
– Touchez pas ! dit la vieille.
Ses deux mains maigres et brunies, couleur de chanvre,
aussi agiles que des mains de singe, volèrent à travers la table,
et elle rapprocha d’elle l’assiette à fleurs, la tint si serrée contre
sa poitrine que les plis de son caraco la recouvrirent presque
tout entière.
– Qu’est-ce qui vous prend ? C’est-i donc sacré, une pipe ?
– C’était la sienne, dit la servante. Il l’a posée là, telle
quelle, deux heures avant de finir, juste. Vous allez me croire
folle, mams’elle Phémie, mais j’ai pas osé la toucher depuis. Tenez
: elle est encore toute bourrée. Des fois, aujourd’hui, en cirant
les meubles, je me retournais, je croyais voir le plat vide,
avec une de ses grosses mains dessus, qu’avaient tellement enflé
dans les derniers jours… Oh ! j’ai pas peur des morts, non. Mais
notre ancien curé, voyez-vous, ça ne doit pas être un mort
comme les autres.
Elle repoussa l’assiette au milieu de la table, avec précaution,
revint s’asseoir sur sa chaise, dans l’ombre.
– En
...